Vendredi 1 décembre 2017
Voyage initiatique en Algérie
J’ai un ami né en Algérie dans la région de Tizi qui n’a plus revu son pays d’origine depuis 1993, il vit comme moi en France et travaille comme avocat spécialisé pour les litiges de droits internationaux. Malgré mes encouragements à revoir sa terre natale, il faisait de la résistance passive: oui, un jour mais pas tout de suite… je ne suis pas encore prêt psychologiquement à me confronter à mes fantômes du passé … Quels étaient ces fantômes ? Il ne m’a rien dit de plus. Et puis cet été, je l’ai informé que je partais dix jours en Kabylie et peut-être dans l’Oranais, je t’accompagne me lança t-il avec un sourire ironique : fier de surprendre un étonnement qui me rendit aphasique un long moment. Mais oui je t’avais dit que je le ferai et bien partons ensemble à la conquête du nouveau monde. Il faisait allusion aux conquistadors espagnols et portugais mais nous nous irons chez nous lui rétorquai-je; justement c’est ce que je voudrais savoir si c’est toujours my home.
Manque de chance, je fus retenu par un travail imprévu mais que j’espérais et je renonçai donc à mon voyage; je l’annonçai à mon ami Elyas au tél, m’attendant évidemment à ce qu’il reporte aussi le sien. Nouvel étonnement il n’en fît rien et s’envola pour Maison Blanche quelques semaines plus tard.
J’attendis vainement quelques appels téléphoniques, des courriel qui sait un appel au secours pour lui éviter des tracasseries administratives. Elyas est certes avocat mais en dehors de ses dossiers et des prétoires où il se révèle un excellent défenseur ou pourfendeur de la loi en fonction de son objectif, il me semble à mes yeux un grand enfant naïf quand il se trouve confronté à ses semblables dans sa vie personnelle. J’avoue avoir été inquiet mais je ne fis rien pour me renseigner en appelant quelques amis qui auraient pu me renseigner .
Vingt jours plus tard Elyas de retour en France me téléphona pour me proposer de dîner ensemble dans un excellent restaurant camerounais à Montreuil sous Bois. Je le retrouvais hâlé, souriant mais il avait le sourire un peu figé, peut-être fatigué pensais-je. Il commanda un plat au nom poétique, n’dolé : de simples feuilles, ressemblant aux épinards cuisinées avec une pâte d’arachides, accommodées de crevettes et de bananes plantains frits. la patronne me conseilla un mafé kandja, mélange de crevettes, viande de bœuf, morue, gombo et carottes, sans oublier la sauce arachide. Nous mangeâmes presque en silence si ce n’est une musique de Youssou N’Dour qui accompagnais ces odeurs épicées au goût de savane. Puis sans préambule Elyas commença son récit que je vais essayer de reproduire ici avec mes impressions et mes commentaires.
– J’ai eu mon premier choc quand l’avion a survolé la côte africaine, je regardais ce monde de haut comme un martien survolant une planète à découvrir, je me demandai qui vivait en dessous (comme si je ne connaissais pas la réponse) et comment vivait t-il aujourd’hui ? (là je ne connaissais qu’imparfaitement la réponse et ce que je savais par médias interposés pouvait se révéler trompeur). J’aperçus en premier lieu le Mémorial du martyr, trois palmes stylisées symbolisant les trois « révolutions culturelle, agraire et industrielle composé de trois feuilles de palmier haut de 92 mètres. Je lus dans mon guide touristique que la réalisation de l’ouvrage fut un véritable défi technologique en raison des contraintes touchant à la courbure des palmes, à la situation du site jouxtant une falaise abrupte et au risque sismique dans la région. J’ai toujours trouvé que son concepteur, le peintre Bachir Yellès a réussi dans l’ensemble un bel ouvrage. Ce qui me plaisait c’était qu’il se détachait de loin comme une flèche lancée vers le ciel une météorite inversée.
A la douane, quelle fut ma surprise de constater que la file d’attente ne zigzaguait pas comme dans mes souvenirs dans tous les sens et que tous attendaient en ordre leur passage devant les guichets qui étaient assez nombreux pour n’engendrer qu’une attente de 20 minutes. Lorsque je donnai mon passeport algérien car malgré mon absence territoriale j’avais régulièrement renouvelé mon passeport, le douanier une jeune femme me dit : Oh vous ne venez pas souvent nous rendre visite M. Elyas D. Je rougis involontairement et je retrouvais, à travers ce trait d’esprit, cette audace, cette liberté de ton, mon Algérie rêvée, celle à laquelle je pensais au creux de mes nuits pendant ces presque 25 années d’absence. La douanière me rendit mon passeport avec un sourire gratuit et se replongea dans son écran. Je sortis poussant mon chariot à bagages pour récupérer une voiture de location dans une agence tenue uniquement par des femmes, deux les cheveux aux vents et une avec un foulard, c’est cette dernière qui s’occupa de moi avec professionnalisme et gentillesse. Je ne comprends pas beaucoup cette mode du foulard depuis une trentaine d’années sauf à croire comme Malek Chebel que « le voile est devenu un signe ostentatoire d’adhésion à l’islam le plus rigoriste, un signe religieux qui charrie autour de lui de nombreuses idéologies plus ou moins restrictives. » Malgré ma réserve lorsque je vis cette femme affichant ce signe représentant sa foi qui pour moi devrait être discrète car elle ne concernait qu’elle, je dus reconnaître sa gentillesse et l’empathie que je ressentais chez elle. Les choses ne sont pas si simples et surtout ne soyons pas manichéens méfions-nous des apparences.
Me voici lancé à 80 km à l’heure sur l’autoroute Alger/Oran pour rejoindre Tizi, n’allez pas croire que je suis un adepte de la lenteur mais n’essayez pas de dépasser cette vitesse car les trous, les bosses, les dos d’ânes, les queues de poissons, les véhicules qui se rabattent sans crier gare, ceux qui vous doublent à droite pendant qu’un autre le fait à gauche, les bus, les camions semi-remorques qui eux osent titiller les 100 km à l’heure sont des obstacles vivants à tout relâchement durant même le battement d’un cil. Le conducteur algérien peut-être frustré par un mode de vie traditionnel et sans sel pimente sa vie en la risquant sur la route. Nous détenons le record du monde des accidents de la route proportionnellement au nombre de voitures et d’habitants. J’arrivai sain et sauf et je retrouvai ma chère mère qui m’avait précédé de deux semaines, chaque année elle faisait retraite au milieu des siens pendant les mois de septembre octobre et novembre. Ma mère est divorcée et comme la plupart de ces femmes elle n’a rien obtenu lors de sa séparation. Elle passe donc ses congés chez des amies à elles qui plus avisées en faisant mettre à leur nom maisons et autres biens afin d’éviter d’être déposséder par ses propres enfants.
Nous nous retrouvâmes comme si nous nous étions quittés il y a des années. La femme qui me reçut ne parlait pas français, nous alternions le kabyle et parfois l’arabe, elle me servit du thé et des beignets, la maison semblait immense avec des couloirs, des chambres et un étage, même si je ne voyais personne, elle bruissait de mouvements et de voix. Après quelques échanges sur l’état des figues et du raisin, causes visiblement nationales, du reste je pus goûter à ces fruits qui ont encore conservé leur nectar, leur saveur, ma mère toussota et me dit que finalement elle ne resterait pas dans cette maison et qu’elle préférait aller ailleurs, je la regardai sans comprendre, puis soudainement notre hôte se mit à pleurer en balbutiant que ce n’était pas de sa faute mais celui de son shitane de fils. Stupeur, je me demandais ce que pouvait signifier cette représentation tragique. Après moult explications noyées dans les larmes, les plaintes, les prières je compris que son fils aîné seul sultan à bord de ce palais ne souhaitait pas la présence d’un autre mâle étranger de plus à la famille. Je ne compris pas tout de suite les raisons de ce délire paranoïaque mais en recoupant les autres faits qui me sont arrivés, plus tard je commençai lentement à comprendre la situation névrotique et parfois schizophrénique de ce pays. Notre hôtesse était en si grande souffrance que je dus la rassurer et lui dire que d’ailleurs j’envisageais d’aller à l’Hôtel ce qui était la vérité, je comptais persuader ma mère qu’il me serait plus facile de travailler dans un confortable établissement pourvu de liaison internet et de lit spacieux ainsi que d’une piscine. J’appris quelques jours plus tard que ces palais exigeaient des prix vertigineux, surtout pour les algériens car la moindre chambre correcte représentait la somme coquette de 15 000 dinars, une moitié de salaire pour un enseignant et pour moi 80 euros /jour.
Finalement ma mère avait un plan B et je la suivi par curiosité comptant me rabattre en dernier ressort sur un hôtel. Nous arrivâmes chez des amis qu’elle avait appelés avant que nous quittions son premier refuge; l’accueil fut chaleureux tellement chaleureux que nous avions l’impression de leur rendre service en venant squatter chez eux. Deux situations opposées qui caractérisent bien l’impossibilité de généraliser et de définir le caractère algérien: il est impénétrable… Je décidai de rester surtout que je bénéficiai d’une chambre à part, d’un jardin pourvu de figuiers, de raisins, de figues de barbarie et j’oubliai de cuisinières hors paires, la cheffe de famille et sa sœur : presque le paradis. La vraie raison de ma décision de demeurer là s’expliquait par mon envie d’étudier de l’intérieur un exemplaire d’homo Faber. Le couple, très uni, La cinquantaine pour lui et dix ans de moins pour elle, un niveau bac (pour l’époque c’était bien) une relative ouverture d’esprit sauf quand je remis en question la folie dépensière d’un mariage auquel il me proposa d’assister. Des gens modeste mais d’une incroyable générosité qui s’apparentait pour moi à du gaspillage. Voyez plutôt : cinq jours de festivités avec repas pour une bonne partie du village (un bœuf immolé pour l’occasion) et mon hébergeur m’apprit que l’ardoise avoisinait 70 000 dinars. Une folie que ce couple mettra quelques années à rembourser. Mais cela ne choquait pas mon guide qui me répondit que de toute façon c’est la coutume et qu’il ne pouvait pas faire autrement sinon il aurait fait honte à sa femme et à sa famille. Vous avez compris pour le nif et le regard des autres, il faut accepter d’être endetté pour rien : espérons qu’il ne divorcerons pas dans quelques mois car alors là ce serait le comble !
La fête fut aussi somptueuse, une camerawoman, un photographe et un orchestre animaient une nuit longue avec un cérémonial parfois intéressant, parfois ésotérique comme le changement de tenue de la mariée, une dizaine de robe différente, ce qui l’obligeait toutes les demi-heures à s’absenter une demi-heure pour contenter les photographes et les curieux. Je dois avouer que je me suis parfois un peu ennuyé ne sachant que faire moi qui adore danser mais j’avais oublié que l’on ne pouvait pas inviter une dame à valser sans risquer de provoquer un séisme d’une magnitude 5 sur l’échelle de Richter. Je dus donc me contenter de regarder toutes ces beautés kabyles, assises en habits traditionnels comme des déesses inaccessibles cela formait un contraste violent mais en même temps intéressant pour un ex ou futur algérien qui se cherche et qui aimerait trouver un miroir magique comme dans Alice aux pays des merveilles pour entrer dans cet univers déconcertant de L’Algérie du 21e siècle ou du 15 E siècle (1439) à moins que ce pays soit en dehors du temps. Je ne pus même pas comme Rousseau rêver bucoliquement et platoniquement à ces femmes aux longues chevelures noires, brunes, blondes, châtains, hennées car une horde de jeunes probablement éméchée mais peut-on leur en vouloir de chercher l’inspiration, le salut ou un baume à l’amour impossible dans les vapeurs de l’ivresse … Je ne leur en voulais pas mais ils me bousculèrent incidemment pour se placer aux meilleures angles afin de zoomer celles qu’ils étaient venus voir de loin et leur rendre un hommage langoureux mais sans espoir. Je compatis à leur quête du Graal et leur laissai la place, ils étaient chez eux et je rompis les rangs pour rejoindre la maison accompagné dans cette nuit étoilée de météores, ces bouts minuscules d’étoiles qui filent dare dare sans se préoccuper de ce qui se passe plus bas ; la musique de mon pays me faisait aussi escorte me poussant à quelques pas de danse sur les chemins sans éclairage et périlleux de ce village de montagne.
En lisant ces lignes nous pouvons croire que nous avons affaire à quelqu’un qui ne connaît pas l’Algérie et qui vit à l’occidental, ce serait simplifier les choses, Elyas est un algérien d’hier qui aime profondément cette culture mais qui ne lui pardonne pas d’avoir raté sa révolution et de n’avoir engendré qu’un récit fade et ennuyeux. Pourtant nous savons tous que les progrès civilisationnels sont longs infiniment longs il suffit de regarder la France qui a connu sa révolution il y a 225 ans et qui n’a toujours pas construit un vrai état de droit pour tout le monde avec la possibilité pour chacun de vivre dignement. La France a mis plus de deux siècles pour faire un pas vers l’humanité combien de temps l’Algérie mettra pour se mettre en mouvement …
Le récit n’est pas terminé mais si cela vous intéresse je vous donnerai la suite prochainement.