24 novembre 2024
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Enseigner la décennie noire à l’école: Mme Benghebrit lance la réflexion

EDUCATION

Enseigner la décennie noire à l’école: Mme Benghebrit lance la réflexion

Nouria Benghebrit-Remaoun, la ministre de l’Education nationale. 

La ministre de l’Éducation nationale, Mme Nouria Benghebrit projette d’introduire dans les écoles l’enseignement de l’histoire de la décennie du terrorisme. Une décennie qui, dès sa nomination, semble être grevée de quelques problèmes sémantiques. Certains-, ils sont la majorité -médias, personnalités publiques et algériens lambda- l’appellent « décennie rouge ». D’autres, préfèrent, sans grande recherche lexicale, le terme de « décennie noire », même si cette dernière a déjà désigné, aux yeux de beaucoup d’Algériens, les treize années du règne de Chadli Bendjedid. L’actuel président de la République a même « officialisé » ce nom, c’était au début de son premier mandat, dans un entretien accordé à Hamdi Qandil de la chaîne de télévision égyptienne Al Oula.

Défi, courage, « bravade », engagement de la part de Mme la ministre? Connaissant la démarche engagée et la constance adoptées par Benghebrit depuis sa nomination au département de l’Éducation, c’est sans doute tout cela à la fois. On sait qu’il y a beaucoup de sceptiques qui ne croient pas à la faisabilité de la chose. Le climat d’adversité générale qui entoure l’action de la ministre – dans la plupart des projets de réforme qu’elle a proposés et mis en orbite- donne partiellement raison à ces gens là, sans donner tort à ceux qui ont applaudi le projet.

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On connaît les péripéties tortueuses par laquelle est passé l’enseignement de l’histoire à l’école depuis 1962. La devise « Un seul héros, le peuple« , voulu par ses concepteurs comme une manière de faire table rase de la légitimité historique dans la gestion des affaires publiques et l’accès aux postes de commandement, a été pervertie en faveur de l’effacement de la mémoire historique, justifiant l’anonymat sidéral des nouveaux tenants du pouvoir. De cette mémoire historique, pourtant très récente, on avait tenté d’oblitérer les noms de Abane Ramdane, Aït Ahmed, Boudiaf, Ferhat Abbas et tant d’autres personnalités de premier plan, mortes, assassinées ou encore exilées au moment de cette terrible négation.

« Les noms propres, les acteurs historiques n’ont guère le droit à l’existence dans les publications algériennes (…) L’idéologie nationale, c’est-à-dire l’exploitation du capital idéologique de la guerre, qui donne sa raison d’être au FLN, est appelée à servir d’illustration et de légitimation de l’État ; elle substitue une ligne univoque à la polyvalence de la culture nationale ; elle prétend même diriger l’écriture de l’histoire« , écrit René Galissot dans la revue de Sartre Temps modernes (avril 1986).

Les cours d’histoire sont les « mal-aimés »

Les manuels d’histoire n’ont connu que fades hosannas chantant les louanges des « tard-venus » (selon l’expression de Mostefa Lacheraf), d’officiels qui étaient, quelques années auparavant, de célèbres inconnus, et de rattachements idéologiques- arabo-islamisme, socialisme de caserne, ayant évolué en capitalisme d’Etat- dans lesquels ne se reconnaissaient ni leur peuple ni les écoliers. Les cours d’histoire étaient- et demeurent malheureusement- les moins suivis et les plus boudés. Ni l’histoire universelle- avec ses civilisations, ses activités économiques et sociales-, ni l’histoire algérienne- depuis les peintures rupestres du Tassili jusqu’à…la chute du baril de pétrole en 2014, en passant par la Numidie, les royaumes berbères musulmans, la domination turque, la colonisation française et la guerre de Libération- n’occupent la place qui aurait dû être la leur dans les manuels scolaires.

Les élèves, après leur sortie du lycée- vers l’Université ou vers…la rue- ne se souviennent parfois même pas des titres des leçons qu’ils avaient reçues dans la matière histoire-géographie. Pour ceux qui continuent leurs études à l’Université, dans les filières des sciences humaines, économie, gestion ou communication, le déficit en connaissance et en synthèses historiques constitue un véritable handicap. Les étudiants accèdent aux facultés sans avoir intégré dans leur background l’histoire économique et sociale de l’humanité – de l’homme cueilleur jusqu’à la crise boursière de 1929, en passant par la révolution industrielle et la révolution atomique-, l’histoire culturelle et religieuse des peuples et les luttes sociales et politiques (syndicalisme, droits de l’homme).

Une carte postale de Abouda vaut plus que l’improbable cours de Benbouzid

L’ancien ministre de l’Éducation, Boubekeur Benbouzid, dans une tentative sans suite, tenant plus du folklore et d’écran de fumée- par lesquels il entendait cacher les travers rédhibitoires de l’école algérienne -, que d’une entreprise sérieuse d’ouvrir l’école sur la société, avait projeté de renforcer les cours sur les séismes, en collaboration avec des Japonais (c’était au lendemain du grand séisme de Boumerdès de 2005, et d’introduire l’enseignement des droits de l’homme. La première proposition fut oubliée au bout de quelques semaines.

La seconde sera prise en charge- que dis-je, elle a été prise en charge dès 1990-, non par l’école, mais par un…éminent artiste-photographe d’Azazga, Mohand Abouda, qui a édité une belle carte postale, sous forme de dépliant, sur laquelle sont écrits intégralement les 30 articles de la Déclaration des droits de l’homme, avec, en prime, une belle strophe de Malek Haddad (« Mission accomplie/ Et la paix revenue/La colombe dira/Qu’on me fiche la paix/ Je redeviens oiseau » [in La Malheur en danger].

Aujourd’hui, enseigner l’histoire de la décennie rouge requiert imparablement certains préalables, aussi bien méthodologiques que didactiques. Sur le plan de la succession chronologique des événements, la décennie rouge, n’étant pas sortie du néant, devrait être située par les pédagogues dans son contexte, celui de la période post-Octobre 1988 et de l’ouverture sur le multipartisme permise par la Constitution de février 1989. Ce sont des segments qui n’ont pas encore leur place dans les manuels scolaires. Comment décrire, décrypter, cerner et présenter la période1988-1992- riche, turbulente, grosse de toutes les tragédies à venir-dans un manuel scolaire? Comment aborder l’islamisme politique et son pendant économique, la rente pétrolière, deux facteurs explosifs qui allaient « noircir », « rougir » pour les Algériens une décennie, voire plus…

Gare à la perversion du projet !

Les séquelles psychologiques et politiques sont toujours là. Le traumatisme- près de 200 000 morts, l’assassinat d’une élite intellectuelle (journalistes, cadres de l’Etat, écrivains, médecins,…) irremplaçable, les déplacements de centaines de milliers de personnes, les viols de femmes, la naissance d’enfants dans les casemates et d’autres dommages collatéraux-, est trop grand pour être dit, expliqué et exorcisé dans quelques pages d’un manuel d’histoire.

Un manuel d’histoire qui, pourtant, attendait depuis longtemps d’être mis à jour et réformé pour « socialiser » l’histoire chez les jeunes élèves et en faire un source de la formation de la culture citoyenne. À tous points de vue, le projet de Mme Benghebrit mérite d’être soutenu, pour peu qu’il ne soit pas dévoyé de sa mission originelle – pour servir une quelconque cause politicienne ou idéologique- et qu’il soit armé d’un maximum de méthodologie et de pédagogie développés par des spécialistes.

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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