22 novembre 2024
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Algérie : Est-ce le temps des dictateurs ?

TRIBUNE

Algérie : Est-ce le temps des dictateurs ?

Nous sommes le 22 juillet 1979 : Saddam Hussein, responsable du parti Baâth irakien, monte calmement sur la tribune d’une grande salle de conférence du parti Baâth, sous les applaudissements de ses supporters ; il s’approche du micro, parle peu puis sort une feuille de sa poche et appelle une liste de noms, en leur indiquant la sortie au fond de la salle.

Les hommes appelés quittent leur siège les uns après les autres. Après leur sortie entre deux gardes, Ils sont immédiatement ceinturés par ses hommes. Ils ne reparaîtront jamais vivants ; ils seront 22 à être exécutés immédiatement, sans autre forme de procès !

Ce rappel du pouvoir absolu par la terreur et dans le sang, de celui qui a détruit son pays à cause de sa mégalomanie et de son rêve de grandeur baâthiste de ‘’la nation arabe’’ est nécessaire pour clarifier ce qui se déroule aujourd’hui en Algérie.

Une prise de pouvoir par effraction vient d’être réalisée par l’état-major de l’ANP (ou une partie de celui-ci) en profitant de l’opportunité offerte par le mouvement populaire du 22 février, après la débâcle du clan Bouteflika. La suite n’est qu’une succession d’opérations politiques et médiatiques afin de neutraliser ce qui reste du clan /Issaba et de casser le mouvement populaire, le Hirak, en tentant de l’accompagner vers… une impasse.

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L’objectif ultime est le renouvellement du système, avec d’autres acteurs, pour continuer la prédation, avec l’expérience en plus.

La tentation d’instaurer la dictature en Algérie, avec le paravent constitutionnel, vient du modèle ou univers mental d’une partie importante de la haute hiérarchie militaire.

On peut avancer, sans risque de se tromper, que Saddam Hussein constitue leur modèle, leur porte-drapeau dans le moule de l’arabo-islamisme dominateur, avec le prestige qui lui était attribué à l’époque : contrôler totalement l’économie de la rente pétrolière, développer une industrie militaire puissante, damer le pion à l’Occident, tout en achetant sa technologie et ses armes, et mener une OPA sur les micro-monarchies du Golfe, jugées rétrogrades et passéistes. 

Pour ses adeptes algériens, qu’on peut qualifier de ‘’petits Saddam Hussein’’, l’invasion coloniale du Koweït, le massacre des milliers de Kurdes (5000 Kurdes gazés à Halabja en 1988), la guerre suicidaire contre l’Iran et la terreur généralisée instaurée sur le peuple irakien ne seraient que de simples erreurs stratégiques de Saddam.

Ainsi, les déclarations successives du chef d’État-Major depuis quelques mois, à partir des casernes du pays, ne sont pas du tout des improvisations. C’est une stratégie réfléchie, avec ses équipes, pour avancer dans cette voie. Un général plus jeune, plus présentable, serait probablement en cours d’échauffement en coulisses pour prendre le relais du patriarche, dans quelques semaines.

A côté de toutes les autres tares du baâthisme, le pivot de l’idéologie baâthiste, appliquée à l’Algérie, est bien évidemment la manipulation de l’histoire et l’uniformité décidée de la nation algérienne, déclarée une fois pour toutes ‘’partie de la nation arabe’’ : il n’y a pas d’Amazighs arabophones (darjophones), pas de Kabyles, pas de Mozabites, pas de Chaouis, pas de Touaregs, etc… il n’y a que des Arabes islamiques sunnites.

La vision de l’État-Major de l’ANP pour l’Algérie, ou du moins son premier responsable, se concrétise au fil des jours par toute une série d’actions convergentes depuis plus de six mois : 

  • Ralentir la croissance du mouvement de dissidence populaire en suscitant des divisions (le coup de l’interdiction du drapeau amazigh et l’emprisonnement de dizaines de personnes aujourd’hui pour délit imaginaire est une illustration du haut degré de perversion atteint par les dictateurs).

  • Monopoliser la légitimité nationaliste et exclure (excommunier) ceux qui ne jouent pas leur jeu et n’adhèrent pas à leur tactiques par des élections présidentielles « dans les meilleurs délais » (sic!) ; la devise : toujours surprendre l’ennemi, c’est dans la stratégie militaire (ici, l’ennemi c’est le peuple). 

  • La répression tout azimut et les provocations ; c’est connu, pendant qu’on court pour faire libérer les prisonniers, on ne réfléchit pas à l’action et à l’offensive ;  

  • Le détournement de la technologie pour la surveillance électronique des réseaux sociaux et les manipulations de l’opinion par des contre-discours construits (blocages de sites d’information, activation de mouches et autres subterfuges).

  • L’utilisation calculée d’anciens hommes politiques dans les médias pour orienter l’opinion nationale (3). 

  • L’occupation du terrain par des initiatives contrôlées afin de bloquer et court-circuiter les initiatives populaires en cours de formation (interdiction des regroupements de l’opposition démocratique, interdiction de l’université d’été du RAJ, etc.).

  • L’injonction faite au président intérimaire d’organiser des élections ‘’dans les plus brefs délais’’, avant la fin de 2019.

Un constat d’échec pour le système. 

Tout cet arsenal d’actions/manipulations ne suffit apparemment pas à faire basculer l’opinion publique vers le choix des généraux pour perpétuer le système. Il leur faut trouver autre chose : l’élection d’un président de la république-pantin ou dictateur en second, dans la précipitation !

Cette précipitation pour passer en force est suspecte. Elle n’est pas du tout dictée par les indicateurs économiques qui se dégradent comme ils le prétendent. 

La clé de cette précipitation est ailleurs et la création cette semaine de l’autoritaire d’organisation des élections avec le même personnel que le ‘’panel’’ décrié par le peuple en est une illustration. Elle s’inscrit dans la bonne vieille recette politique du « il faut que tout change pour que rien ne change » (4)  : la loi électorale actuelle, qui ne sera probablement pas modifiée sur ce point, ne donne pas le chiffre minimum de suffrages en dessous duquel est invalidée une élection présidentielle. Par conséquent, dans le cas où il y aurait vote, à supposer sans fraudes, les généraux peuvent faire passer qui ils veulent avec seulement 1,2 % de la population, c’est-à-dire seulement avec le vote des casernes et de la police (un votre transparent bien sûr ! Où Il n’y aurait qu’un seul bulletin à côté de la boîte, celui de leur candidat).

Il est fort probable que les dizaines de millions d’Algériens mobilisés et unis ne se laisseront pas voler encore une fois leur Algérie par les admirateurs de Saddam Hussein et d’autres dictateurs. 

En 1962 déjà, le vol avait été commis par les admirateurs de Djamal Abdel Nasser.

A.U. L.

Notes et liens :

(1) Vidéo de Saddam Hussein lors de la purge du 22 juillet 1979. Lien vers youtube : Saddam Hussein’s very public purge. https://www.youtube.com/watch?v=kLUktJbp2Ug

(2) Dans sa surenchère islamiste afin de mobiliser les musulmans dans sa guerre contre d’autres musulmans Iraniens chiites, Saddam Hussein a modifié le drapeau irakien en lui ajoutant l’inscription « Allah Akbar » (Dieu est grand). Après tous les événements dramatiques vécus par l’Irak depuis, l’inscription de Saddam sur le drapeau irakien est toujours là.

(3) Notamment la dernière sortie de l’ancien ‘’porte-parapluie’’ de Chadli Bendjedid, puis premier ministre, qui intervient tous les dix ans comme ‘’porte-chuchotement’’ supposé d’une partie de l’armée algérienne.

(4) « Il faut que tout change pour que rien ne change », ouvrage de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, in. Le Guépard de Visconti.

Auteur
Aumer U Lamara, physicien, écrivain.

 




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