Samedi 22 mai 2021
118e vendredi : Alger la Blanche est devenue bleu police
Enième vendredi sombre pour les libertés et le respect des droits de l’homme. Les autorités algériennes ont réprimé les marches hebdomadaires du mouvement de dissidence populaire. Entre 500 à 700 personnes ont été interpellées dans une vingtaine de wilayas.
Des dizaines milliers de policiers ont été déployés sur Alger mais aussi dans les chefs-lieux de wilayas. « Marche empêchée et réprimée à Alger et à Annaba, affrontements à Bouira, des arrestations dans plusieurs wilayas », préfectures algériennes, a déclaré à l’AFP Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
Des rassemblements ont quand même eu lieu à Béjaïa et à Tizi Ouzou, grandes villes de Kabylie (nord-est), malgré des interpellations, a précisé M. Salhi.
« Selon un premier décompte en début de soirée, près de 500 personnes ont été interpellées dans une quinzaine de wilayas », en majorité à Alger, a-t-il poursuivi.
La plupart des manifestants interpellés ont été relâchés en fin de journée, et les autres placés en garde à vue. Certains seront convoqués dimanche devant la justice, où ils risquent des peines de prison ferme.
Dans la capitale, la marche des hirakistes a de nouveau été neutralisée dès son début par un impressionnant déploiement policier, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Depuis le matin, des policiers en uniforme ou en civil avaient envahi les endroits névralgiques de la ville, bloquant les grandes artères et encerclant les mosquées d’où partent habituellement les cortèges de manifestants.
Des policiers en civil ont procédé à des contrôles d’identité des passants.
« Rues et ruelles coupées avec des véhicules de police, policiers en tenues ou en civil avec des brassards aux alentours de Bab El Oued », quartier populaire et bastion du Hirak, a témoigné Lyes, qui n’a pas voulu donner son nom de famille.
« Pour ce 118e vendredi, Alger la Blanche est devenue bleu police », a ironisé ce quadragénaire. Un autre sarcastique lance : « ils sont incapables de protéger des enseignantes qui se font violer (affaire de Bordj Badji Mokhtar, NDLR) mais ils montrent leurs muscles contre des citoyens pacifiques « .
A la sortie de la mosquée Errahma, des fidèles ont été incités à rejoindre en ordre leurs domiciles sans marcher au milieu de la rue. Le dispositif policier a dissuadé les citoyens à risquer de manifester.
A la fin de la prière du vendredi, une centaine de personnes ont brièvement manifesté devant la plage Rmila de Bab El Oued, profitant pendant quelques instants de l’absence des policiers, qui n’ont cependant pas tardé à les pourchasser, selon un journaliste de l’AFP.
Manifestations interdites
Reporters et photographes indépendants sont privés d’accréditation et ne peuvent pas couvrir normalement les marches du Hirak.
Deux journalistes ont été brièvement appréhendés, selon M. Salhi. En outre, des coupures d’internet ont entravé la couverture des médias dans certaines villes.
Le bouclage d’Alger survient au lendemain de l’ouverture de la campagne pour les élections législatives du 12 juin.
Malgré deux échecs cinglants – la présidentielle de 2019 et le référendum constitutionnel de 2020, marqués par une abstention record -, le régime, dont l’armée est le pilier, est déterminé à imposer sa « feuille de route » électorale en dépit de son rejet par le Hirak et par l’opposition laïque et de gauche.
Pour ce faire, le ministère de l’Intérieur a décidé d’obliger les organisateurs des marches du Hirak – mouvement pacifique et sans véritable leadership – à « déclarer » au préalable les manifestations auprès des autorités, ce qui revient de facto à les interdire.
Au moins 133 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le site Algerian Detainees. Le Comité national pour la défense des détenus a alerté sur des dizaines d’arrestations un peu partout. Si la majorité des personnes interpelée a été relâchée beaucoup sont en garde-à-vue. Certains seront présentés dimanche devant la justice, selon le CNLD.
Les autorités ont-elles sifflé la fin de la dissidence populaire ? Tout porte à le croire. Cependant, rien n’est réglé. Contrairement à ce qu’avancent les autorités et leurs relais, les revendications populaires n’ont pas été satisfaites. La colère est là. Depuis deux ans, une nouvelle génération de militants pacifiques est née. Pas seulement, le Hirak a montré l’infranchissable fossé qui sépare les autorités du peuple.
Les autorités croient sans doute avoir tué la dissidence populaire en déployé son imposant dispositif policier. Mais le feu couve toujours. Car le tout répressif ne peut être la solution aux problèmes politiques, économiques et sociaux qui gangrènent le pays.
Jusqu’à quand les policiers seront sur la brèche pour étouffer le peuple ? Le pays tiendra-t-il longtemps sous la cloche d’un régime dépourvu d’imagination économique ? Peu sûr.