Jeudi 8 juillet 2021
Aucun gouvernement ne scie la branche sur laquelle il est assis !
En Algérie, la recherche de la souveraineté économique s’est trouvée liée au développement d’un secteur public prépondérant. Du fait de l’origine sociale des « décideurs », l’acte premier a été la nationalisation, pour asseoir une logique du pouvoir fondée sur l’Etat propriétaire des terres avant de s’étendre aux mines et aux hydrocarbures.
Le pouvoir a fondé la croissance économique et son dynamisme sur un large secteur public dominant. Celui-ci a sollicité la rente toutes les fois où il fallait reporter à plus tard les contradictions sociales et il a empêché ces dernières de s’exprimer dans la sphère politique et d’être actives, en ne tolérant ni la critique, ni l’opposition.
Dans la cristallisation d’un tel système de despotisme politique, il ne peut exister évidemment ni organisation de classe et ni de syndicalisme autonome. Le pouvoir, méfiant vis à vis des propriétaires terriens et des industriels, reconnaîtra de facto le droit d’accès aux moyens de production aux anciens militants de la guerre de libération pour autant qu’ils déclarent renoncer de ce fait, à une participation à la gestion économique et politique du pays.
Quant au syndicat, « l’Etat l’a chargé de « gérer » le mécontentement ouvrier et de servir de courroie de dépendance, au moyen desquelles le pouvoir pénètre la classe ouvrière, la contrôle et tend à l’absorber.
Le pouvoir a cherché à légitimer sa domination en accueillant toutes les revendications économiques contradictoires des groupes sociaux en présence, mais il n’a jamais accepté aucune initiative autonome de la part de ces derniers. Il a nié, au nom du développement économique et de l’unité nationale, le conflit social et a repoussé grâce à la rente énergétique et à l’endettement, les conditions d’émergence d’une économie moderne, refusant de s’appuyer sur les forces sociales en éveil. Pourtant l’Etat moderne ne peut exister sans une économie de marché et sans une société démocratique.
L’Etat moderne se définit fondamentalement comme un Etat protecteur ; l’Etat providence est une extension et un approfondissement de l’Etat protecteur ; l’Etat providence vise à substituer à l’incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. L’Etat protecteur est fondé sur la réalisation d’une double tâche : la production de la sécurité et la réduction de l’incertitude.
Quant à l’Etat providence, il peut être défini comme un usage de la puissance de l’Etat pour modifier la reproduction de la force de travail et maintenir la population non travailleuse dans le capitalisme. Il consiste à faire prendre en charge par l’Etat à la place des entreprises capitalistes une partie des dépenses santé, culture, éducation et de reproduction de la force de travail. L’Etat providence est actuellement en crise. C’est dans le mouvement de l’Etat Nation moderne que se trouve l’origine de la crise de l’Etat providence.
La crise de l’Etat providence est liée au rythme de la croissance des dépenses publiques liées aux politiques et aux mécanismes de redistribution qui est beaucoup plus rapide que celui de la production nationale notamment des hydrocarbures et de l’agriculture. La crise actuelle de l’Etat providence est une crise financière doublée d’une crise de légitimité. L’option libérale n’a réussi à se développer et à exercer une certaine force de séduction intellectuelle que parce qu’il n’y a aucune alternative crédible aux forces traditionnelles de l’Etat providence.
Nous partons du postulat de base que la dépendance de l’économie algérienne vis à vis de la rente énergétique est le phénomène marquant de ces cinq dernières décennies, tant sur le plan économique et social, que sur le plan politique. Les ressources financières issues des exportations des hydrocarbures se différencient des produits agricoles par leur caractère non reproductible.
La non-reproductibilité des hydrocarbures pose le problème de l’utilisation de la rente dont la finalité est de créer un revenu permanent susceptible de permettre la rupture de la dépendance vis à vis de la rente. Parler de l’utilisation de la rente revient à discuter l’origine de son titulaire. en Algérie, c’est l’Etat, au nom de la collectivité, qui est propriétaire des richesses du sous-sol. Dans une économie rentière, l’Etat est intéressé par le développement et la reproduction de son pouvoir. Il peut donc se soustraire à un mode gestion rigoureux qu’auraient incitée les lois marchandes dans une économie productive. Les pouvoirs publics s’adaptent à la conjoncture en se montrant prodigue, en période de « vaches grasses » et austère à la limite de l’impopularité en période de « vaches maigres ».
La prodigalité peut être facilement montrée à travers une logique distributive particulièrement due à une politique d’emploi des salaires sans rapport avec les normes d’encadrement et de productivité. L’existence d’une rente importante a permis aux salaires d’absorber l’ensemble des pertes de productivité. le développement du pouvoir d’achat n’est pas suivi d’une offre substantielle et finit donc par aller gonfler la demande d’importations.
L’Etat, en généralisant le système de distribution offre des situations de rente aux favoris du système c’est-à-dire à la couche au pouvoir et à sa périphérie. Pour bénéficier de tels avantages, il suffit de jouir d’un « capital relations » assez important; Il n’est nul besoin d’avoir beaucoup d’argent. Plus encore, ces nouvelles fortunes se développent sous la protection de l’Etat qui leur réserve l’accès à ce marché. Par son attitude volontariste, qui consiste à refuser les ajustements marchands, l’Etat se prive d’un différentiel de revenus substantiels qui va gonfler les richesses privées.
L’étatisation au lieu d’être une stratégie de rupture avec les formes économiques de type privatif semble être plutôt la condition. L’abondance des ressources avait permis de reléguer la rigueur dans la gestion, à l’arrière-plan, tout en offrant à une population un minimum rendu possible par un environnement international favorable.
En Algérie, la rente énergétique est une source d’accumulation de nature étatique, la concentration entre les mains de la puissance publique de la rente pétrolière et gazière et des possibilités d’endettement qu’elle procure se traduit par l’extension de l’appareil administratif et le développement étatique des fonctions économiques et sociales. Dans une économie rentière, l’Etat veille à l’équilibre socio-politique.
La rente lui conférant une aisance d’arbitrage. Tirant sa prospérité financière d’un secteur enclavé dont les fluctuations dépendent de la stratégie des multinationales, elle est à la merci d’un retournement de marché. Une réduction des exportations de pétrole, du fait, soit d’un ralentissement de la demande, soit d’un épuisement des réserves fait surgir au grand jour des tensions latentes. la position de la balance des paiement se détériore, les réserves de change fondent rapidement, remettant en cause les objectifs des programmes de développement, les conflits sociaux s’aiguisent, la crise politique s’accentue.
Le consensus, jusqu’ici fondé sur la rente énergétique s’amenuise pour ne pas dire disparaît, et soumet l’Etat à la recherche de voies et moyens qui permettent la transition d’une situation d’intérêts inconciliables à une situation d’intérêts antagonistes. Les rapports entre l’Etat et la société se sont trouvés altérés.
Depuis 1986, l’Algérie est confrontée à une grave crise multidimensionnelle aux conséquences de plus en plus désastreuses.
Elle révèle une véritable crise de civilisation, une crise de valeurs, à tel point qu’on assiste à une autodestruction. Une population qui voit la misère frapper à sa porte, réclame plus de justice pour une équitable répartition de la richesse mais également un partage de la pauvreté. On partage la richesse mais jamais la pauvreté. « Les frères sont frères mais leurs poches ne sont pas sœurs ». L’histoire récente du pays vient de démontrer dramatiquement que le droit de propriété ne peut s’accommoder d’abstraction et la nature a horreur du vide.
L’économie rentière est désarmée face à une chute des prix des hydrocarbures. Par conséquent, « …tout choc externe violent jouant dans le sens d’une réduction de cette rente compromet la stratégie de l’Etat et remet en cause le modèle de développement retenu… », et tout conflit dans cette entreprise constitue en même temps une atteinte à la base économique de l’Etat et une remise en cause de la légitimité du pouvoir.
Tout pouvoir puise sa légitimité dans un principe, quand ce même principe se trouve contredit par la réalité, ce pouvoir est amené à le modifier, afin de développer un nouveau discours légitimant son action.