26 novembre 2024
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Cherifa : pillée et jamais remerciée !

Impérieuse culture du terroir 

Cherifa : pillée et jamais remerciée !

Qui ne connaît pas « Azwaw » popularisé par l’immense Idir, et repris, en ses temps de gloire, par Cheb Mami en français sous forme de «Aux Pays des merveilles » ? Ces reprises totalisent un nombre de vues sur YouTube qui se chiffre en millions pour chacune des versions, alors que l’originale de Lla Cherifa peine à dépasser le cap de quelques milliers. 

C’est dire la qualité des œuvres de cette artiste prolifique qui a donné ses lettres de noblesse au genre Urar. Ce genre du terroir qui s’est avéré être une source d’inspiration pour des styles modernes.

L’immense répertoire de Lla Cherifa est tout simplement impossible à répertorier puisqu’elle compte approximativement 800 chansons -de quoi remplir un bottin- dont « Ay azerzur », « Laɛyun n’ṭiṛ », « Ṣṣut Wartilan », « Anzuṛ l’wali », « Akbu », « Sniwa d ifenǧalen », « Al ward ifiress », « Cqan-iyi medden », « Icud tacacith » …Autant de tubes repris, voire pillés, sans qu’elle ne soit citée ni perçu quelconques droits d’auteurs. À l’exemple de « Sniwa d ifenǧalen », un titre repris et réarrangé par Hassiba Amrouche qui en a fait un hit incontournable dans les fêtes, tout comme « Al ward ifiress », reprise par Kamel Igman, Farid Gaya, et la même Hassiba Amrouche. « Sniwa d ifenǧalen » compte environ 1.5 millions de vues sur YouTube pour la version de Hassiba Amrouche, alors que l’originale peine à atteindre les 100.000. 

Il est juste impossible de répertorier les nombreux artistes qui ont repris les chansons de Lla Cherifa. Si tous les droits d’auteur lui étaient reversés à titre posthume, il y aurait de quoi lui ériger une statue en or massif au sommet de Lalla Khedidja. 

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Biographie

De son vrai nom Ouardia Bouchemlal, Cherifa est née le 9 janvier 1926 à El-Maïne (Bordj-Bou-Arreridj), et décédée le 13 mars 2014 à Alger.

Toute petite, on l’envoyait faire paître le troupeau familial et se découvre un joli filet vocal dès l’âge de sept ans. La simple écoute d’un roulement de bendir la poussait à se précipiter sur les lieux de la fête. Mais en Kabylie comme dans d’autres sociétés imbibées de fortes traditions, si on apprécie les musiciens ; on n’en souhaitait pas pour autant en avoir dans la famille. 

Très tôt orpheline de père, elle est placée sous la tutelle de ses oncles après le remariage de sa mère, et recevait des corrections sévères pour ses escapades musicales. À l’âge de dix-huit ans, celle qui n’a jamais été scolarisée et qui a grandi pieds nus en mangeant un jour sur trois et sans presque rien, décide de quitter sa région natale et de vivre de sa vocation ailleurs à quelques dizaines de kilomètres de là, précisément à Akbou, qu’elle quitte d’ailleurs quelque temps plus tard pour Alger. 

Dans le train qui la conduisait vers Alger, elle compose Bqa aâla khir ay Akbou, le titre qui fera sa renommée et qui demeure toujours aussi populaire. Dans les années quarante, elle chante à la radio algérienne en échange d’un cachet équivalant à 100 € (somme énorme à l’époque) et s’impose rapidement comme la patronne du chant kabyle. 

Pendant des années, elle effectue des tournées un peu partout en Algérie et enregistre de nombreux morceaux, soit de sa propre composition, soit puisés dans le patrimoine folklorique. Tous des succès. Cherifa ne se souvient plus du nombre mais approximativement, elle compte plus de 800 chansons dans son répertoire. 

Cependant, elle n’a pas vraiment bien vécu de son art : dépouillée par le fisc alors qu’elle ne toucha aucun droit d’auteur, elle stoppe tout dans les années soixante-dix. Pour vivre, elle se retrouve à faire des tâches ménagères à la télévision algérienne, oubliée de tous quand, pendant ce temps, les grands artistes de son époque (aujourd’hui encore) pillent sans vergogne son répertoire alors que sa notoriété est déjà grande. Ce n’est qu’au cours de la décennie suivante que les jeunes la redécouvrent et la placent en tête d’affiche lors de tournées où elle retrouve enfin son public. 

Cherifa n’a eu droit à la reconnaissance que tardivement. C’est la souffrance qui lui a inspiré ces chants tellement forts et traversés par une émotion indicible. Elle reste dans les mémoires comme la spécialiste des préludes (acwiq) et des chants d’amour. Les poèmes et les mélodies qu’elle compose s’inspirent des chansons traditionnelles mais aussi de sa propre expérience. Elle chante la vie sous tous ses aspects.

Elle a animé plusieurs galas à Paris, l’Olympia en 1993, l’Opéra Bastille en 1994, et le Zénith en 2006 où quelque treize mille personnes ont assisté à son dernier concert. 

Pour la petite anecdote, quand elle se rendit à New-York pour y donner un concert ; voyant que les lumières ne s’éteignaient pas au cours de nuit, elle se fendit, à l’oreille d’un ami de Bordj : « Ou haddou ma i-regdouch ? ». Sans le savoir, elle avait mis le doigt sur le surnom de la ville : New-York, the city that never sleeps !  

Ci-après la transcription et la piste audio de « Ay aẓaṛẓuṛ », une chanson que même les arabophones fredonnaient en son temps. La version de Hassiba Amrouche, encore elle, compte plus d’un million de vues sur YouTube.

Ah, ay aẓaṛẓuṛ !

tebɛit ɣar elbabuṛ, 

Inas i wacu i yiɣurr ah !

Ak i-k-daɛ ṛebbi a ṛay-iw

Yezin ɣaf yir-iw

Arwu suk n’elkalat

Nek ḥasbaɣt am el-ɛamṛ-iw

Mliɣ-as ul-iw

Ɣileɣ d elxir ar-zdat ah !

Ziɣ yedda d-iɛdawen-iw

Yeḥḍeṛ i l’mut-iw

Yeɣzayi aẓẓeka s-lḥayat

A wi Yuffan zehriss ɣer dina

At yawi ar lexla

Ad yeqlaɛ dina afriwen is ah !

A Ţafeḍ yiwen d cmata

Yefkayas ayla

Yeţnawi ddunit-is ah !

A ţafeḍ yiwen d Ṣṣifa

Yerna el muɛrifa

Yenqes di zhar-is ah !

Ah, ay aẓaṛẓuṛ !

tebɛit ɣar elbabuṛ, 

Inas i wacu i yiɣurr ah !

 

Auteur
Kacem Madani

 




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