16 avril 2024
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22 février-5 juillet : Forcer le destin pour une féconde jonction

REGARD

22 février-5 juillet : Forcer le destin pour une féconde jonction

Jamais l’anniversaire de l’Indépendance du pays, 5 juillet, n’a pu bénéficier d’un tel intérêt, d’une telle ferveur et d’une telle appropriation, comme l’est celui de cette année. Jamais, non plus, ce même anniversaire n’est empreint de telles masses de nuages et de si angoissantes interrogations.

En ce 27e anniversaire de l’Indépendance, l’Algérie est grosse d’un bébé que tous les Algériens attendent avec impatience. Ils y ont travaillé avec constance, fougue et détermination depuis que, le 22 février 2019, ils ont décidé de faire annuler le 5e mandat sollicité par Bouteflika et, par la suite, d’exiger la fin du système qui a régi le pays comme une boite privée depuis 1962 et l’instauration de la 2e République. C’est sous le titre « A quand la seconde République » que j’ai intitulé une de mes contributions au lendemain du passage en force de Bouteflika en 2014, inaugurant son discutable et fatal quatrième mandat. Deux ans après, au milieu même de ce fameux mandat où furent conçus et fomentés un grand nombre de scandales de corruption examinés aujourd’hui par la justice, j’ai eu à intituler une autre chronique: « L’esprit d’indépendance malmené par la rente et le déni du droit« . Le titre de l’ouvrage de Ferhat Abbas « L’indépendance confisquée » trouve aussi la profondeur de sa sémantique dans les poésies chantées par Ferhat Imazighène Imoula, Matoub, Aït Menguellet, où ces éclaireurs de la société ont eu à dire les désenchantements qui ont suivi la libération du pays du fait de l’usurpation de la légitimité de pouvoir par des forces venues des frontières, tapies là depuis des années attendant de réaliser le push et de sauter par-dessus la volonté populaire.

Le soulèvement du peuple contre le 5e mandat est généralement présenté comme un « coup de tonnerre dans un ciel serein ». Il n’en est réellement rien. L’accumulation des frustrations et des humiliations infligées par le régime de Bouteflika à tout un peuple a conduit fatalement à une sorte de « fermentation adiabatique » qui, par suite de cette énième provocation (le 5e mandat), fera sauter la marmite en ce 22 février, précédé par le premier coup de starter donné à Kherrata le 16 février.

Lorsque les populations des 48 wilayas d’Algérie sortirent, par un vendredi, dans un mouvement de foule pour refuser le prolongement du mandat de l’ancien président, le monde en est resté coi et hébété. Ce peuple que l’on croyait résigné à jamais, que l’on disait anesthésié par la rente, montre subitement un autre visage, une autre âme, celle-là même qui l’avait animé dans son combat contre le colonialisme. La marche vers la libération politique- ayant engrangé plusieurs avancées (annulation du 5e mandat, chute de Bouteflika, annulation des élections prévues pour le 18 avril, refus de la parodie d’élections présidentielles prévues pour le 4 juillet,…)- fait passer aujourd’hui au compteur le 20e vendredi. Il coïncide avec la célébration du 5 juillet, anniversaire de l’Indépendance.

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Un signe de bonne santé politique et culturelle

Dans le contexte de la révolution du Sourire que mènent les Algériens depuis près de cinq mois, toutes les questions, aussi « gênantes » soient-elles, en relation avec la date du 5 juillet, sont légitimes et doivent être reçues comme un signe de bonne santé politique et culturelle. C’est que, ces éventuelles questions, devant venir de la jeunesse d’aujourd’hui, on les attendait désespérément depuis plusieurs années. Lorsqu’elles arrivaient simplement à dessiner leurs esquisses, c’était souvent sur un ton de colère et de « rebuffade » qui égrènent mal les mots. En d’autres termes, les jeunes, mal renseignés par l’école algérienne, et happés par le clinquant d’un ersatz de communication assuré par les outils de la technologie moderne, développent une certaine haine de soi et de l’Algérianité, phénomène qui leur font miroiter un paradis sous les latitudes les moins connues d’eux. Le désir de fuir le pays, quoi qu’il en coûte, est loin d’être exclusivement lié à un problème de chômage. Un jour, sans doute, les sociologues et d’autres analystes se pencheront sur ce phénomène- le désir de fuir le pays- qui ronge la société algérienne, particulièrement au cours de ces dix dernières années.

Les mots, tels que « révolution » ou « indépendance » sonnent presque faux dans l’oreille des jeunes. C’est que, ces notions n’ont malheureusement pas bénéficié de prolongement et d’enrichissement de leur sens à l’aune des nouveaux défis que sont censés relever les Algériens 57 ans après la déclaration d’indépendance du 3 juillet 1962. Faudrait-il alors s’étonner du manque d’intérêt accordé à la matière Histoire, telle qu’elle est enseignée à l’école? L’élève est appelé à apprendre machinalement les dates et les noms propres- s’il n’est pas happé par a tentation de copier-pour se préparer aux examens. Puis, plus rien. Ni lectures complémentaires, ni culture générale portant sur le sujet.

Même les organes audiovisuels, publics et privés, n’arrivent pas à sortir de la routine de la niaise glorification à tout va. Ils n’arrivent pas à créer de l’animation autour des sujets d’histoire, à inviter les acteurs encore en vie et à débattre de certaines questions restées jusqu’ici taboues. Des analystes ont même pu expliquer certaines dérives, qui ont conduit la jeunesse algérienne à s’engouffrer dans de faux clivages et dans des combats douteux- où se côtoyaient l’extrémisme religieux, voire le terrorisme, avec le nouvel analphabétisme culturel et politique-, par, entre autres raisons, cette méconnaissance de l’histoire récente du pays qui a fait émerger l’Algérie de la longue nuit coloniale.

En ce 5 juillet 2019, les Algériens font une halte au milieu de mille interrogations et d’une masse d’espoirs. Une halte, pendant la…marche, plutôt les marches qui animent ce vendredi l’ensemble du territoire national.

En 1954, le peuple algérien n’était armé que de cette volonté de se libérer d’un joug séculaire, quoi qu’il lui en coûtât. Après le passage de cinquante-sept années, les Algériens se sentent légitimement en droit de procéder à un bilan sur la gestion du pays sur les plans politique, social, économique et culturel. Il ne s’agit nullement de se livrer à de chimériques et abjects règlements de comptes, comme nous en donne l’impression la justice depuis quelques semaines. Le système bâti depuis 1962, autoritaire, usurpateur de la volonté populaire et grand maître dans la distribution de la rente pétrolière, a construit un système réticulé, fait de clientèles et de mille allégeances, au point de compromettre presque tout le monde.

Déclaration lapidaire mais à longue portée

Dans la conjoncture révolutionnaire d’aujourd’hui, il s’agit de tenter de tirer les leçons qui pourraient aider à comprendre le présent et à dissiper, autant que faire se peut, les nuées opaques qui continuent d’assombrir le ciel algérien. Malgré son caractère bref et expéditif, la déclaration du 1e novembre 1954 avait tracé les grands traits des profondes aspirations du peuple algérien- libération de la patrie et fondation d’une république démocratique et sociale -que sont venus prolonger et consacrer les principes adoptés au congrès de la Soummam, moins de deux ans après les coups de feu de la Toussaint. Que sont ces principes et ces espoirs devenus six décennies après? Conduit au gré intérêts et des humeurs de l’équipe qui a vu son étoile poindre quelques mois avant l’Indépendance, avec la force des armes, l’Algérie a été soumise à un système qui l’a embrigadée et qui a cassé les ardeurs et les ressorts de la société.

Cette autocratie allait, quelques années plus tard, se fortifier par le système de la rente issue des hydrocarbures; rente qui, par une espèce de malédiction, a vu son graphe monter en valeur exponentielle et ses clientèles monter en influence. Ce qui neutralisé, via le parti unique, toutes les énergies du pays et ses valeurs ancestrales basées sur le travail et la solidarité. Du même coup, ce sont les valeurs de novembre qui allaient progressivement s’oblitérer au profit de la culture de la rapine, de l’arriération culturelle, du règne de l’arbitraire et d’une dangereuse vacuité dans laquelle évolue aujourd’hui la jeunesse, laquelle représente plus de 70% des 43 millions d’Algériens.

Tant que cela a été possible, on acheta le silence et l’acquiescement des populations, avec une politique qui se vantait d’avoir ses moyens, ceux de l’argent et de la corruption. Les limites de cette politique ont commencé à s’esquisser depuis 2014 (un quatrième mandat enveloppé dans un baril qui se réduit en peau de chagrin. Ces limites ont cédé devant la déferlante populaire au début de l’année 2019, lorsque le pouvoir prit le risque d’humilier le peuple pour la nième fois avec un 5e mandat sollicité pour un être grabataire dont les missions réglementaires étaient assumées depuis au moins cinq ans par des forces extraconstitutionnelles.

Devant l’impatience pacifique des Algériens de voir leur destinée changer résolument de cap, afin d’avoir accès au rang de peuple émancipé, honorer le combat des aînés et mettre fin à toutes formes de rente- aussi bien de légitimité historique que de pétrole-, ceux qui, aujourd’hui, sont investis de l’autorité de fait, après la chute de l’ancien président, n’ont réellement le choix- malgré les tergiversations et les manœuvres qu’ils continuent à développer-, que d’accompagner le peuple dans la gestion de la transition, puis de se retirer afin que les Algériens inaugurent librement les nouveaux horizons auxquels ils aspirent depuis la fin de la guerre d’indépendance, horizons de la liberté, de la démocratie, de la justice sociale, du développement durable et de la citoyenneté.

 

Auteur
Amar Naït Messaoud, journaliste

 




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