Vendredi 20 septembre 2019
XXXIe Vendredi : les manifestants marchent contre Gaïd Salah
Crédit photo: Zinedine Zebar.
Les habitants de la capitale défilent dès la matinée dans les rues d’Alger. En début d’après-midi, les manifestants arrivent, par cohortes successives, de toutes parts, afin d’accomplir leur rituel hebdomadaire. Leur nombre se décuple chaque vendredi depuis la fin du mois d’août. Les forces de police, aussi, se multiplient.
Le parcours est cadré par des véhicules de police, du haut de la rue Didouche-Mourad à la Grande Poste. Les policiers sont calmes et arborent un air sceptique. Ils n’ont l’air de saisir ni le comment ni le pourquoi.
Les marcheurs tiennent à apporter une réponse forte et claire aux élucubrations du pouvoir qui feint d’oublier que l’une des plus prestigieuses luttes politiques et armées durant la guerre de libération est la bataille d’Alger est menée par des civils, Algéroises et Algérois. Ils démontrent à tous ceux qui insinuent qu’Alger, sans le renfort des wilayas limitrophes en termes de nombre de manifestants, ne pèse rien qu’ils ont tort.
Il y a une évidence désormais avec laquelle il faut compter : fermer ou ne pas fermer les entrées de la capitale n’influera en rien sur la teneur de la contestation : son enracinement dans la société et son indiscutable légitimité.
Marche du 20 septembre à Alger. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Les centaines de milliers de manifestants crient « La khaouf la ro3b echara3 malk echaab i.e pas de peur pas de terreur la rue est la propriété du peuple afin de marquer leur territoire. Ils scandent avec les quelques centaines de manifestants qui ont réussi à contourner les barrages : « djina haraga lel3assima i.e nous sommes rendus comme des immigrés clandestins à la capitale ». Il leur souhaite la bienvenue en chantant « Fi el 3asima marhaba bikoum i.e bienvenue dans la capitale ».
Ils hurlent en sautillant : « Tsunami fi el 3assima tsunami i.e tsunami dans la capitale » au regard de l’affluence considérable qui rappelle celle de février, mars. Les marcheurs ne cessent de scander « 3asimafi elhisar yalil3ar yalil3ar i.e capitale en état de siège quelle honte quelle honte ou en encore Hadi daoula oula isti3mar ? i.e est-ce un état ou une puissance coloniale ? »
La protesta recouvre son éclat au fur et à mesure que les marcheurs sentent l’heure du dénouement se rapprocher. Ils répondent aux tenants de la décision, représentés par le vieux général, suite au discours incendiaire qu’il a prononcé la semaine écoulée : ils sont là, bien présents et en total désaccord avec ses décisions.
Ils défient le chef d’état-major en rejetant les élections, et insistent sur le fait qu’ils n’en veulent pas dans de telles conditions, avec le gang, qu’ils ne cesseront pas en chantant : « Echaab mahou habass idiouna ga3 lelhabs i.e le peuple ne s’arrêtera pas, emprisonnez nous tous » ; « makach el vote ya shab el casse-croute i.e pas de vote quémandeurs de casse-croute ; ism3i ya doubaba hagda ouassani baba manvotich m3a 3el 3issaba i.e écoute drone mon père m’a dit de ne pas voter avec le gang. Ils redisent leur fameux slogan qui explique bien qu’ils ne se rendront pas aux urnes tant que Bedoui et Bensalah seront là. Ils répètent à l’unisson et durant toute la manifestation dirou el intikhabat fi elimarat i.e faites les élections aux émirats par allusion aux relations qu’entretient le pouvoir avec les émirats ou encore Hé viva l’Algérie makach el vote i.e hé viva l’Algérie il n’y aura pas d’élections. »
Ils hurlent qu’ils sont dorénavant les tenants de la décision : « Siyada cha3bia marhala intikalia i.e suprématie au peuple, période transitoire ; Selimou slimou essolta lecha3b i.e remettez le pouvoir au peuple. »
Ils rappellent l’arrivée imminente de la désobéissance civile et crient : « noudhou ya el 3asima noudhou habitants de la capitale réveillez-vous ou encore « lirah fi eddar yelbas la3djar i.e celui qui est à la maison n’a qu’à mettre le voile pour inciter les réticents à venir rejoindre la protesta. Les arrestations de ces derniers jours ont révulsé plus d’un dans le pays.
Les manifestants, en ce vendredi, résument toute la contestation en leur farouche et irréversible opposition au vieux général. Tout en exprimant leur désir de voir éclore état civil, ils ressassent leur ras le bol des généraux et réclament la chute du vieux général. Ils scandent Gaid Salah Bensalah arrahlou i.e Gaid Salah, Bensalah, allez-vous en.
Marche du 20 septembre à Alger. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Ils concoctent une chansonnette à l’adresse du vieux général : ya elgaid fa9 el ghachi, Had eche3b jamais iouali lel passé, lel passé, el barah m3a Saïd, des amis des amis, ou kount lel3issaba ettahi 3inani 3inani pouvoir assassin, assassin i.e Hé Gaid, les gens ont compris, le peuple ne retournera jamais vers le passé, hier toi et Said Bouteflika vous étiez des amis, tu étais au garde à vous devant le gang, au vu et au su de tout le monde, pouvoir assassin, assassin. Ils hurlent durant toute la durée de la manifestation : Nahina echaretta mazal el casquetta, nahina echaretta mazal bou3alita i.e on a enlevé la charrette (Bouteflika) il reste la casquette (Gaid), on a enlevé la charrette il reste l’enveloppé.
Le torchon brûle définitivement entre les millions de protestataires et le chef d’état-major. Les discours, actions, décisions de ce dernier semblent aller dans le sens inverse de leurs désirs. Ces millions de marcheurs, porteurs d’énergies, qui ne demandent qu’à être canalisées, pour une Algérie meilleure, semblent livrés à eux-mêmes et ils s’en accommodent magistralement. Ils réalisent que l’idéal qu’ils ont entrepris de rechercher, il y a 7 mois, est aux antipodes de ce que leur propose l’état-major de l’armée représentée par son chef : ils le lui ont bien signifié.