Vendredi 15 novembre 2019
De la république des ‘’adjudants’’… au califat des actionnaires ?
La dignité, le courage et la détermination des détenus politiques jugés cette semaine à Alger et sévèrement condamnés pour délit imaginaire de ‘’port d’emblème amazigh’’ nous imposent de maintenir le cap de notre libération à toutes et à tous, par tous les moyens pacifiques qu’offrent les luttes de libération des peuples.
Le système politique de prédation et de spoliation est toujours là, et le simulacre des élections de décembre projette de le faire durer au maximum, contre la volonté du peuple algérien.
Les optimistes de la révolution citoyenne qui espéraient un écroulement proche de ce système devraient tempérer leur optimisme et redoubler de détermination pour un combat long, afin d’arracher la citoyenneté pleine et entière.
Les comparaisons avec d’autres pays sont utiles, certes, mais les contextes sont différents pour chaque pays. Après 3 semaines de contestation en Bolivie, le président Evo Morales a démissionné ; au bout de 3 semaines de manifestations au liban, le premier ministre Saad Hariri a démissionné, alors que 9 mois de manifestations pacifiques de millions d’Algériens sur tout le territoire national n’ont pas déboulonné le système algérien, qui, pourtant, ne s’appuie sur aucune couche sociale, ou groupe régional, linguistique ou religieux, comme le pouvoir syrien.
L’explication est connue par tous les citoyens : le système algérien actuel c’est et s’appuie sur l’armée et les services de sécurité, et détient, sans aucun contrôle du peuple, les recettes des ventes des hydrocarbures. Deux piliers suffisants pour durer… un temps.
Les stratèges de cette politique de privatisation du pouvoir par la régénération du système politique le savent. C’est pour cela qu’ils travaillent pour créer les conditions objectives de sa durabilité, dans laquelle les élections présidentielles prévues le 12 décembre ne sont qu’un des moyens de leur stratégie.
Cette stratégie est basée sur la fracture territoriale. Elle est conçue sur deux niveaux : national et international.
1) Pour casser le mouvement populaire, d’essence nationale et pacifique, le système opère sur plusieurs axes de fracture :
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Isoler la Kabylie des autres régions du pays par l’instrumentalisation de l’amazighité, comme si le hirak était une revendiaction strictement ‘’kabyle’’ et donc ‘’anti-nationale’’. La mise en place de barrages militaires routiers pour bloquer l’entrée des manifestants dans Alger et l’emprisonnement des porteurs du drapeau amazigh, hors de la Kabylie seulement, s’inscrivent dans cette manipulation.
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La création sans succès d’un front du Sud contre le mouvement populaire. L’envoi de la sinistre Naïma Salhi pour mobiliser les ‘’Arabes’’ de Djelfa, les tentatives d’organiser des contre-manifestations ou des marches à Touggourt et Tindouf, la pression sur la région de Ghardaïa, toujours en état de siège, ne sont que des actions pour soulever le Sud du pays contre le Nord, supposé ‘’anti-national’’. C’est un échec lamentable du pouvoir et la scission programmée n’a pas eu lieu. Il était évident qu’on ne peut faire appel aux habitants du Sud pour accomplir la contre-révolution sur commande alors que ce sont justement les habitants de ces régions qui ont été les plus marginalisées par ce système politique. La dernière tentative de destruction définitive de leur environnement de vie par la tentative de mise en exploitation du gaz de schiste est un indicateur criant de l’aveuglement du système. Il leur reste, dans les jours à venir, à tenter la fracture entre l’Est et l’Ouest du pays, qui finirait aussi lamentablement que le scandale des corruptions colossales de l’autoroute Est-Ouest !
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La mobilisation des zaouïas religieuses, nombreuses au Sud, connues pour avoir bénéficié de finances importantes et corruptrices de la part du système et de ses relais pour servir de béquilles de mobilisation sur commande (l’épisode de Chakib Khelil, cherchant à être adoubé par les zaouias pour se fabriquer une notabilité, est dans toutes les mémoires).
2) Pour repositionner l’Algérie sur la scène internationale par un rapprochement (ou plutôt une vassalisation) avec les monarchies du Golfe, le système amplifie le féodalisme oriental déjà installé dans la période Chadli Bendjedid et renforcé sous Abdelaziz Bouteflika.
La vassalisation ne se situe pas uniquement dans les domaines religieux et culturel mais aussi et même plus dans celui des capitaux et des affaires. Beaucoup avancent l’hypothèse plausible que « les actionnaires étrangers (Qataris, Emiratis, …) dans les capitaux des sociétés privées en Algérie ne seraient que des prête-noms pour des responsables politiques et militaires algériens ». Question qui reste à élucider inévitablement.
La manière dont le système piétine à sa convenance la constitution algérienne, quels que soient les défauts de cette dernière, est un indicateur du peu de poids accordé à cette constitution.
En effet, les pays de référence des ‘’adjudants’’ (1) qui sont au pouvoir aujourd’hui, ne disposent pas de constitution digne de ce nom. Leur loi fondamentale, lorsqu’elle existe, est plus un titre de propriété du pays qu’une constitution. Normal, dans ces califats-là il n’y a pas de citoyens, il n’y a que des sujets.
On peut avancer que le féodalisme oriental a déteint sur les tenants du pouvoir algérien, militaires ou civils associés, subjugués par l’affairisme et l’actionnariat maffieux.
Le républicanisme de façade n’est que de la poudre aux yeux, pour amuser la galerie avec les schémas constitutionnels d’équilibre des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, que publient parfois, sur commande, leurs scribes.
Pendant que le mouvement populaire (Hirak) s’inscrit résolument dans une perspective nord-africaine de réappropriation identitaire et historique pour l’édification d’une Afrique du Nord conforme à son histoire multimillénaire, l’avènement d’une grande Tamazgha des peuples, démocratique dans sa diversité, le système politique des vices-monarques cherche aujourd’hui à arrimer le sous-continent nord-africain au Moyen Orient des monarchies !
L’échec actuel de cette stratégie du pouvoir, de par ses actions de divisions, de manipulations, de fake news, de corruptions, de négationnisme historique et culturel, et de non-sens géostratégique, ne doit pas démobiliser.
L’expérience de la guerre contre les civils des années 1990, dans laquelle le système politique et les terroristes islamistes se sont disputé le contrôle du pouvoir, contre la société algérienne, est là pour nous instruire à maintenir l’initiative et à prévenir le pire.
Pour les sceptiques, les villages désertés et détruits des Aurès, de l’Ouarsenis, de l’Atlas blidéen et d’ailleurs, ainsi que les centaines de milliers de morts et de réfugiés entassés dans les banlieues des villes algériennes sont toujours là pour témoigner et pousser à plus de détermination, mais aussi à la vigilance de chacun et chacune pour une lutte pacifique, quel qu’en soit le prix.
A.U. L
Notes et liens :
(1) Youcef est un ancien soldat de l’ALN en wilaya III et militant armé du FFS de 1963, blessé au combat et torturé pendant plus d’un an. Il est catégorique : « nous avions les noms de tous les sous-officiers, des officiers et des soldats de l’ANP qui terrorisaient et volaient les habitants dans les villages de la région. Certains de ces sous-officiers et officiers sont aujourd’hui généraux, et au pouvoir … Nous sommes sous le pouvoir des adjudants ! ».