25 novembre 2024
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61 ans après, Amar Imache, l’historique oublié de certains historiens

EVOCATION

61 ans après, Amar Imache, l’historique oublié de certains historiens

Commençons d’abord par rendre hommage à Amar Imache, ce grand personnage historique, parce que personne ne le fera à notre place. Et tant pis si certains historiens plus ou moins organiques taxeront cette démarche de « communautarisme ». Leur démarche à eux ne l’est jamais, disent-ils !

Le lobbyisme à eux est à prendre pour de la science. Mais nous verrons, plus bas, les orientations partisanes que prennent leurs positions sur les débats actuels sur la colonisation. Certaines d’entre elles sont révélatrices de la doxa d’aujourd’hui.

Mais revenons à Amar Imache. Il y a soixante et un ans en ce dimanche du 7 février 2021, disparaissait cette figure emblématique du mouvement nationaliste algérien. Il s’est éteint dans son village natal Aït Mesbah dans l’actuelle commune des At Dwala (Béni Douala comme l’ont rebaptisé les pieds-noirs). Amar Imache, né le 7 juillet 1895, rejoint la France métropolitaine qui se trouvait en pleine tourmente de la grande guerre. Une France qui avait grandement besoin de la main-d’œuvre des colonies pour remplacer ou accompagner les Français partis au front. Il n’avait que 21 ans.

Très vite, le jeune Amar comprit les enjeux politiques de l’heure et s’engage sur la voie de l’indépendance algérienne. Il s’affilie au « Congrès des ouvriers nord-africains de la région parisienne » à majorité kabyle. En mars 1926, ce syndicat devient un parti politique « l’Etoile nord-africaine » à majorité kabyle aussi (cinq membres fondateurs sur huit) dans lequel Amar Imache joue un rôle de premier plan.

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Conscients des rapports de force internationaux, les adhérents de ce parti naissant, dont l’ambition est d’unir les forces de l’Afrique du nord (on ne disait pas Maghreb à l’époque), élisent Messali Hadj, arabophone, au secrétariat général. L’idée est que sa présence, comme leader non kabyle, allait élargir l’audience de leur combat. Ils espéraient, en conséquence, avoir le soutien des populations arabophones, voire des « pays arabes ». Le panarabisme émergeant, à ce moment-là, autour de Chakib Arslan donnait l’illusion de mouvement libérateur. Amar Imache assure le secrétariat général de l’ENA en 1933 et devient rédacteur en chef de son organe, le journal El-Ouma.

En 1936, les deux leaders s’opposent à propos du Front Populaire Espagnol. Messali Hadj se rapproche de la position des communistes et trotskistes français pour engager les militants de l’ENA avec les brigades internationales dans la guerre d’Espagne. Amar Imache s’y oppose. Il veut réserver leurs forces à l’indépendance nord-africaine. En même temps, il n’admet pas la position de la gauche espagnole qui a entravé l’indépendance de la République du Rif (Maroc) et a cautionné une répression qui sévit durement.

L’ENA est dissoute en novembre 1929 mais une assemblée clandestine a pu se tenir en mai 1933. Elle désigne Messali Hadj comme président, Amar Imache secrétaire général, Belkacem Radjef trésorier et Si-Djilali comme directeur du journal El-Ouma dont Amar Imache reste rédacteur en chef. En janvier 1937 L’ENA est à nouveau dissoute et Messali Hadj en profite pour créer un nouveau parti : le Parti du Peuple Algérien (PPA).

Au début des années 1940, Amar Imache se retrouve prisonnier politique dans les camps allemands. Son action militante est durement entravée. Libéré à la fin de la guerre, il dénonce violemment l’abjecte répression du 8 mai 1945 en Kabylie sétifienne et à Guelma. Au même moment, sa tentative de créer le Parti de l’Unité Algérienne (PUA) a fait long feu et décide de rentrer en Algérie en 1947. C’est alors qu’il rédige sa célèbre « lettre d’adieu aux Algériens résidant en France ».

Ce fût un vibrant appel à l’union mais aussi une mise en garde contre le culte de la personnalité que cultivait Messali Hadj. Une mise en garde prise au sérieux par nombre de militants opposés à Messali Hadj à l’intérieur du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD). La crise antiberbère de 1949 y est en partie liée. Entretemps, il rejoint Ferhat Abbas, dirigeant de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) et y milite jusqu’en 1951.

Contraint de faire face aux besoins de sa famille, il reprit un travail salarié dans une société d’import-export à Alger. Mais très vite sa santé décline et se dégrade. Il rentre dans son village natal et conseille, quand il le peut, les responsables FLN-ALN de sa région avec lesquels il est resté en contact tandis que Messali Hadj, fondateur du Mouvement National Algérien (MNA) jouait la carte anti-fln à la grande satisfaction des forces coloniales réjouies de voir les Algériens s’entretuer. Un Messali Hadj mort le 03 juin 1974 en France et considéré comme traitre par le FLN et le Congrès de la Soummam avant d’être réhabilité par Bouteflika en 2007.

Le dimanche 7 février 1960, Amar Imache, le laïc invétéré, s’éteint sans avoir vu l’indépendance de son pays pour laquelle il a sacrifié toute sa jeunesse et sans avoir bénéficié d’une reconnaissance officielle à la hauteur de son action. Mais, le martyr qui n’a rien vu[1] laisse, pour la postérité, un héritage intellectuel et une pensée révolutionnaire considérables[2].

Un grand héritage qui n’a pas empêché l’historien Benjamin Stora de zapper son nom dans le rapport supposé contribuer à « une possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie[3]». Il est vrai que Stora a cette fâcheuse habitude de mettre plus en valeur les nationalistes algériens qui, à un moment ou un autre, ont été du côté de la France coloniale soit directement, soit indirectement en plaidant pour l’assimilation.

C’est ainsi que les références « indépendantistes » que l’historien met en exergue sont essentiellement l’émir Abdelkader devenu ami de la France et décoré par celle-ci et dont il souligne « l’extraordinaire mouvement de résistance », Messali Hadj « vieux chef historique » marié à une française et fondateur du MNA, Ben Badis et les autres oulémas fervents partisans du rattachement de l’Algérie à la France. Il y adjoint Ferhat Abbas marié aussi à une française et qui, avant de rejoindre le FLN en 1956, était défenseur de l’assimilation pour peu que la puissance coloniale octroie la nationalité française aux indigènes. Mais Ferhat Abbas, contrairement aux autres, a radicalement changé pour devenir le premier président du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne).

Quant aux nationalistes radicaux de la première heure, l’historien préfère minimiser leur rôle ou carrément en ignorer un certain nombre. Un simple regard sur les occurrences des noms dans son rapport donne une indication intéressante sur l’orientation de ce texte officiel remis au chef de l’État français. Cheikh Aheddad, Imache et Amirouche sont totalement absents dans l’histoire de l’historien et Boudiaf et Abane sont mentionnés une seule fois. Kabyle est cité 2 fois, arabe 17 fois, pieds-noirs 25 fois et juif 26 fois. Naturellement les judéo-pieds-noirs sont présentés, dans son rapport, comme les instituteurs paisibles d’Algérie et comme des gens qui « y travaillent et vivent depuis des générations ». Il parle même de leur niveau de vie faible. Mais il ne le compare pas à celui des indigènes, il le met sur la balance du niveau de vie métropolitain : « la plupart ont un niveau de vie inférieur à celui des habitants de la métropole » écrit-il. La belle affaire ! Après cela, il prend à son compte une citation de Paul Ricoeur qui dit que « certains peuples souffrent d’un trop plein de mémoire » et d’autres « souffrent d’un défaut de mémoire ». Les Algériens font partie, à ses yeux, de la première catégorie. Et toujours pour l’historien, « les groupes de personnes traumatisés [sont les] soldats, officiers, immigrés, harkis, pieds-noirs, Algériens nationalistes ». Remarquons que les soldats et les officiers ont souffert et souffrent encore mais pas les Algériens lambda !

Je reviendrai sur l’ensemble du rapport Stora à un autre moment parce que les omissions, les vérités édulcorées, les interprétations pieds-noiristes sont légion dans chaque paragraphe. En réalité, l’historien a livré un discours euphémique et lobbyiste. Mais venant de lui, ce n’est, bien sûr, pas tout du communautarisme, le communautarisme c’est nous.

Né la même année que Stora, j’ai vécu une enfance totalement différente que la sienne. Forcément nos mémoires sont aux antipodes. La mienne se rapproche plutôt de celle de Henri Pouillot[4]. J’ai vu, en effet, des hommes de ma famille disparaître du jour au lendemain, mon père en faisait partie, sa voiture mitraillée dans le garage, sa maison partiellement détruite, son épicerie et son café sauvagement pillés, notre unique mouton confisqué, j’ai vu également mes sœurs et mes belles sœurs enduire leur visage et leur poitrine de crottes et d’urine de chèvre pour se trouver le plus repoussantes possible lors des visites diurnes ou nocturnes de la soldatesque en place, etc. etc. J’ai entendu les jeunes hommes de mon village torturés, j’ai écouté leurs cris des nuits durant. Des cris déchirants qui s’amplifiaient, s’amplifiaient encore avant de s’éteindre dans un dernier râle agonisant. Nous n’habitions pas loin d’une annexe d’une SAS.

À 10 ans, j’emmenais, en compagnie d’autres jeunes contribules, la gamelle pour nourrir mon frère ainé emprisonné sans jugement. Les chiens des militaires s’attaquaient souvent à nous et la gamelle se retrouvait parterre une fois sur trois ou sur quatre. Mon frère restait sans repas, il devait attendre la livraison du lendemain ou partageait la gamelle de ses camarades qui avaient reçu la leur.

C’est pourquoi les enfumades, les exécutions sommaires massives, les bombardements au napalm, les opérations Challe, les viols, les ratonnades (poursuivies en France jusque dans les années 1970 et que l’historien occulte) sont, à l’évidence, pour moi et pour mes compatriotes ce qu’ils sont : des crimes de guerres, des crimes d’État. L’historien a beau les habiller en « répression », en « violences », en « conflit cruel », en « exactions », ces crimes ne peuvent à aucun moment être pour nous des « nostalgies langoureuses » tant « la colonisation est un crime contre l’humanité » comme l’a reconnu Emmanuel Macron avant qu’il ne se rétracte sous la pression des lobbyistes. Des lobbyistes qui admettent mal d’être tenus, directement ou indirectement, responsables de ces méthodes nazies. Les anciens de l’OAS restent, sans doute, les plus ultra d’entre eux sur cette question. Une OAS soutenue et aidée dès sa création par le Mossad. Mais cela Benjamin Stora n’en souffle pas un mot, c’est l’historien israélien Yvonnick Denoël qui l’écrit dans son livre « les guerres secrètes du Mossad » paru en France aux éditions du « nouveau monde » en 2012.

Cela dit, la réconciliation est possible et reste un impératif historique pour construire un avenir plus digne entre les deux pays. Benjamin Stora propose quelques pistes dont certaines peuvent être retenues par les Algériens d’aujourd’hui. Son rapport est une bonne base de travail, il ne devrait pas signer l’arrêt de sa coopération. Bien au contraire, il devrait en être le commencement. Les Algériens ne demandent pas des excuses comme peuvent le formuler certains caciques du pouvoir pour se donner une légitimité historique et prendre une posture de nationalistes purs et durs.

La réconciliation requiert, pour la France, une nouvelle politique, courageuse et généreuse. Celle-ci commence par la reconnaissance, sans tabous, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ; elle nécessite des gestes forts et concrets pouvant aboutir à la promotion effective des enfants de l’immigration ; elle exige aussi certaines réparations dues aux Algériens d’Algérie : élaborer un plan Marshal pour la formation des jeunes (les Algériens ont été massivement privés d’école durant la colonisation) ; Ériger une bibliothèque universitaire conséquente en contrepartie de celle d’Alger brûlée par l’OAS ; octroyer une aide significative pour le reboisement de toutes les forêts détruites accompagné de la reconstitution de sa faune et flore ; remettre en l’état quelques dizaines (parmi le millier) de villages rayés de la carte en vue d’en faire des lieux pédagogiques, historiques et touristiques ; indemniser les victimes (et leurs ayant droit) des expériences nucléaires ; impulser et financer des échanges entre universitaires, entrepreneurs, militants syndicalistes, associatifs et politiques.

Un partenariat d’exception est possible, il est même une nécessité historique pour les deux pays. Nous devons toutes et tous y travailler dans un respect mutuel. Pour cela, le FLN d’hier et d’aujourd’hui doit aussi s’amender et reconnaître ses crimes d’avant et après indépendance et le pouvoir militaro-FLN en place doit ouvrir l’espace politique algérien à un processus démocratique tangible. C’est dans un tel cadre, et seulement dans celui-ci, que la mémoire d’Amar Imache pourra trouver sa place. Sans ce dernier volet, toute action de réconciliation entre la France et l’Algérie serait prématurée, inopérante voire dangeureuse.

Hacène Hirèche, consultant et militant associatif

Notes

[1] BESSAOUD, Mohand-Arab, Heureux les martyrs qui n’ont rien vu, autoédition 1963

[2] IMACHE, Amar, L’Algérie au carrefour (brochure, 1937) ; L’Afrique dans l’angoisse (brochure, 1939) ; Cyclones sur le monde (brochure, 1946) ; L’heure de l’élite (brochure, 1946) ; Le procès de mes aïeux (in périodique El Ouma

[3] STORA, Benjamin, rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, page d’introduction

[4] POUILLOT, Henri, rapport Stora : lettre au Président Macron in El-Watan du 30 janvier 2021

Auteur
Hacène Hirèche (militant associatif)

 




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