La scène littéraire amazighe compte désormais une voix puissante de plus parmi ses figures phares. Le prix Mohand-Akli-Haddadou du roman 2025, l’un des prix majeurs consacrant la création littéraire en langue amazighe, a été décerné à Zohra Aoudia pour son roman Yelli-s n Uqettal, publié chez Talsa Éditions.
Née à Aïn El Hammam en 1982, diplômée en langue et culture amazighes, Zohra Aoudia enseigne depuis 2016 au lycée Abane Ramdane de Tizi-Ouzou. Depuis son premier roman Tiziri (2021), l’écrivaine n’a eu de cesse de sonder les douleurs tues, les silences imposés et les blessures profondes que portent les femmes dans une société où le patriarcat reste encore ancré. Son œuvre est marquée par une audace rare, une sincérité sans concession, et une écriture à la fois fluide, poétique et engagée.
Dans Yelli-s n Uqettal (« La fille, victime du tueur»), l’autrice raconte le destin tourmenté d’Elena, née d’un père français — tueur en série de femmes — et d’une mère algérienne désœuvrée. Marquée dès l’enfance par les crimes paternels, Elena est contrainte de fuir la France avec sa mère.
Commence alors une vie d’errance en Algérie, entre Oran et la Kabylie, marquée par la stigmatisation sociale, l’incarcération injuste, la solitude, les trahisons… mais aussi par l’amour et une quête inlassable de liberté.

De victime silencieuse à femme debout, Elena incarne cette résilience brute que Zohra Aoudia décrit avec intensité. Le récit, d’une grande force émotionnelle, interroge la violence faite aux femmes, les préjugés sociaux, le poids des origines et la difficulté de se réinventer dans une société où tout semble condamner celles qui dérangent l’ordre établi.
« Je parle des femmes blessées, rejetées et brisées », déclarait récemment l’autrice dans L’Expression. « Je veux leur redonner de la visibilité. »
En filigrane, le roman dénonce les regards blessants, l’enfermement social, les violences symboliques et physiques, tout en exaltant la volonté farouche d’exister, de créer et d’aimer. Elena devient musicienne, artiste adulée sur les réseaux sociaux, femme amoureuse malgré les épreuves. Mais même cette lumière est de courte durée : maladie, abandon, et départ contraint viennent encore une fois éprouver sa résistance.
Le prix Mohand-Akli-Haddadou, qui vise à encourager la création en tamazight et à célébrer des voix singulières, a salué une œuvre « d’une intensité rare », qui met en scène « une parole féminine à la fois bouleversante et nécessaire ».
Avec ce troisième roman, après Tiziri et Tadist yettwaneɛlen, Zohra Aoudia confirme sa place parmi les écrivaines amazighophones les plus marquantes de sa génération.
À travers une structure narrative simple mais habitée, elle parvient à rendre audible la douleur enfouie de tant de femmes, tout en appelant à une société plus juste, plus à l’écoute, et surtout moins prompte à juger que les apparences.
Djamal Guettala