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Walid Nekiche, pourquoi ? « Ils étaient méprisés, ils devinrent méprisables »

REGARD

Walid Nekiche, pourquoi ? « Ils étaient méprisés, ils devinrent méprisables »

Le calvaire de Walid Nekiche qui s’est confirmé a éprouvé la nature du pouvoir actuel. Un régime politique en déficit de légitimité a toujours besoin de recourir à la torture. 

Qu’elle soit pratiquée à Abou-Ghraïb de Bagdad, dans la villa Susini d’Alger ou à T’kout, l’intention était la même : la torture est la réponse brutale et désespérée qu’apporte toute autorité à la remise en cause de sa propre légitimité.

Oui, il y a une universalité de la torture avec une stratégie commune et une même finalité, celle que recherchaient les barbouzes de T’kout, de Lambèse, d’El-Harrach ou de Serkadji, celle voulue par les parachutistes français de la villa Susini, par les GI’s américains maltraitant les Irakiens, la finalité qui avait fait agir les tortionnaires d’Henri Allèg, de Walid Nekiche : avilir pour détruire, avilir pour le contrôle moral de la population par l’avilissement. Avilir la victime est une façon de justifier la violence qu’on lui fait subir, selon le mécanisme décrit par l’abbé Grégoire : « Ils étaient méprisés, ils devinrent méprisables. »

A quel moment donc un pouvoir bascule-t-il dans la torture ? Dès que sa suprématie est contestée.

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Et cette maudite tentation frappe même d’anciens suppliciés, comme certains dirigeants, libérateurs devenus tortionnaires. « Selon l’occasion, n’importe qui, n’importe quand, deviendra victime ou bourreau », écrivait en 1959 le philosophe français Jean-Paul Sartre, intervenant dans le débat suscité par La Question d’Henri Alleg. En 2004, alors que venait d’éclater le scandale sur les tortures d’Abou- Ghraïb et de T’kout,  parut un ouvrage lucide de l’essayiste américain Robert Kagan.

L’auteur y aborde la question, impensable deux ans auparavant, du déficit de légitimité qui frappa les Etats-Unis après le scandale, et qui en fit à la fois un pays affaibli et infériorisé par rapport aux Européens, plus attachés au droit international. L’auteur conclut que le salut des dirigeants américains serait de reconnaître l’importance décisive des facteurs moraux dans les guerres modernes.

La justice algérienne a été donc contrainte d’ouvrir une enquête sur les innommables sévices qu’a endurées le citoyen algérien Walid Nekiche dans les locaux des services de sécurité.

Le pouvoir va choisir entre l’arrogance et la conciliation. C’est selon sa bonne ou mauvaise santé politique et économique, la mobilisation de la société et les réactions de l’opinion internationale.

En 2004, le pouvoir de Bouteflika, fraîchement « réélu » pour un deuxième mandat, avait choisi de frapper. Il bénéficiait alors du boom pétrolier, du silence national et d’une certaine complicité internationale. Il était inattaquable ! Il avait alors opté pour la menace. Quelques heures après la publication du reportage de notre journaliste Abla Chérif sur les tortures de T’kout, le commandement de la gendarmerie nationale publiait un sévère communiqué dans lequel il réfutait ces « accusations gravissimes » et annonçait un dépôt de plainte contre le journal Le Matin, pour « diffamation et outrage à institution. »

Des  notables locaux asservis au pouvoir furent appelés en renfort pour récuser les faits à leur tour et démentir tout acte de torture. Le pouvoir utilisait de grossiers subterfuges, à la hauteur de l’embarras qui le frappait.

Le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, monta au créneau devant les sénateurs pour démentir les faits et surtout annoncer la constitution d’une commission d’enquête. « S’il y a réellement des failles, nous prendrons les mesures qu’il faut le cas échéant, la loi sera appliquée. » Mais son discours, très sévère à l’égard de la presse – en fait à l’endroit du Matin –  en disait long sur la nervosité du régime devant la divulgation de ce scandale.

« La presse, amplifie les faits et aime à user de l’intox. Les journaux ont traité par la surenchère et  la démagogie l’affaire de T’kout et celle des treize bébés de l’hôpital de Djelfa. La démocratie et la liberté ne sous-entendent pas l’anarchie. Cessons de jouer avec le désespoir des gens pour des intérêts personnels. »

Bouteflika 2004 – Tebboune 2021 : mêmes  exaspérations, mêmes vocables ! 

Des vingt-quatre jeunes manifestants de T’kout, décharnés et épuisés, qui comparaissaient ce 24 mai devant le juge d’Arris, aucun ne sortira libre. Vingt d’entre eux écoperont de trois à huit mois de prison ferme pour attroupement illicite, les quatre autres d’un an de prison ferme pour rédaction de tracts subversifs et de communiqués diffusés dans la presse.

Les gendarmes qui ont pratiqué les tortures ont, eux,  tranquillement témoigné contre leurs victimes !  La commission d’enquête constituée à la hâte fit un semblant d’investigation et conclut très vite à la disculpation de la gendarmerie.

Après une brève audition des victimes par le tribunal d’Arris, le parquet général de Batna rendit public un communiqué envoyé à la presse ainsi rédigé : « Il ressort de l’audition par le parquet de la République près le tribunal d’Arris des  neuf personnes interpellées puis libérées par la brigade de Gendarmerie nationale, qu’en aucun cas elles n’ont fait l’objet d’une quelconque torture. » En plus d’avoir été torturés et avilis, les jeunes de T’kout étaient sanctionnés pour fausses déclarations !

La suite des évènements allait les réhabiliter. Au procès contre Le Matin, la population de T’kout avait fait le déplacement et imposé au magistrat de les entendre. Le procès tournera en cauchemar pour le régime !  Le journal obtint l’acquittement, ce qui signifiait que les tortures avaient bien eu lieu !

Les victimes venaient d’obtenir réparation morale envers et contre la conjuration de la force et du mensonge. Mais le prix, pour Le Matin, aura été élevé. (Suite et fin)

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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