Dimanche 9 mai 2021
« Algérie, mon beau pays »
« Algérie, mon beau pays… » chantait Slimane Azem (1918-1983) dans une de ses éternelles chansons.
Toc toc, nous voulons entrer….
Toc toc, nous voulons une place. Semblent dirent tous les vendredis les millions d’Algériens qui sortent manifester. Le pouvoir, dans son désarroi tente toutes les manœuvres, basses, lâches et mesquines les unes que les autres. On bastonne les étudiants, on bastonne des corps constitués que sont les pompiers par exemple. On retarde l’heure de la grande prière de vendredi pour freiner le flux des marcheurs…. On crie au loup, la main étrangère est là. Ce n’est pas le peuple qui revendique. Ce sont les puissances étrangères qui nous entourent et tentent de nous ravir notre beau pays qui regorge de tant de richesses et de tant de potentiel.
Oh peuple, tel un seul homme, mets-toi en rangs serrés pour défendre ta mère patrie.
Ces agissements ne peuvent pas être le fruit des entrailles de nos enfants ; ceux-là mêmes que nous choyons, que nous aimons, ceux là mêmes auxquels nous pensons matin et soir ; ceux là mêmes auxquels nous consacrons toute l’énergie nécessaire pour que le soir venu, ils aient tous de quoi manger, pour que le soir venu, ils aient tous un toit sur la tête. Ceux-là mêmes auxquels la plus grande partie de la richesse du pays est consacrée pour leur éducation, leurs loisirs et récréations !!!
« Peuple, lève-toi, tel un seul homme pour défendre ta mère patrie. »
Refrain usité jadis pour manipuler les foules. Toucher la fibre patriotique, et voir ou revoir cet élan qui se réveilla un jour de novembre 1954 déferler sur le pays. Reste à trouver l’ennemi.
Oui, ils sont nombreux. Les puissances occidentales et régionales suivent avec intérêt l’évolution de la situation interne du pays. Bien entendu que les chancelleries sont à l’affût d’informations de tous genres pour se préparer à l’après. C’est le jeu de la diplomatie. Et nous dirions, c’est de bonne guerre.
Bien entendu que nos adversaires régionaux, sur des questions géostratégiques, vont tenter d’en profiter de notre situation intérieure pour imposer leurs visées expansionnistes sur le Sahara occidental. Bien entendu, notre pays risque de perdre de l’influence régionalement si à tout hasard la situation dérapait. Mais brandir cette menace pour taire les revendications populaires, demeure une manipulation de l’opinion.
Si notre pays peut fédérer, autour d’une classe dirigeante renouvelée, intègre et dynamique, l’ensemble des composantes de la société, si notre pays s’ingénie à faire advenir un creuset autour duquel trouveront échos les aspirations de ces millions d’anonymes qui sortent tous les vendredis, alors peu importe les vicissitudes, peu importe les aléas du moment, nous saurons, au moment venu, bondir tel un seul homme et répondre à l’appel de la patrie. Comme dirait le roi Massinissa, en ajoutant la force du glaive à l’amour de la patrie, on devient invincible.
Prêcher le statu quo sous prétexte d’anéantissement est une technique aussi vieille que la terre. Dans son incurie et son incapacité à se réformer, le système s’agrippe aux derniers pans du pouvoir à n’importe quel prix.
La société, dans son ensemble, est beaucoup plus mature que les provocations du pouvoir. Elle a su intégrer au fond d’elle les leçons de l’Histoire. Localement, la décennie noire résonne encore au fond de la mémoire collective. Les tentatives avortées de la mouvance islamiste à accaparer la protestation du Hirak illustre la vigilance de la société. Le discours religieux ne prend plus. Si ce mouvement était né dans les années 90, la situation serait autre. Mais la mémoire collective travaille notre inconscient. D’ailleurs un des slogans du Hirak, ni Etat islamique, ni Etat militaire en dit long.
Sur le plan international : la mise à sang et à feu d’un des pays les plus avancés du moyen orient pour qu’une poignée de familles demeure aux commandes de la Syrie, témoigne et donne un avant-goût sur les capacités destructrices dont peuvent faire preuve les gouvernants. Ce beau pays est réduit à l’état inorganique et a mis sur la route de l’exil des millions de syriens et a régressé d’un demi-siècle en arrière. Au nom du simple principe de se maintenir au pouvoir.
Quelle est l’intelligence derrière ce gâchis ? Les meilleures enfants, chassés du pays, seront absorbés au sein des pays d’accueil et y feront toute la différence. Pensons à la chute de Constantinople en 1492 et l’exil de l’intelligentsia vers l’Europe occidentale. L’Italie et la France en accueillirent des pans entiers.
Un nouveau souffle arriva alors. On redécouvrit la Grèce antique, ses textes et ses légendes. Son génie. La chute de Constantinople, signa officiellement la fin du Moyen Age occidental. Dans leur bagage, ces exilés offrirent à l’Europe, l’une des époques les plus fécondes de l’histoire humaine : la Renaissance.
L’histoire récente des printemps arabes nous renseigne sur l’arrivée à échéance des différentes classes dirigeantes de ces pays. Issues du mouvement libérateur au lendemain des indépendances, à exception près, toutes ces classes rencontrent des difficultés à se renouveler et à trouver de la légitimité aux yeux des nouvelles générations qui pointent et toquent à la porte. Fermées sur elles-mêmes, elles sont inexorablement en déclin et en perte de vitesse.
Nous illustrons notre propos par les pays où le processus semble abouti puisqu’ils ont eu la chute de leurs présidents à savoir la Tunisie et l’Egypte. Si en Egypte, El Sissi a repris la main du pouvoir, il est issu du sérail. Le régime dans son ensemble est le même. En Tunisie, Kaïs Saïed est l’incarnation de l’ancien système. Leurs légitimités respectives sont mises à mal. Ils incarnent un statu quo et une mise en sourdine des aspirations populaires. Périodiquement, des manifestations sont brimées par ci par là dans ces deux pays.
D’un autre côté, si Bouteflika n’a pas connu le même sort à l’époque des printemps arabes (2012-2013), il semblerait que c’était dû à l’embellie économique, conjoncturellement aidée par le prix du baril qui avait atteint des sommités, du moins ce que disaient les spécialistes de l’époque. Bouteflika avait à tour de bras acheté la paix sociale à coup de milliards et de projets faramineux et titanesques.
Mais structurellement, les économistes avaient des prédictions réservées au sujet de cette éphémère envolée de la richesse nationale. Notre économie, dépendante des exportations des hydrocarbures à 90%, n’a pas pu se diversifier. C’est une économie rentière. Nos entreprises sont déficitaires. Elles jouent plus le rôle de filet social que de vraies entreprises soumises aux lois du marché.
Nous dépendions, et le demeurons, du prix du Baril. Et à chaque fluctuation de celui-ci, on se hâte à apporter des correctifs à la loi de finance de l’année en cours. Cette course effrénée derrière ce prix ne permet pas de voir à long terme pour des projets structurants. Les économistes se bornent à la gestion du court terme. La gouvernance de Bouteflika a échappé aux « printemps arabes ». Mais dès que le prix du baril chuta, les problèmes ressurgirent. La raréfaction de la richesse réduit les dépenses et la grogne monte. Advint alors ce qui était ajourné quelques années plutôt. La légitimité de ce Bouteflika est remise en cause. Et le Hirak naquit.
Avons-nous espoir en notre classe dirigeante à se réformer ? à faire son mea culpa. A accepter une ouverture vers la société civile qui regorge de potentialités, de génie ? emboiterons-nous le pas à ces jeunes pays du golfe qui voient leur salut dans la séparation de la religion et du politique ? qui pouvait le prédire, il y a quelque temps en arrière ? Aurons-nous le courage, comme l’Arabie saoudite, qui, enfin, dit publiquement que la majorité des hadiths auxquels s’adosse la jurisprudence musulmane sont de faux hadith ? Aurons-nous l’audace, de remettre en cause les hadiths de Mouslim ou El Boukhari, références incontestées ? Eux qui vécurent bien après la période de la Révélation et d’aucun ne connut le prophète ?
Soumettrons-nous au crible de la science cette mémoire, colonne vertébrale du recueil des paroles et gestes du prophète ? sans nous déjuger, sans ébranler nos croyances, si elles sont présentes. Aurons-nous l’audace de libérer les détenus pour délit d’opinion. Oserons-nous libérer Djabelkhir pour le fait qu’il a proposé un autre regard d’un hadith ? Ou continuerons-nous dans cette impasse, cette tension avec les aspirations de la population que nous réprimerons et tairons encore un moment.
Temps de rester au pouvoir et en profiter encore du gâteau qu’offre ce beau pays qu’est l’Algérie. Ce beau pays, qui au moment venu, nous tairons nos différences, nous ferons taire nos souffrances et nous nous lèverons comme un seul homme pour le défendre. Parce que c’est notre patrie. Et nous n’en avons pas d’autres.