Lundi 13 janvier 2020
Y a-t-il une recette pour gérer les complexités de l’Algérie ?
Le Hirak est l’expression populaire par excellence. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Les Algériens ont tout voulu faire : révolution agraire, révolution industrielle, révolution culturelle et même la révolution de l’ordre mondial.
Ils ont apporté leur soutien au monde arabe et à la Palestine. Ils se sont ouverts à l’Afrique, mais les dividendes tardent à venir face à une démographie galopante et des ressources énergétiques, tarissables à terme. Aujourd’hui, ils sont aussi fatigués que blasés à telle enseigne qu’ils affichent leur défiance pour tout et partout.
Cette défiance est d’abord verticale et les oppose à ceux qui les gouvernent qui, selon eux, cultiveraient « l’entre-soi », sans se préoccuper, ou si peu, du peuple. Il serait pourtant naïf de limiter cette défiance aux seuls gouvernants, elle frappe la classe politique toute entière, principalement les partis dont les efforts de positionnement ne sont en fait, que des tentatives pour se rapprocher du pouvoir, donc de la rente !
A cette défiance verticale s’ajoute une autre défiance de type horizontale : les rapports sociaux s’exacerbent et mettent à mal la cohésion sociale ; les syndicats et à leur tête l’UGTA sont désavoués et, la prochaine tripartite,si d’aventure elle se reproduit, risque de les discréditer davantage aux yeux des travailleurs appelés, par ailleurs, à faire preuve davantage de « sacrifices » !
On est arrivé progressivement à une impasse !
N’ayant pas canalisé sa précaire rente pétrolière vers l’investissement productif, observait un éditorialiste avec lequel on ne peut être que d’accord, le pays est désormais condamné à renouer, tôt ou tard, avec les politiques de rigueur et d’austérité. Sous le contrôle du FMI ! Par la faute surtout des gouvernements qui se sont succédés ! L’Algérie déficitaire était soumise aux contraintes du FMI dans les années 1990. Elle est devenue un temps excédentaire et même créancière de ce même FMI. Elle redevient, aujourd’hui, à nouveau déficitaire non sans avoir entre-temps brûlé la chandelle par les deux bouts !
Ahmed Ouyahia, en son temps et pas que lui, prenait un malin plaisir de mettre en garde la population, comme si cette dernière avait quelque emprise sur la politique énergétique du pays ; en parallèle, il a donné «vicieusement » l’ordre d’accélérer les recherches et d’augmenter la production, mais également d’entamer l’exploitation du gaz de schiste. Et au diable les générations futures !
L’Algérie d’aujourd’hui, tourne le dos au pays profond
Les walis, pourtant, majoritairement «énarques » n’ont pas amélioré le développement local, encore moins créé de l’emploi et de la richesse ! Certains parmi eux se sont retrouvés en prison pour mauvaise gestion et corruption en attendant que d’autres délinquants « en col blanc » les rejoignent à El Harrach.
Certes, l’eau coule quand même dans les robinets, les hôpitaux fonctionnent cahin-caha, des milliers d’enfants sont chaque rentrée scolarisés avec force démonstration, ce qui donne l’impression que le pays bouge, mais pas assez. La faute au « dirigisme » d’Etat, de la lourdeur bureaucratique qui fait de la résistance, des banques timorées et surtout du choix du développement économique qui reste à inventer.
C’est une agriculture déficiente, délaissée, c’est également, une industrie qui tourne au ralenti et qui a perdu le pari de « l’industrie industrialisante ».
C’est la marginalité des jeunes qui n’ont pas de droits et qui, en dehors du foot, n’ont aucun moyen de se dépenser. Les garçons traînent dehors à la merci des narcotrafiquants et des gangs qui les recrutent en masse. Quant aux filles, elles sont sommées de rester à la maison ! C’est aussi l’exil intérieur des femmes, le sexisme, la misogynie, le machisme des hommes, la violence et la réclusion pour un grand nombre d’entre-elles ; celles qui travaillent, nonobstant les préjugés, doivent donner la preuve de leur probité.
Au chômage ou en marge d’une activité professionnelle, chacun de nos concitoyens, ou du moins un grand nombre, semble disposer d’un commerce souterrain ou d’un business, nécessaire non seulement pour arrondir ses fins de mois, mais aussi et surtout pour se procurer des produits, des médicaments ou des pièces de rechange qui font défaut, débloquer une démarche administrative qui s’enlise, ou sinon faire fortune !
Il faut dire que la population ayant si bien assimilé le mécanisme, il ne viendrait à l’idée de personne de passer par la filière officielle pour une quelconque démarche, on commencera, toujours, par la combine, c’est-à-dire rechercher les relations susceptibles de faire aboutir ladite démarche.
Alors, c’est ainsi ?
C’est également un cinéma et un théâtre moribonds ainsi qu’une production littéraire orientée par l’idéologie islamiste et une chanson phagocytée par le «raï» dont certains adeptes font l’apologie de la «harga suicidaire » ! Les chansons et les vidéos des jeunes qui ont « réussi» leur traversée sont autant « d’appel d’air » pour ceux qui seraient tentés de les suivre.
Mais, il n’y a pas de harragas sans passeurs ! En accablant les premiers, c’est comme si on cassait le thermomètre pour réduire la fièvre. En fait, les criminels sont les passeurs qui fournissent la logistique allant du zodiac, de la chaloupe bricolée, du moteur en fin de vie, au fuel servit par des pompistes très peu regardants. C’est ces crapules qu’il faut réduire : 200 d’entre eux ont été trainés en justice avec à la clef des peines très lourdes ! Ce n’est pas assez.
C’est également la place qu’il faut donner à la religion. Les Algériens sont pris en tenaille dans le tourbillon d’un débat malsain sur l’islam. Quel islam voulons-nous ? Comment voulez-vous une réponse unanime acceptable pour tout le monde ? C’est rentrer dans des débats infinis affirme très justement un intellectuel, alors que le débat, le vrai, est sur les nano technologies ! Le problème des Algériens n’est pas religieux a-t-il ajouté : il est économique et technologique. Et nos partis islamiques sont à ce niveau désespérément silencieux !
Dans les villes, sales, dépourvues de commodités et aussi d’espaces culturels, sportifs et de loisirs, c’est l’ennui, les tracasseries de la circulation automobile, les petits boulots de l’informel, le piston et la course au visa pour ceux qui veulent voir ailleurs !
Les Algériens en sont encore à s’affronter sur le choix du modèle de société. Sur le choix du modèle culturel : arabophone, berbérophone, francophone, voire anglophone.
En revanche, le réseau souterrain de services, trafic d’influence, parrainage et cooptation, magouilles et combines est extrêmement dense. Disert même ! Il croit avec l’informel qui a tout gangrené. Les « usagers » de ce type d’échanges n’ont ni remords ni scrupule. Il s’agit, pensent-ils, d’un échange de « bons procédés ». Cela se pratique à un niveau assez bas entre « potes » et connaissances. Même pour ceux qui arrivent à accéder à un poste ou une fonction élective, la première question qui se pose à eux, est la suivante : qu’est-ce que je peux en tirer pour mon profit personnel?
Mais cela continue jusqu’au sommet de l’Etat avec l’oligarchie qui s’est largement sucrée avec le concours d’Ouyahia, Sellal, Zaalane, présentement «pensionnaires » d’El Harrach en compagnie de leurs corrupteurs Haddad, Tahkout, kouninef et consorts !
Politiquement parlant, cela ne va pas mieux ! Cela met à nu une classe politique sans vision d’avenir, sans idées. Sans assise populaire surtout. C’est des hommes et aussi des femmes, obsédés par le pouvoir, accrochés à leur siège depuis plus de 25 années pour certains et qui ne veulent rien lâcher. Au prix de retournement de vestes incroyables ! Aujourd’hui, ils sont contestés par leur base : dégagez leurs disent-ils ! C’est la politique à courte vue, celle des fausses solutions qui tout au plus, accordent un répit à des dirigeants en panne d’idées, qui refusent de se remettre en question et faire leur introspection. Ils sont la majorité au parlement disent-ils, dans un pays ou l’abstention bat des records. Il y a aussi le FLN, dont deux secrétaires généraux sont en prison, coquille creuse prise en otage par des personnes tout juste capables de servir de caution au pouvoir en place ou de se désigner elles-mêmes candidates aux responsabilités et partant, se prêter aux mensonges de ceux qui tirent les ficelles en coulisses !
Les autres partis souffrent aussi d’un discours politique gangréné par la langue de bois et usé jusqu’à la corde. Les citoyens les critiquent dès lors qu’ils ont le sentiment que ces partis tournent complètement en « vase-clos » et sont de plus en plus déconnectés des réalités.
Les Algériens n’ont pas une vie normale. Ils sont dans l’angoisse permanente et le stress. Ils se lèvent le matin avec un million de problèmes, et le soir ils s’endorment avec un milliard de problèmes. Ils n’ont pas le sentiment d’améliorer les choses, quotidiennement.
Ils sont travaillés par la fièvre du passe-droit et de l’arrivisme ; Il en de même de leurs élus, tout comme leurs responsables qui se servent des institutions comme de leur propre bien. Aucun contrôle, ou presque, ne pèse sur eux, au sens macro et micro-économique. On ouvre des milliers de postes de travail bidons, ceux du filet social notamment, pour satisfaire la révolte et on couvre d’avantages tous ceux qui font la grève, pour acheter la paix sociale ?
Et la preuve a été donnée par un ancien ministre du Travail qui avait annoncé officiellement qu’ « il n’est pas question de poursuivre les bénéficiaires des crédits ANSEJ qui ne s’acquittent pas de leurs dettes ! ».
Les banques, déjà accusées de frilosité, peuvent attendre !
Force est de constater aussi que les investisseurs nationaux ne trouvent aucun intérêt ou si peu, à aller vers la production nationale malgré toutes les facilités qui leur ont été accordées en matière de foncier ou de diminution de la pression fiscale ; dans ce cas là, il ne faut pas s’étonner que les étrangers, règle du 49/51 ou pas, fassent preuve de peu d’engagement !
De ce qui précède, on peut dire que l’Algérie condense tous les problèmes à la fois : ceux des pays en voie de développement et ceux d’un pays nouvellement industrialisé !
Nous avons raté nos développements successifs en reproduisant les mêmes erreurs du passé : 98% de notre économie est financé par le pétrole. Le pays, faut-il le rappeler, n’avait jamais été maître de son destin économique ; il avait légué la bonne gouvernance aux institutions étrangères, les banques mondiales et le FMI dont l’objectif final est connu de tout le monde : privatiser et piller les ressources de l’Algérie.
La dette a été remboursée mais les années qui viennent risquent de ramener le pays à la case départ. A moins d’une meilleure gouvernance conforme aux « desiderata » des algériens qui n’ont de cesse de le « vendredire » !
L’Algérie au futur n’offre pas de garanties. Sont-ils, vraiment, en capacité ceux qui sont aux manettes d’apporter des solutions aux vrais problèmes qui se posent au pays, et surtout à tenir le cap?
Y a-t-il une recette pour gérer les complexités du pays ?