24 novembre 2024
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Tamazight, otage de la Constitution

Polémique

Tamazight, otage de la Constitution

Ce n’est sans doute pas un hasard du calendrier officiel si l’annonce de la future académie de la langue amazighe s’est faite dans la foulée de l’étonnante ferveur des festivités consacrées à la journée de « la paix dans le monde » telle que décrétée, «mondialisée» ainsi pour marquer, dans l’embrasement même du monde arabe, le 12e anniversaire de la concorde civile du règne des quatre mandats du président de la République.

Ainsi, l’officialisation de tamazight – en tant que langue, culture, et civilisation – est un gage, un ciment, cette fois, à une double concorde civile : celle non pas seulement d’une Kabylie mais d’une Algérie redditionniste qui se gargarise de voir enfin ses combats démocratiques portés jusque-là par une langue irrédente, qui a lutté des siècles durant contre la conquête islamique, devenir enfin langue officielle ; et, celle du magma de la mouvance de l’islamisme politique et de ses bras armés consacrés eux aussi officiels depuis les pseudo-redditions mises en spectacles par les médias officiels.

Mais si ce 12e anniversaire de la concorde civile a été, cette année, «mondialisé » sous le slogan-label «la paix dans le monde» ayant mobilisé tous les médias, il n’en est pas de même pour l’annonce de la concrétisation de cette académie de la langue amazighe annoncée mercredi 6 juin dernier lors d’un conseil des ministres dans un fatras d’autres annonces aussi insipides que folkloriques.

La consécration de tamazight langue officielle intervient enfin, après une révision «poudre aux yeux » de la constitution, dans un quatrième mandat finissant sur le recours de la planche à billet d’une autre mandature.

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Lors de l’annonce de l’officialisation de la langue amazigh, quelques zélateurs « intellectuels » berbérophones de service  tout en critiquant sur la forme – sur un plan purement technique – la constitution, ont admis – du bout des lèvres certes – que le pouvoir a  consenti quand même quelques avancées démocratiques et que, ce faisant, l’officialisation de la langue tamazight en est la preuve éclatante sans aller jusqu’à faire le lien avec les mouvements insurrectionnels de 1963, 1976, 1980, 1980, 1980, 1988, 2001. L’un des intervenants s’est plu à dire que même si « la constitution ne sert  à rien», «reconnaissons tout de même qu’elle porte là une des avancées majeures en officialisant tamazight», oubliant ou faisant mine d’oublier que ladite constitution a été bien souvent «l’opium et le bâton ».

Tous les débats organisés par les médias officiels algériens auxquels ont pris part diverses personnalités politiques de l’opposition dite démocratiques, d’universitaires et autres fonctionnaires de l’Etat ont admis le fait accompli dans la négation même de leur ligne idéologique à l’endroit du pouvoir jugé jusque-là pour certains «mafieux», pour d’autres «illégitime», pour d’autres, enfin, « incapable » de gérer le pays. Et voilà que, pour eux, ce même pouvoir «illégitime» est, en un tour de main et de magie, capable de produire des textes légitimes, de consacrer tamazight «légale», c’est-à-dire officielle alors même que lui-même peine à l’être. Ce que le philosophe Althusser appelle «l’obscénité conjugale» dans un autre contexte d’analyse (le mariage entre l’Eglise et l’Etat) trouve, ici, sa parfaite illustration.

Or son injection dans la constitution est une piqûre mortelle pour tamazight qui cautionne ainsi tous les attributs d’une République islamique, une «dawla islamiyya». Pourquoi ? Pour trois raisons au moins.

1.- L’article matriciel, celui qui définit les fondations de l’Etat algérien, sur lequel toutes les fondations sociale, économique, linguistique, culturelle, cultuelle, identitaire, s’érigent est l’article 2 de la constitution, inamovible : « L’Islam est la religion de l’Etat ». Comment comprendre cet énoncé lapidaire hors de ses contextes politiques et idéologiques ? Comment ceux-ci ont-ils pu mettre à sac, en faillite cet Etat, le saigner à blanc, érigé la corruption systémique en mode de gouvernance tout en prétendant préserver par ce verbe «être» au présent intemporel, éternel, la pureté de l’Islam qui prétend l’Etre même de la Religion de ce type d’Etat ?

La première langue à en pâtir est l’arabe qui, dès le recouvrement de l’indépendance du pays, érigée comme langue du sacré, du «Coran » n’a pas échappé à cette corruption endémique. Car, alors même qu’elle a été «officialisée comme «langue unique» par un «parti unique» dans une «pensée unique», elle a servi, à son corps défendant et défendu, d’instrument de répression de l’idéologie « arabo-baathiste ». Injectée dans un tel environnement pseudo-juridique et pseudo-constitutionnel, la belle et riche langue arabe, classique et orale, orientale et maghrébine, a subi des érosions préméditées et vite tournées en instrument de répression entre les mains du pouvoir qui la baragouine. On lui a créé une académie fantôme, des dictionnaires de référence qui s’empilent dans d’obscures institutions, des programmes scolaires rétrogrades et des politiques d’arabisation plus d’arabité que pédagogiques. Et c’est sur ce fiasco d’une politique d’«arabisation» aussi vieille aujourd’hui que l’indépendance du pays que Madame la ministre de l’Education propose que la langue arabe dialectale serve de métalangage générique à tous les cours d’apprentissage !

L’officialisation de tamazight échappera-t-elle au malheureux sort de celle de la langue arabe ? Que non ! Car le contexte politique de l’officialisation de tamazight comparé à celui des conditions dans lesquelles s’est faite la langue arabe est plus délétère encore. Comparons les deux à grands traits :

L’officialisation de la langue arabe s’est faite dans l’euphorie du recouvrement de l’indépendance. Elle apparaît ainsi comme une entité « légitime » inséparable de l’Indépendance et de la religion du moins telle qu’énoncée dans le texte de la Charte d’Alger avant que ne s’opère le glissement sémantico-idéologique de son « arabo-baathisme » dans la Charte nationale. Le mouvement insurrectionnel du FFS de 1963 n’a pas remis en cause cette officialisation de la langue arabe comme «langue officielle unique» et n’a pas posé le problème de « tamazight » laissé en chantier depuis la crise berbériste de 1949.

2.- 55 ans après 1963, ce 2018, l’officialisation de tamazight intervient 38 ans après le Printemps berbère et 17 ans après le printemps noir. Dans un pays en constante ébullition, où tout se détruit, où les mémoires s’ensevelissent sous des amas d’immondices, c’est presque de la préhistoire. Mais ce qui ressort surtout, ce qui reste à vif, plaies béantes, est que cette officialisation de tamazight s’est faite dans le sang des 130 victimes de ses locuteurs, tuées à bout portant par des  gendarmes bourreaux qui bénéficient, à ce jour, de l’impunité la plus totale de ce même pouvoir qui décrète l’officialisation de la langue de ses victimes.

De plus, et pour revenir, à cette journée de «paix mondiale» ou «mondialisée», celle du 12e anniversaire d’une concorde civile qui se prolonge dans le temps parce que inaboutie – les communiqués de l’armée sur les destructions des casemates et arrestations de terroristes de terroristes faisant foi – ainsi que la décennie noire conçue comme une période close – comment consacrer une langue et qui plus est tamazight sur un charnier de plus de deux cent mille morts et autant de disparus et dont les chefs politiques de cette hécatombe ont pignon sur pouvoir comme sur rue ? Tamazight est-elle ainsi ce « ballon de Baudruche » véritablement dégonflé depuis ce voyage présidentiel à Tizi Ouzou en 1999 et où il y eut des mains locales et prestes pour l’applaudir ?

3.- Enfin, la troisième raison pour laquelle l’injection de tamazight dans la constitution lui est une piqûre mortelle est simple. Le pouvoir est incolore et inodore. Son centre de gravité, sa force d’attraction autour de laquelle gravitent tous les partis, y compris les partis démocratiques, est la rente, y compris celle de la planche à billet si les puits de pétrole venaient à tarir. Il est capable – il l’a été à plusieurs reprises – de pactiser avec le diable pour ses intérêts rentiers. Bâti sur le pactole, sur l’accumulation primitive des richesses à la manière de la ruée vers l’or du far-West, le pouvoir algérien n’a aucun scrupule à s’allier à toutes les forces viles et chercher à gagner à ses louvoiements celles qui cultivent des atermoiements et quelquefois un oppositionninisme de parade. C’est un pouvoir-éponge. Qui des partis islamistes, des partis démocratiques n’ont pas voleté autour de son noyau dur comme une toupie entre ses mains ?

Des ministres laïcs, républicains, islamistes dits modérés, anciens chefs des maquis GIA, des FIS, troupiers du FFS, libéraux sous la casquette FLN, FLN historique, FLN Bis…Tous les langages politiques sont représentés dans l’hémicycle ainsi pavoisés dans une démocratie cosmétique et fardée.

Il officialise aujourd’hui tamazight, comme il peut le faire demain pour le français, le chinois, pour des raisons bassement électoralistes ou pour encore et encore acheter symboliquement, traîtreusement, à la dérobée pour ainsi dire cette «paix des cimetières» si fragile et si répressive qu’elle a condamné à mort, de son vivant, un symbole du soulèvement armé du 1er Novembre 1954 pour avoir éliminé un terroriste, pseudo-repenti le narguant, l’insultant sur le pas de sa porte dans l’indifférence des autorités locales saisies pourtant de l’outrage. L’essentiel, pour le pouvoir, c’est la poche, le pactole. Les mouvements sociaux ne lui font pas peur. Ils n’ont pas d’assises politiques. Il achète qui il veut, quand il veut, comme il veut ; il vient d’acheter à bas prix tamazight au marché aux puces, à la criée des partis qui ont longtemps dorloté cette langue dans les langes du protectionnisme souffreteux et ils la livrent, offrande, gage des servitudes aux banquets attendus…

Tamazight, otage de la constitution ? Dans tous les cas, l’expérience malheureuse de sa « consoeur » la langue arabe devra sinon servir d’exemple du moins susciter des  interrogations chez ceux et celles qui, le vent en poupe, applaudissent à cor et à cri cette officialisation qui cache bien des secrets sous son burnous. Car, sûrement, dans un tel environnement juridique pollué et miné qu’est la constitution algérienne qui couronne une République islamique et islamiste, tamazight – le pouvoir, du reste s’en félicite qu’elle ne soit plus qu’une langue à officialiser, il ne parle ni de culture, encore moins  de civilisation – deviendra un instrument de régression et de répression, en semant toutes les discordes possibles entre les tendances « berbérophones » que le pouvoir et ses sous-traitants des partis politiques ne manqueront pas d’attiser en brandissant cette même constitution, en l’occurrence son article 2 et ses occurrences nombreuses dans ses alinéas.

La récente « officialisation » de la langue amazighe dans la constitution a été saluée par nombre d’intellectuels et écrivains berbérophones, y voyant une avancée significative, n’y apportant, donc, que quelques critiques « techniques ». Or, dans quel guêpier a-t-on officialisé cette langue ? Dans celui de l’article 2 de la constitution, ossature de la souveraineté et de l’identité de l’Etat proclamant « L’Islam est la religion de l’Etat » ! Que n’a-t-on pas fait de la langue arabe aussi antéislamique que l’est la langue berbère, appauvrie, réduite à un instrument idéologique coercitif, d’un arabo-islamisme de slogans pervers et outranciers. Dans un tel environnement législatif d’un Etat islamique, cette amazighisation officielle de pacotille n’échappera pas au sort malheureux de l’arabisation.  Tout ce qui est présentement introduit dans le ventre nauséabond de la pseudo-constitution aussi moderne et chargé d’histoire soit-il est voué au dépérissement, à l’étiolement, au pourrissement.

Le processus de son officialisation ne signifie rien d’autre que sa mort. Mais, dans son agonie, sa métamorphose en instrument de répression aura vite fait de s’abattre contre ceux-là même, ses enfants qui auront applaudi à son autodafé constitutionnel. Tout l’appareil législatif du pouvoir politique algérien est systémiquement corrompu : redistribution de la rente sous couvert de moyen moderne des urnes,  accaparement des biens meubles et immeubles, élimination par procuration des élites, substitution subtile du paradigme du mérite par celui de la rapine couplée à la dévotion, frénésie du pardon et érosion de la justice…

Ainsi, la seule entité jusque-là restée quelque peu saine, quoique livrée, émiettée, aux appétits prédateurs et faunesques de partis créés à la volée par le système ou gravitant autour de son noyau dur pour quelques miettes, Tamazight se voit ainsi livrée, pieds et poings liés, sur un plateau des grands banquets, au panier à crabes d’une constitution hors de tout projet de  société, sa négation même. Il s’est alors produit un étrange phénomène dû à la roublardise du pouvoir capable d’une intelligence diabolique.

Après avoir laminé les mouvements insurrectionnels avant, pendant et après la décennie noire, après s’être dilué dans une société qui ne fabrique plus de symbole encore moins d’élites, il se fait alors le réceptacle de toutes les sollicitations.  Ce n’est pas lui qui décide de la constitutionnalité de tamazight. N’étant pas une entité politique, il laisse le soin aux partis politiques qu’il a enfantés, agréés, qui ne cessent de graviter autour de son noyau dur par ses députés, ses élus locaux, ses représentants d’institutions amazighes ou autres d’«exiger » cette constitution et ce, non seulement dans une cacophonie de voix mais aussi et surtout dans une complète dissonance de ces mêmes voix qui, sur le terrain politique – plutôt politicien – se livrent querelles de chiffonniers-. A celles-ci, s’ajoutent celles se voulant plus tempérées d’universitaires organiques … Tandis que la Voix du pouvoir est inamovible, maîtresse du jeu, attentiste, distributrice des cartes maîtresses, mine et quadrille le terrain dans lequel ses forces se diluent, opèrent des stratégies de camouflage, ouvrent tous les registres des doléances, ces « petites » voix s’agitent,  « exigent » de lui l’officialisation de Tamazight dans « sa » Constitution – épouvantail, comme simple slogan, elles-mêmes mues par des intérêts claniques insufflés par cette Voix suprême aux multiples attractions.

Comment alors sauver tamazight de ce piège ?

Il faut d’abord et avant tout l’extraire de la Constitution, lui faire recouvrer sa liberté et son indépendance. Il appartient aux forces démocratiques transpartisanes d’esquisser un projet de société algérien résolument laïc et républicain hors de l’article 2 de la présente constitution, qui postulerait : l’amazighité est l’identité de l’Etat ; mais une amazighité plurielle ouverte et dynamique…

R. M.

Auteur
Rachid Mokhtari, écrivain journaliste

 




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