Tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis l’indépendance à nos jours, ont affirmé que le développement est l’unique but de leurs actions, mais ces dirigeants ne définissent nulle part de quel développement il s’agit, ne précisent jamais vers quel type de société, ils entraînent leur population.
Fascinés par le mode de vie occidental, les dirigeants algériens ont développé le mythe de l’accession prochaine à tous aux bienfaits de la société de consommation sous couvert de socialisme.
Ce mythe justifie leur mode de vie et leur permet de concentrer entre leurs mains les ressources du pays et de décider de leur affectation en fonction de leurs intérêts stratégiques.
La richesse pétrolière et gazière a façonné tout un comportement social à l’égard de la consommation, des investissements, de l’emploi et du monde des affaires. Le pays s’est mis à « importer » le développement (industrie lourde des années 70, programme anti-pénurie des années 80 (des bananes, des kiwis, des appareils électro-ménagers), programme « d’importation ! » des travaux d’infrastructure des années 2000 (routes, logements, usines de dessalement de l’eau de mer), 2020, pandémie du coronavirus, saturation du système sanitaire national et international, confinement drastique des populations, effondrement du prix du baril de pétrole, confinement, ralentissement de l’activité économique, les réserves de change fondent comme beurre au soleil, la valeur du dinar dégringole, l’inflation galope, les liquidités se font rares, la planche à billets problématique.
Le FMI frappe à la porte, une porte verrouillée par la pandémie) pour finir par « importer » la survie des élites et des populations (la nourriture, les médicaments, vaccin anti-Covid-19), évolution qui a entraîné une expansion considérable du secteur des services et de l’administration et une quasi disparition des activités traditionnelles comme l’agriculture, l’artisanat, la pêche etc…
A la faveur d’une embellie financière inattendue des années 2010, le gouvernement a pu consacrer d’énormes ressources aux investissements improductifs (infrastructures en particulier). Quant aux investissements productifs ils ont eu tendance à se concentrer, dans le secteur de l’énergie essentiellement dans la transformation des hydrocarbures. Les revenus pétroliers ont gagné le secteur privé via les dépenses gouvernementales, toute une série de mécanismes de redistribution ont débouché sur la création de fortunes privées.
La rente énergétique est responsable des profondes modifications des structures économiques et de leurs caractéristiques sociales. Au cours de la décennie 70, l’explosion des prix pétroliers avait amené les gouvernements à supposer que la croissance des revenus pétroliers se poursuivrait à des taux très élevés d’où le recours abusif à l’endettement.
De telles attentes ont entraîné une estimation erronée des perspectives futures et encourager une idée fausse étant donné le manque de ressources autres que le pétrole ou le gaz. L’idéologie du développement, la construction de l’Etat et le décollage économique ont eu comme conséquence la démobilisation de la société et son indifférence vis à vis des problèmes du pays.
Tout un comportement social à l’égard de la consommation, de l’emploi, et du monde des affaires a été façonné par la rente énergétique. Elle a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale.
Elle a constitué un soporifique en masquant toutes les insuffisances en matière de production et de gestion. Elle a donné naissance à une classe de privilégiés assoiffés de richesses matérielles surtout d’origine étrangère.
Les variations constitutionnelles, la confection des lois et les pratiques institutionnelles ne sont tendues en réalité que vers la consolidation et la mainmise de la petite bourgeoisie sur l’Etat, les sources d’accumulation, et les prébendes distribués par le capital international. L’Etat devient une réalité incontournable pour survivre ou s’enrichir. Les solutions technocratiques fondent l’exclusion de larges segments sociaux de l’Etat et du processus de développement.
L’histoire postcoloniale démontre en effet que l’Etat dans son extension a réussi à dominer la société et non à la servir. De plus la stratégie conçue et mise en œuvre par l’Etat s’intègre parfaitement dans la ligne de valorisation du capital des multinationales et ne pouvait se poursuivre que par un endettement externe important gagé sur l’existence réelle ou supposée des ressources potentielles en hydrocarbures. A l’intérieur, ce modèle ne cesse d’accentuer les antagonismes sociaux et de faire baisser le pouvoir d’achat de la majorité de la population.
L’Etat, en tant que structure institutionnelle est discrédité, politiquement et économiquement. Le pays qui serait capable de relever le défi de cette fin du vingtième siècle est celui qui comprendra la nature historique que traverse le monde actuel. Il est donc nécessaire d’avoir à la tête de ce pays, des hommes qui saisissent la réalité historique.
L’exploitation de la récente discussion académique sur l’économie politique a montré comment la direction politique du pays se prive elle-même et à un haut niveau, d’un potentiel de renouvellement à cause d’une formation idéologique marquée et d’intérêts précaires bassement matériels.
La plupart des dirigeants qui se sont succédés de l’indépendance à nos jours semblent considérer l’Etat comme le « veau d’or », qui par sa nature et sa puissance doit résoudre tous les problèmes auxquels il se trouve confronté ; ce qui explique en partie le fétichisme de l’Etat et le culte du pouvoir fort.
Les revenus pétroliers et gaziers constituent la principale ressource du pays. Grâce à ces revenus, l’Etat s’est démarqué de la société. Du fait du contrôle par l’Etat des recettes pétrolières, l’appropriation de cette richesse étant le fait de l’Etat, l’accès à une part de celle ci dépend de la participation au pouvoir c’est à dire de la classe qui domine l’Etat ou du moins se confond avec l’Etat. L’Armée au pouvoir choisit d’appuyer le développement sur les recettes pétrolières c’est à dire sur l’extérieur plutôt que sur le travail c’est à dire les forces internes productives.
Cette richesse pourtant loin d’être porteuse d’une possibilité d’indépendance est au contraire indice d’une dépendance totale à l’égard du marché mondial et des sociétés multinationales qui le dominent puisqu’elle s’accompagne de l’impossibilité absolue d’en contrôler la source.
De plus, cette richesse provenant de l’extérieur fait l’objet d’une demande de redistribution que l’Etat ne peut maîtriser pour importer les biens de consommation de base d’où le recours à l’endettement pour combler une réduction des recettes pétrolières. Il apparaît donc clairement que la rente pétrolière, instrument de domination et de dépendance, tant qu’elle est la source essentielle pour ne pas dire exclusive d’enrichissement de la classe dominante entrave la formation des classes telles que la bourgeoisie et le prolétariat, acteurs indispensables d’une économie de marché.
D’un côté, la classe dominante, pour asseoir son pouvoir, avait intérêt à favoriser la population en développant une politique de redistribution élargie à toutes les catégories sociales, ce qui lui a permis de repousser la lutte des classes à plus tard. De l’autre la majorité des citoyens ne peut que tenter d’obtenir une part plus grosse du « gâteau », à moins de rejeter le système.
En réalité, ils n’ont ni les moyens, ni véritablement intérêt à remettre en cause ce système qui leur permet d’espérer un niveau de vie relativement acceptable sans fournir d’efforts en conséquence. En effet, ce sont les ressources offertes par le pétrole, le gaz ou l’endettement qui permettent l’augmentation générale des salaires sans croissance correspondante de la productivité.
Cette situation est appelée à être dépassée au fur et à mesure que les agents économiques et sociaux prennent conscience de leur autonomie et au fur et à mesure que l’économie devient productive, féconde et créative. Le développement étatiste de l’économie, inspiré de l’expérience soviétique, acclamé par les populations, récupéré par les multinationales et subies par les entreprises publiques, a provoqué de profondes transformations sociales notamment l’émergence et la consolidation d’une élite de gestionnaires et de dirigeants particulièrement favorisée, fonctionnant de plus en plus comme une aristocratie dont l’accès est interdit par une processus de sélection.
En outre, le rôle très limité du syndicat, lequel s’identifiait au pouvoir politique fait qu’il n’y a pas d’émergence d’une conscience de classe dans le milieu des travailleurs. La logique dominante n’est pas celle de la production de la plus-value mais une logique de redistribution de la rente.
La classe au pouvoir confondue avec l’Etat, réorganise la société autour d’elle, elle engendre tout d’abord une forte classe appui grâce à la salarisation dans les administrations et les entreprises publiques, salarisation qui signifie en Algérie, émargement au rôle de la rente en contrepartie de son allégeance implicite à la classe au pouvoir.
L’intellectuel n’a pas pour fonction de produire des idées mais de reproduire celle diffusées par l’Etat, il doit se confondre avec le projet de l’Etat. La rente devient le fondement d’un discours étatique sur la société, l’Etat ne cherche pas à mobiliser le travail, la créativité, l’innovation, il en appelle au contraire à l’obéissance, à la docilité, à la dépendance ; il n’ y a aucune possibilité de remise en cause du système inspiré, suscité, soutenu et entretenu par l’extérieur et verrouillé à l’intérieur par le bâton et la carotte. Le tout enveloppé dans une idéologie « nationaliste et populiste » baignant dans une atmosphère de « pseudo-modernité ».
Dr A. Boumezrag