Vendredi 23 mars 2018
Le Sud algérien en quête de développement et de… reconnaissance !
Malgré ses immenses potentialités, Kel Aheggar est comme oublié par l’Etat central.
L’actualité de l’Algérie du Sud, outre la poursuite du mouvement de protestation des chômeurs dans certaines localités, certes de façon plus « feutrée », est, sans contredit, le « bruit » fait par l’Amenokal du Hoggar, Ahmed Edabir, pour sortir de la « marginalisation » à laquelle il était réduit par les structures locales de l’administration publique. Edabir a tenu, d’abord, à s’exprimer dans la presse, en expliquant et dénonçant les dérives en œuvre dans cette région du pays, consistant à faire abstraction, dans le cadre de la gestion des affaires publiques locales, des structures traditionnelles de la société targuie. Cela pose, immanquablement, des questions essentielles de gouvernance et sur la nature de la relation entre l’Etat-nation et la société.
Au cours du rassemblement auquel avait appelé la semaine dernière l’Amenokal Ahmed Edabir- ayant réuni les notables de la région et un public nombreux-, il dira, selon les propos rapportés par l’envoyée spéciale d’El Watan: « Notre seule politique, est le pays, sa sécurité, sa stabilité et son développement. Nous n’agissons pas pour avoir des postes, nous ne nous opposons pas aux partis, qui sont tous représentés, ici dans cette salle (…) Personne ne nous dicte nos actes. Nous voulons juste que nous soyons consultés dans la gestion de notre région. Nous refusons l’exclusion ».
Dans cette région, déjà cosmopolite depuis la fin des années 1980 et subissant le poids des nouvelles migrations subsahariennes – dues à la guerre, à la sécheresse et à la misère -, le terrain s’est longtemps prêté à tous les trafics (armes, drogue,…) et au transit de certains mouvements terroristes transfrontaliers. « Notre seule politique, est la sécurité du pays », ajoutera, devant un public acquis à son discours, l’Amenokal du Hoggar.
Au moment où la tendance mondiale est à la gestion participative et à la démocratie locale-principes que tente de faire valoir officiellement le ministère de l’Intérieur, sans véritable prolongement sur le terrain-, il est malaisé d’imaginer des politiques publiques appliquées sans concertation avec les citoyens-électeurs et sans que ceux-ci apportent leur part de génie et de savoir-faire.
Retard dans le processus de décentralisation
Si des investissements publics ont été réalisés sur le plan des infrastructures et équipements dans les wilayas du Sud, cela demeure visiblement insuffisant, d’autant plus que ce territoire, à lui seul, équivaut à la superficie de certains grands pays européens. En raison de contraintes de diverses natures, le Fonds mobilisé, au milieu des années 2000, spécialement pour le Sud, n’a pas été efficacement exploité. Le rythme de décaissement a connu un immense retard.
Sur le plan de décentralisation, force est de reconnaître que le geste du gouvernement, ayant consisté à créer des wilayas déléguées en mai 2015 (une dizaine de nouvelles entités), n’ait pas eu son prolongement sur le plan de la décentralisation du processus de prise de décision. Ces wilayas déléguées demeurent toujours, sur plusieurs questions relatives à la gestion du quotidien du citoyen, sous la coupe des départements desquels elles sont issues. Autrement dit, le nouveau découpage administratif, qui a réduit les distances sur la carte d’État-major ou sur l’image satellite, n’a pas substantiellement réduit les difficultés et les souffrances qu’endurent les citoyens de ces wilayas.
Inéluctablement, la problématique de l’équilibre régional – vieux concept des années soixante-dix qui a eu de la peine à faire son amorçage -, revient sur la scène nationale avec une acuité autrement plus forte, singulièrement pour les régions du Sud algérien caractérisé par des conditions géographiques et climatiques très dures (aridité, ensablement des routes, dispersion des villes et de l’habitat,…).
Ce que le programme de développement du Sud a prévu, en 2006, en matière d’infrastructures – routières, ferroviaires, hydrauliques – et de renforcement des équipement sociaux, culturels, de santé, et de logements, découlait, en vérité, d’une vision juste et pertinente de l’aménagement du territoire.
Potentialités restées en friche
Car, depuis l’indépendance du pays, l’intérêt accordé aux territoires sahariens- qui représentent presque 80% du territoire national, et au sein desquels est extraite la première et presque unique richesse du pays- n’a jamais été à la hauteur des ressources gazières et pétrolières qui y sont produites, ni au diapason des potentialités naturelles avérées de ces régions. Ce sont des potentialités demeurées pratiquement en friche depuis la réalisation de la transsaharienne dans les années 1970; un ouvrage qui a subi la patine du temps et les rigueurs de la géomorphologie de ce vaste territoire. Très peu d’infrastructures d’importance ont été installées pour faciliter la vie des populations du Sud et tendant à renforcer la mobilisation des facteurs de développement et de production.
Le sentiment d’injustice ressenti par les populations locales est, en somme, tout légitime. N’est-il pas surprenant de savoir que l’une des communes supposées être les plus riches du pays, en l’occurrence Bordj Omar Driss (ex-Fort Flatters), dans la wilaya d’Illizi, qui, en l’absence d’une économie diversifiée et performante, lui fournit les moyens de ses importations, soit réduite en une sorte d’enclave géographique. Située à plus de 400 km au sud de Hassi Messaoud, c’est pendant les années soixante et soixante-dix que cette localité bénéficiait des flux touristiques, malgré la modestie du village chef-lieu de commune et le manque d’infrastructures.
Les témoignages que nous avons recueillis sur place, parlent de véritables flux d’Européens pendant les vacances de Noël et de fin d’année.
De cette commune, dépendent aujourd’hui les champs pétroliers de Tinfouyé-Tabenkort, que le langage, rapide et abrégé, des compagnies pétrolières a réduit à trois froides initiales: TFT. Mais, l’ex-Fort Flatters, n’est certainement pas la seule localité du grand Sud à trainer le boulet du sous-développement dans un océan saharien fait de richesses sonnantes et trébuchantes, celles de l’or noir, et, demain, qui sait, du gaz de schiste.
L’appel de l’Amenokal à plus de respect et de considération pour les structures et organisations traditionnelles de la société, gagnerait à être regardé et pris comme un avertissement salutaire par rapport à ce que ce représentant des tribus touaregs voit comme une dangereuse lézarde dans l’édifice Etat-société