25 novembre 2024
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Voyage au pays miraculeux de mes lectures 

REGARD

Voyage au pays miraculeux de mes lectures 

« Comme une grande musique qu’on peut réécouter sans fin, les grands romans eux aussi sont faits pour des lectures répétées. » Milan Kundera

C’est Monsieur Mazzuca, mon instituteur de l’école primaire située sous les arcades du faubourg de Biskra, à la sortie sud de Sétif, qui m’a appris à assembler les vingt-six lettres de l’alphabet et à en comprendre le sens. Il m’a tout de suite semblé qu’il s’agissait d’une porte magique qui menait à un pays envoûtant. Je m’y suis jeté à corps perdu dès les premiers pas entamés dans ce paysage fascinant. Cette alchimie s’est offerte à moi avec une violence inégalée. 

Dans la cave de notre maison de l’avenue du 1er novembre 1954, dans le faubourg des Cheminots, il y avait une cantine métallique, pleine à ras bord de livres verts, et ces livres verts m’ont raconté les histoires d’hommes et de femmes, habitant de pays lointains ou proches, qui ne demandaient qu’à me narrer leurs aventures. Quel parfum merveilleux pour le petit garçon que j’étais ! Sumatra, Java, Bornéo… Un trésor de pirates caché sur une ile, des hommes méchants, borgnes, dotés d’un crochet à la main, un bandana sur la tête, un perroquet juché sur l’épaule… Quel coup violent je reçus à la poitrine en découvrant ces mondes si éloignés du mien, le souffle haletant, totalement coupé.

Le son répétitif d’une jambe de bois sur le pont d’un navire voguant vers la Malaisie. Puis les températures négatives au nord du Canada, la neige, des loups affamés, des traîneaux tirés par des chiens qui font traverser des planètes immaculées à des hommes courageux. C’est la vie d’ailleurs qui s’offrait à moi par l’intermédiaire de récits improbables. C’est la sublime jeune fille, princesse de son état, que le héros sauvera des dents acérées des crocodiles. Ils partiront tous les deux sur une barque branlante sur les rapides les plus dangereux de l’Amazonie.

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C’est le goût des cultures multiples que la lecture m’a révélé. C’est la noblesse des forêts infinies et le sens caché de l’honneur exilé dans les cachots des siècles passés. C’est une noblesse décrite sur des pages entières et une bataille opposant ottomans et la Sainte-Ligue formée des armées vénitiennes et espagnoles auxquelles se sont jointes les troupes maltaises et savoyardes : la bataille navale de Lépante. 

Ce sont des gangsters hideux, coiffés d’un Borsalino, le sourire en coin, qui ont habité mes soirées interminables d’enfant solitaire lors des froides nuits sétifiennes. C’est aussi le monde peuplé par les merveilleux poèmes de Paul Eluard et de René Char qui ont illuminé mon ciel et qui m’ont permis d’accéder à un univers de libertés. C’est le cadeau de cette humanité généreuse faite de découvertes qui a confectionné en moi un esprit agile, altruiste et ouvert sur l’ailleurs.

C’est la sensibilité dont je serais capable, celle d’une écrivaine inconnue dont je n’ai jamais su s’il s’agissait de son véritable nom ou d’un pseudonyme, Enid Blyton, qui m’a transporté dans le Club des cinq et le Clan des sept, qui a écrit pour moi, pour que je lise, pour que je vive, pour que je rêve, pour que je voyage à travers des sentiers qui m’étaient inconnus. Généreusement, cette écrivaine a écrit des livres qui m’étaient destinés, qui étaient offerts aux enfants de ma génération et que mes petits-enfants ne connaîtront pas. 

Cette écrivaine est devenue ma sorcière en chef et a fait de moi un apprenti-sorcier. Sorcier suis donc devenu. Cette écrivaine était pour moi tous les écrivains à la fois. Puis j’ai évolué sur des sentiers qui m’ont mené vers d’autres sorciers. Je fais ici l’aveu douloureux que ce goût du livre me fut accordé par tous les écrivains dont le nom était inscrit en haut des couvertures vertes : Jack London, Walter Scott, Alexandre Dumas père, Eugène Sue, Fenimore Cooper, Joseph Conrad, Robert Louis Stevenson, James Oliver Curwood, Jules Verne, Rudyard Kipling… Définitivement, grâce à des enseignants comme messieurs Mazzuca et Achour, mon cœur est rentré dans le pavillon des battements irréparables qui a besoin de plonger dans le monde des histoires créées par des écrivains magiciens. Je lis. J’aime ça.

Physiquement, viscéralement, intellectuellement, je lis. Sensuellement, voluptueusement, je lis. Les livres m’ont construit — que mes détracteurs qui ne lisent qu’un seul livre me pardonnent. Un mot subitement résonne en moi de façon particulière, c’est la puissance maléfique de la lecture.

Ma mère n’arrêtait pas de me reprocher d’abimer mes yeux. Ma mère ne savait pas ce que c’était la puissance du rêve. J’en connaîtrai plus tard les conséquences : phrases soulignées au crayon, pages découpées, mots recopiés sur un carnet de notes, expressions et locutions imposées parce que gourmandes… « La distance palpable — il s’est jeté dans la vie — et au bout du compte ? — privilèges et précisions — mauvaises querelles — le sommeil se refermait mal sur mon oreille tendue — le décor était planté — les hautes galeries moisies. »

Livres fermés et ouverts de nouveau. Vice continuel. Attrait. Dépravation. Je suis descendu jusqu’aux enfers. J’ai vécu « Cent ans de solitude » à la lisière du « Partage des eaux ». J’ai fait le « Voyage au bout de la nuit ». J’ai aimé « Lolita ». J’ai suivi « Moby Dick » dans « Le bruit et la fureur », en « Guerre et Paix », pour « Le Rouge et le noir » pour retrouver « Ulysse » qui escaladait « La montagne magique » et connaître « Les Grandes espérances ». J’ai accompagné «Nedjma», «L’Idiot», «L’Homme sans qualités», « L’Etranger », « Les Âmes mortes », « Les Démons », «Le Vieil homme et la mer », « Mrs Dalloway », « Jacques le fataliste et son maître », « Alexis Zorba », « Pedro Paramo » et « Le Fils de la Medina »…  J’ai lu « La Storia », « Le Livre de l’intranquillité », « Le Carnet d’or »… Je me suis promené sur « Les Chemins qui montent» vers «La Grande maison» et «La Montagne magique» avec « La Conscience de Zeno » en compagnie d’«Anna Karénine » et des « Frères Karamazov »

«La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté » dit la sagesse populaire.

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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