En Algérie, la crise politique s’éternise. Cette crise, apparue dès les premiers pas de l’indépendance, se prolonge près de sept décennies plus tard. Ses racines plongent dans le dévoiement du projet national.
Né de l’élan révolutionnaire de Novembre 1954, le projet national esquissait la genèse d’un Etat démocratique ambitieux, fondé sur la liberté, l’égalité, la solidarité, et la modernité. Le congrès de la Soummam (1956), étape cruciale dans l’organisation de la révolution algérienne, avait par ailleurs consolidé cet idéal en posant ses bases fondamentales.
Cependant, cet idéal démocratique a rapidement été sacrifié par des luttes de pouvoir au sein du FLN, initiant ainsi un tournant autoritaire dans l’histoire de l’Algérie. De toute évidence, iIl ne convenait pas à des factions du FLN (Front de Libération Nationale) qui refusèrent de subordonner le pouvoir politique à l’autorité du droit. Influencées par le modèle autoritaire du régime égyptien et cédant aux appétits de pouvoir, ces factions avaient renoncé aux idéaux révolutionnaires, étouffant ainsi ce projet pour instaurer un système bureaucratique aux pratiques de gestion patrimoniale.
L’usurpation du pouvoir et homogénéisation nationale
Les fossoyeurs de la révolution s’emparèrent du pouvoir par la force. S’appuyant sur des contingents de l’ALN (armée de libération nationale) qu’ils avaient détournés du combat libérateur en les cantonnant aux frontières durant la guerre, ils ont écarté les instances légitimes de la révolution ainsi que ses véritables architectes. En conséquence, en mettant en échec les valeurs démocratiques initiales, ces nouveaux dirigeants instaurèrent un régime totalitaire où la terreur, érigée en système politique, est devenue la pierre angulaire du contrôle politique et social dans l’Algérie postindépendance. Ce contrôle s’est rapidement étendu aux aspects culturels, visant à homogénéiser la société et à nier les particularismes régionaux.
Le processus d’homogénéisation, prétendument destiné à unir la nation, a profondément affecté tous les aspects de la société. Il vise un contrôle total sur chaque sphère de la vie individuelle. Ancré dans une idéologie arabo-islamique rigide, ce processus vise à couper le lien avec les origines et l’ancestralité, à dissoudre les particularismes culturels et à exercer une totale domination pour ne produire qu’un individu uniformisé, qui soit un rouage parfaitement intégré dans une machine étatique, dénuée d’aspérités.
Ce contrôle total s’est notamment manifesté dans le domaine éducatif, transformé en outil d’endoctrinement idéologique où l’esprit critique, l’ouverture au monde et les échanges interculturels sont rigoureusement proscrits. Le musèlement de la liberté d’expression, la censure des œuvres littéraires censurées, les activités culturelles interdites, les libertés académiques attaquées et les récentes descentes inquisitoriales régulières des inspecteurs de l’administration centrale dans les écoles privées sont un aspect de cette dérive.
Dans cette volonté de contrôle absolu, le régime ne tolère aucune forme d’organisation autonome de la société. Des associations et des partis politiques sont persécutés ou dissous s’ils osent remettre en question le pouvoir en place. Même les structures sociales traditionnelles, telle que l’agora du village, jadis tolérées sous l’occupation, se trouvent désormais menacées de disparaitre par le chantage sur l’agrément, délivré à discrétion par l’administration.
Au-delà de la dimension culturelle, cette volonté de contrôle total s’étend également à la condition des femmes, maintenues dans une position de subordination légale. Elles demeurent victimes d’une oppression systémique, assignée par un Code de la famille qui les confine dans un statut de mineures permanentes, renforçant davantage leur marginalisation.
Ce processus d’uniformisation est désormais hors de contrôle ; des agents, infiltrés dans la société et dans les institutions, ont en perdu toute mesure. Un aveuglement collectif, auto-alimenté, entraîne inéluctablement le pays sur une despotique semblable à celle des Talibans.
En témoignent la chape de plomb qui maintient le peuple en servitude, la généralisation des censures et des interdits dans les domaines littéraire, scientifique et culturel, ainsi que l’absurde volonté d’éradiquer la langue française, induisant la cacophonie dans le choix des langues d’enseignement.
La persécution, instrument de contrôle du régime
Outil central du maintien du régime, motivé par des considérations mêlant des facteurs politiques, socio-économiques et idéologiques, la persécution s’impose comme un mécanisme d’aliénation qui asphyxie le potentiel créatif et le génie du peuple. Elle inflige au nom d’une identité fabriquée des traitements systémiques aux opposants, aux défenseurs de la démocratie et à ceux et celles qui résistent à la matrice idéologique empruntée à l’orient.
Elle se déploie sous diverses formes, allant de restrictions des libertés, censure, déni culturel et identitaire, falsification de l’histoire, arrestations pour délit d’opinion, maltraitance psychologique, exclusion politique et discours de haine.
Son intensité s’est renforcée par l’adoption de lois criminalisant l’opposition, offrant ainsi une base légale à la répression sous couvert de sécurité nationale.
Cependant ce système, en institutionalisant la répression, alimente également les préjugés et les stéréotypes, contribuant ainsi à exacerber les tensions et à accentuer les fractures au sein de la société algérienne.
La stigmatisation
Dans cette répression systématique, la Kabylie, utilisée comme levier de division et de contrôle social, a particulièrement souffert de cette uniformisation forcée.
Perçue comme une menace au régime en raison de son soutien historique au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), cette région a en effet longtemps servi de bouc émissaire et d’ennemi commun pour fédérer le reste de la population autour d’une identité forgée et normative. Ses particularismes linguistique et culturel, source de tension avec le régime, la mettent en dehors de la norme établie.
Stigmatisée sur la base de sa singularité culturelle, linguistique et identitaire de façon à avoir le soutien des autres populations, elle a été la première victime du profond processus de transformation, inscrit dans cette stratégie de domination à laquelle le régime veille scrupuleusement.
Mais loin de produire l’unité escomptée, cette politique où l’on confond l’unité linguistique et religieuse et l’unité politique ne fait qu’accentuer les clivages et entraver l’intégration socio-économique et culturelle du pays, fournissant alors aux ennemis qui cherchent à déstabiliser l’Algérie la possibilité d’exploiter ces minorités comme des leviers de division.
L’extension de la persécution à l’échelle nationale
Avec l’essor des mouvements démocratiques, ce mécanisme de répression, d’abord concentré en Kabylie, région frondeuse, dont des raisons historiques ont en fait le bastion de la résistance et des luttes démocratiques, s’est peu à peu étendue à l’ensemble de l’Algérie. La mobilisation du 22 février 2019, catalysé par des décennies de frustration et d’oppression, a marqué un tournant en unissant des millions d’Algériens contre l’autoritarisme du régime. Pour être hérétique au régime totalitaire, l’ensemble de la population est désormais pénalisé.
Cette dynamique, marqué par l’intrusion du Hirac dans la scène politique, a ainsi poussé le pouvoir à intensifier la répression, notamment avec l’adoption de l’article 87 bis, qui criminalise toute tentative de réforme en l’assimilant à de la subversion ou du terrorisme, prétendant que ces réformes s’écartent du cadre constitutionnel strictement défini.
Le régime ne respecte, aujourd’hui, plus aucune règle démocratique, même en apparence.
Porté depuis la guerre en Ukraine par des alliances qui légitiment son autoritarisme sous couvert de spécificités culturelles, Il se sent, dans son outrance, protégé des pressions internationales.
Un impératif de réforme
Cependant, sans réformes démocratiques profondes, l’Algérie s’expose aux chaos des révolutions et de l’anarchie, alors que l’Etat est déjà fragilisé par la nature chaotique des successions au pouvoir, souvent régie par des dynamiques claniques.
En somme, après ces décennies de persécution et de répression, le temps est venu pour le pays de transcender l’héritage du congrès de Tripoli et de bâtir une citoyenneté véritable, soutenue par une armée soustraite à l’informel, comme l’a évoqué Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale.
Une transformation profonde est impérative pour bâtir une Algérie émancipée de la tyrannie des factions, et résolument tournée vers un avenir de justice et de démocratie.
Le potentiel du peuple algérien, riche d’histoire et de résilience, est immense pour initier ces réformes démocratiques et tracer un chemin vers un renouveau national. Comme d’autres nations ayant surmonté des épreuves similaires, l’Algérie doit à son tour s’engager dans un processus de réforme pacifique, inspiré par les valeurs universelles de liberté et de dignité, et offrir ainsi aux générations futures un pays uni et prospère.
Hamid Ouazar, ancien député