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Yasmina Khadra et la Kabylie

Yasmina Khadra

La vidéo de Yasmina Khadra, grand écrivain, qui a refait surface sur les réseaux sociaux est symptomatique d’un état d’esprit délétère prévalant au sein d’une certaine intelligentsia algérienne hostile, – consciemment ou inconsciemment -, non pas à l’extrémisme, mais aussi et surtout à tout particularisme culturel, comme les islamistes le sont pour toute diversité cultuelle.

Le fait qu’elle soit vieille de 15 ans ne change rien à la donne. Victor Hugo suscite toujours la polémique pour ses éloges du colonialisme et Albert Camus pour sa préférence pour sa mère (la France) au détriment de la justice.

Cette vidéo, à titre d’illustration de cet état de fait, nous renseigne surtout sur une donne immuable chez ceux qui n’attaquent pas frontalement la Kabylie : Ils l’aiment disent-ils, mais à condition qu’elle se renie, sous-entendent-ils dans leurs différentes sorties.

Il s’est expliqué en disant que c’est pour combattre l’extrémisme, mais la vidéo est parlante. Il a bien dit : « S’il me dit je suis Kabyle je ne signe pas ». Il n’a pas dit « s’il me dit je suis séparatiste, … ».

Inconsciemment, il y a des désirs enfouis chez beaucoup de politiciens, d’intellectuels, ou même de simples citoyens, de donner des leçons à cette région, comme ça se passe pour toutes les communautés dites « minoritaires ». 

C’est récurrent chez cette génération d’écrivains (après celle de Mouloud Mammeri et Kateb Yacine) qui, comme Kamel Daoud avait quitté le hirak sous prétexte qu’il « s’était kabylisé».

Il y a une sorte de méfiance morbide envers cette région, comme si toutes les identités étaient mortifères, pour paraphraser Amin Maalouf.

C’est une haine, ou du moins une grande méfiance, latente envers une région accusée iniquement de mépris et de délire des grandeurs envers les autres.

Pourtant, ils savent pertinemment que c’est elle qui en est victime. Seule la psychanalyse pourra nous expliquer un jour pourquoi ce paradoxe, pourquoi veut-on faire passer la victime pour le bourreau !

Il suffit simplement de regarder de l’histoire de près pour savoir que cette région altruiste a travaillé pour tout le monde depuis des lustres, des maquisards kabyles ayant essaimé toute l’étendue de l’Algérie, pourtant très vaste, pendant la guerre de libération nationale 1954-1962, et même pendant le hirak où leurs « arrivées » sur Alger les vendredi de révolution du sourire étaient saluées de partout.

Les Kabyles sont les seuls à chercher à assimiler la langue de l’autre le plus rapidement possible afin de le mettre à l’aise, et de ne lui causer aucune gêne; même si ça se retourne souvent contre eux. Le comble de l’humanisme et du don de soi.

Paradoxalement et machiavéliquement, la Kabylie veut le bien pour tout le monde, mais elle reçoit le contraire en retour.

Ont dit que les kabyles sont régionalistes, alors que c’est la Kabylie qui en est victime : On imagine mal un Kabyle élu à la tête de l’Algérie par toutes les régions du pays. Une haine aussi sournoise qu’incompréhensible est nourrie et entretenue par des forces hostiles envers cette région et ses habitants accusés injustement de tous les maux.

Et même s’il y a « extrémisme » quelque part, il est le résultat des coups subis par plusieurs générations qui n’aspiraient qu’au vivre-ensemble et la coexistence pacifique dans le respect des spécificités des uns et des autres. Toutes les religions, par le passé, y étaient accueillies dans le respect et la fraternité, et tous les damnés secourus et bénéficiaires de protection et de même  droits que les autochtones.

Ironie du sort, aujourd’hui tout le monde lui demande de se renier pour espérer « l’acceptation et les faveurs » des nouveaux illuminés.

Vouloir interdire au kabyle de dire « je suis kabyle », est un acte de domination, de mépris et d’oppression. Un être humain nait avec son identité dans les gênes, on ne peut pas en faire un « OGM », pas avec les humains en tout cas. C’est de la forfaiture et à la limite de la folie.

La Kabylie refuse de se renier, c’est aux autres de l’accepter comme elle est née. Elle n’a attaqué personne et n’aspire qu’à vivre en paix, dans le respect de son identité culturelle plusieurs fois millénaire.

Au contraire, ce particularisme culturel, symbolisant les racines millénaires du pays, doit être assumé et partagé par toute l’Algérie au lieu d’essayer de l’effacer et de le couvrir du linceul de l’oubli.

Les racines de l’Algérie sont en Kabylie, à Tamanrasset (Les restes de Tin-Hinane faisant foi), dans les Aurès (L’amour de Dihya  pour sa terre toujours gravé sur les roches), à Cirta (Constantine, capitale de Massinissa), à Tipaza (Témoin des exploits de Juba) et de Zama (Champ de bataille et arène de victoire de Jugurta sur les romains), etc.

L’Algérie et toute l’Afrique du Nord auront tout à gagner en s’en inspirant pour édifier un espace d’égalité, de paix, d’humanisme, de vivre-ensemble, de coexistence pacifique et de développement solidaire.

Youcef Oubellil

Ecrivain kabyle, algérien, africain, méditerranéen, etc.

Auteur de « Arrac n Tefsut », Les enfants du printemps,

Prix Mouloud Mammeri de littérature amazighe.

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