23 novembre 2024
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Algérie : le système, la peste et… le corona

TRIBUNE

Algérie : le système, la peste et… le corona

Le système politique algérien, hérité d’une révolution inachevée, dispose d’une puissante capacité d’adoption et d’intégration de nouveaux membres encore plus féroces et dominateurs qu’il est illusoire d’en attendre une hypothétique humanisation et mutation démocratique.

Le passage de l’autre côté de la barrière produit une mutation rapide et définitive, ‘’ad vitam æternam’’ (pour la vie éternelle). Ils sont désormais de ‘’ceux du pouvoir’’, statut d’expression d’une divine puissance, transmissible à leur progéniture.

Mais on entend encore, souvent chez les vieilles personnes, la naïve incantation chargée d’espoir, venant probablement des temps anciens où dans les contes existaient des ‘’monarques bienfaiteurs’’ : « peut-être que celui-là va faire le bien du peuple !… ».

La réalité s’impose à nous. Nous ne sommes plus dans les temps des contes merveilleux.

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La libération conditionnelle des quelques prisonniers politiques cette semaine est à inscrire dans le registre de la ruse permanente du système (1) et de l’action psychologique digne d’un Paul-Alain Léger (2). Peut-il exister une grâce présidentielle conditionnelle ?

Le message est clair : on lâche un peu la bride, mais on tient la bride de la menace, dans l’espoir d’intégrer demain ces naïfs agitateurs ‘’qui ne connaissent pas leur intérêts’’.

On est toujours dans la logique de cooptation du système pour sa régénération. Et l’autorisation de la tenue récente des congrès du FLN et du RND, en plein confinement, en est la preuve.

Cette opération d’ouverture étroite vers les détenus d’opinion est accompagnée, dans la même semaine, de l’opération de ressoudage et de renforcement du système par des élévations aux grades supérieurs des retraités déjà aux grades très supérieurs !

Tout cela pour encore ressasser l’inacceptable coup d’État de 1962, « l’ANP digne héritière de l’ALN », où l’armée de l’extérieur (dite ‘’armée des frontières’’) était planquée au Maroc et en Tunisie, pendant que les maquisards de l’ALN subissaient le feu de l’ennemi. Ils ont beau insister sur le slogan, ça ne passe pas, même si les générations de soldats ont changé depuis. 

Sur ce point, le bilan historique n’a jamais été établi et l’emprisonnement récent du commandant de l’ALN Lakhdar Bouregâa en est la preuve éclairante.

Cette culture du putsch et du fait accompli a fait des petits. Beaucoup rêvent d’en faire un bis repetita. L’agitation actuelle des snipers de Londres, Dubaï et Paris pour orienter le mouvement de contestation populaire (Lḥirak), vers leur propre objectif (la chute du régime et la prise unilatérale du pouvoir) s’inscrit parfaitement dans la stratégie établie par Boumediène au Maroc pendant la guerre, avec l’aide des services secrets égyptiens (3) et (4).

Pour cette mouvance islamiste, financée par l’internationale islamiste, les démocrates et ‘’citoyens normaux’’ sont tout au plus réduits à la partie accessoire, pour la vitrine, avant de passer aux choses sérieuses. Les islamistes iraniens leur ont montré en 1979 comment on nettoie efficacement le terrain dès la prise du pouvoir définitif.

En 2020, l’armée islamiste des pasdarans (‘’gardiens de la révolution’’) est plus puissante que l’armée nationale iranienne.   

Bien évidemment il ne s’agit pas de choisir aujourd’hui entre le système et la peste en ce temps de coronavirus. 

Autant la suspension de la contestation citoyenne depuis des mois, qui est à saluer, donne des ailes au système pour mener une politique répressive dans la perspective de désamorcer la mobilisation, autant les islamistes veulent accélérer leur prise de pouvoir, avec la complicité de la pandémie, quitte à marcher sur les cadavres du peuple comme Boumediène a avancé sur Alger en tuant sans pitié les derniers maquisards de la wilaya IV. La stratégie islamiste est-elle réalisable aujourd’hui ?

Si l’instrumentalisation supposée du mouvement populaire par des islamistes, devenus par tactique ‘’pacifistes et démocrates’’, ces derniers n’abandonnent jamais l’option première qui est la violence, caractéristique de tous les mouvements islamistes, qui sont le produit de l’idéologie arabo-islamiste. L’apparition demain de brigades islamiques, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, n’est pas totalement à exclure.

Un point positif. La sociologie du pays a fondamentalement changé et ce qui était possible en 1962 et 1992 ne l’est plus en 2020. La société algérienne a depuis février 2019 pris conscience de ses capacités de mobilisation et de résistance. Cette endurance a accéléré l’auto-destruction du système par ses multiples règlements de comptes mais sans aller jusqu’au bout dans un processus d’auto-dissolution de par la complexité des intérêts en jeu. Il n’y a rien à attendre donc de ce côté-ci.

Aussi, ce que la rue, pacifiquement, n’arrive pas à obtenir depuis des mois, la théorie du complot actionnée par les islamistes et ses Fb-snipers ne pourront orienter la lutte populaire vers l’impasse.

Seule la capacité de maintien du caractère pacifique de la contestation à la reprise du mouvement post-corona décidera de l’issue de la lutte : un Etat civil et les conditions d’une reconstruction nationale basée sur la légitimité populaire.   

A.U. L.

Notes :

(1) Le pays subit depuis 60 ans ‘’la ruse permanente’’ pendant qu’on promettait ‘’la révolution permanente’’ et le culte/fond de commerce des chouhadas/martyrs.

‘’La révolution permanente’’ est un mot d’ordre lancé par Karl Marx puis développé en théorie par Trotski et Parvus pour désigner le processus par lequel la révolution ne s’arrête pas tant qu’elle n’a pas atteint tous ses objectifs…. (Wikipédia).

(2) Paul-Alain René Léger est un officier parachutiste de l’armée française, combattant de la Seconde Guerre mondiale, des guerres d’Indochine et d’Algérie. Ancien des SAS et du GCMA en Indochine, spécialiste de la guerre contre-insurrectionnelle dans les services du SDECE. Il est impliqué dans la « bataille d’Alger », la crise de mai 1958, la bleuite, l’affaire Si Salah, la lutte contre les trafiquants d’armes, et le putsch des généraux.

(3) La plus grosse livraison d’armement et de moyens de transport  (camions, porte-chars) pour Boumediène depuis l’Égypte vers le Maroc et la Tunisie a eu lieu en avril 1962… bien après le cessez-le-feu du 19 mars. Pour quoi faire ces armes et camions, sinon pour marcher sur Alger ?

(4) Comme le poète a toujours raison, rappelons les mots incisifs du grand Mohia sur cet épisode de 1962 : «  Teffeɣ Fransa, tekcem-d Lezzayer » (La France est partie, l’Algérie est entrée), pour traduire le forfait de 1962, c’est-à-dire l’entrée en force de l’armée de l’extérieur depuis le Maroc et la Tunisie.

Auteur
Aumer U Lamara

 




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