Lundi 6 juillet 2020
5 juillet 2020 à Paris : retour en force du Hirak
Ce dimanche 5 juillet 2020, la diaspora algérienne a fait une démonstration de force à Paris. 5 000 selon la police, 15 000 selon les organisateurs, les manifestants ont déferlé pacifiquement de la place de la République à la place de la Bastille. Un frisson de ferveur continu semblait traverser la foule.
Les visages étaient illuminés et les gens s’interpellaient comme dans des retrouvailles familières, comme pour marquer un renouveau, une résurrection.
Par groupes de dizaines, parfois de centaines, ils ont scandé les mots d’ordre habituels du Hirak/Amussu et ont signifié fermement aux généraux que l’heure est à l’« État civil et non militaire » mais aussi, et c’est peut-être la nouveauté, « ddawla madaniya maççi 3askariya, maççi islamiya (ni État militaire, ni État islamique) ».
L’ambiance est restée joyeuse, colorée, sonore et surtout fraternelle malgré quelques vives divergences de point de vue que l’on décèle dans les prises de parole. Les meneurs sont restés inébranlables et donnaient fortement de la voix pour se faire entendre de la masse de manifestants femmes et hommes qui suivaient les camionnettes munies de haut-parleurs ou de porte-voix.
Les drapeaux algériens et nord-africains (amazighs) flottaient partout avec fierté, ardeur et ostentation. Beaucoup de manifestants arboraient les deux emblèmes à la fois comme pour signifier que l’un n’exclut pas l’autre, qu’ils vont, au contraire, bien ensemble.
Le redémarrage du Hirak fût un grand succès en France, il le sera assurément en Algérie dès que la situation sanitaire le permettra. Les Algériens sont, à l’évidence, déterminés mais aussi patients, tenaces et résilients. Ils attendront, c’est le vœu d’un grand nombre, le moment voulu, le moment opportun, le moment idoine pour ne pas prendre des risques inutiles.
La seconde mi-temps du Hirak/Amussu accélérera la mort du système Boukharouba-Bouteflika dont la décomposition est largement entamée. Mais cette perspective ne résultera pas de vœux pieux. Elle dépendra du comportement des élites politiques, associatives, syndicales et universitaires, de leur capacité à conjuguer leurs luttes en toute modestie, en toute tolérance. Reproduire le discours binaire des années 90, mettre en avant les egos, chercher la visibilité à tout prix, conduiraient immanquablement à la régénérescence du système en place.
Si nous nous efforçons tous et partout à puiser nos forces dans ce qu’il y a de meilleur en nous, l’objectif de l’Algérie libre serait atteint. Pour aller dans ce sens, il faut que l’on travaille maintenant à graver sur le marbre les fondamentaux de la démocratie afin d’éviter l’affrontement entre modernistes-progressistes d’un côté et conservateurs-religieux de l’autre. La clarté, la transparence, la franchise, sont les vecteurs de l’acceptation des opinions divergentes et la condition du vivre ensemble. L’Algérie ouverte, plurielle, attractive est à ce prix. Chaque camp doit s’employer à neutraliser ses éléments belliqueux, à les rendre inaudibles.
Si l’on veut être vigilants, nous devons comprendre que certains cherchent à remuer le couteau dans les plaies pour les empêcher de se refermer sous prétexte de chercher les coupables de la décennie noire.
Pourtant, un cessez-le-feu n’empêchera pas les enquêtes futures d’avoir lieu pour faire la lumière nécessaire sur les responsabilités de chacun dans cette tragédie. Mais la culture politique de ces années 1990 continue de faire des ravages et ne pousse ni à la justice, ni à la réparation. Elle attise plutôt le sentiment de vengeance. Nous devons y prendre garde. Porteuse de violence, cette culture a été désamorcée par le Hirak qui a réussi le pari de la silmiya/talwit. Mais beaucoup de travail sur nous-mêmes reste encore à faire pour empêcher sa résurgence.
Pour cela, la priorité démocratique doit être à la fois notre outil et notre but.
Hacène Hirèche, universitaire consultant. Membre du « Comité sauvons Karim Tabbou »