Mercredi 20 février 2019
Qu’est-ce que le système algérien ? Et comment en finir avec lui ?
Tout le monde se dit contre le « Système». Une cacophonie de slogans le pourfende à longueur de journaux, d’émissions radiophoniques et télévisuelles, le temps d’une protestation ou d’une élection.
Puis, la clameur se dissipe et chacun rentre tranquillement chez soi avec le sentiment d’avoir égratigné le monstre sans savoir que les coups ont été portés contre son ombre. Le lendemain, le système est toujours là, avec toute sa bonne santé, il ouvre sereinement ses portes et ses pourfendeurs de la veille s’alignent docilement devant ses symboles, ses représentants, ses mosquées, ses écoles, ses casernes et autres institutions. L’allégeance continue jusqu’à la prochaine bataille contre des moulins à vent.
Des politiques et des intellectuels parlent du système algérien comme d’une entité abstraite avec la vanité de s’en démarquer et la prétention de le combattre. Ne se rendent-ils pas compte qu’ils y sont jusqu’au cou et qu’ils le servent comme des valets de cour ?
Qu’entendent-ils par « système » ? Comment le caractérisent-ils ? Jusque-là, personne ne s’est aventuré à nous le définir sur la base d’une analyse irréfutable et nous en révéler les mécanismes et les constituants.
Certains se contentent d’inventer ex nihilo des concepts globalisants qui tiennent plutôt d’un simple jeu de mots et supposent des thèses studieusement élaborées mais dont on ne voit jamais ni le corps ni la démonstration. Ils en font au final des slogans ou des coquetteries intellectuelles qui animent leurs discussions de salon.
D’autres ont recours à l’importation de concepts forgés dans les réalités lointaines de l’occident ou de l’orient. Ils les collent au système algérien comme si ce dernier tenait d’une norme universelle, ou du cours normal de l’évolution historique du monde.
Enfin, il y a ceux qui veulent faire algérien, ils partent à la recherche des débris de l’histoire algérienne pour nous ramener des modèles désuets afin de nous convaincre de leur génie d’archéologues qui viennent de découvrir le graal.
Que n’a-t-on pas entendu ou lu ? Le système algérien serait un socialisme spécifique, un système compradore, un capitalisme d’Etat, une dictature militaire, un communisme stalinien, un afro-fascisme, un bonapartisme, un féodalisme, un mode de production asiatique, un capitalisme sous-développé, une régence, une bureaucratie rentière… la liste est encore longue.
On ose même le qualifier de système hybride pour en souligner une complexité inextricable, c’est-à-dire illisible. Une sorte de créature mystérieuse non identifiable.
Toutes ces thèses rivalisent dans la spéculation intellectuelle et la diversion voulue ou inconsciente. Elles expriment la détresse d’une pensée blottie dans les rouages du système prétendument contesté. L’opposition y puise ses crédos et tourne en rond en attisant le feu qui l’encercle. Et, elle s’étonne de constater sa faillite !
Sans équivalent
Le système algérien n’a pas son pareil ni dans le monde actuel, ni dans l’histoire de l’humanité même en pâle copie. Il est fondé sur des trahisons qui ont fait culture et mœurs politiques. Trois actes historiques illégitimes lui ont donné dans le reniement et la violence son ossature.
1°- L’adhésion pleine et entière de Messali Hadj aux phantasmes arabo-islamiques de Chakib Arslan. C’est à partir du congrès dénommé « Le pacte arabe » tenu en 1931 à Jérusalem par les partisans du panarabisme et du panislamisme que Messali hadj fut corrompu (au sens idéologique et financier) et entrainé dans le sillage de ces abstractions de Nation arabe et de Oumma islamia. Il en était ainsi également des nationalistes tunisiens et marocains. Chakib Arslan fut le principal maître d’œuvre de ce « Maghreb arabo musulman » à partir de Genève d’où il avait établi des liens étroits avec les nationalistes nord-africains (Mohamed Hassan El Ouazzani pour le Maroc, Mohamed Bach Hamba, Habib Bourguiba pour la Tunisie et Messali Hadj pour l’Algérie). Messali Hadj se rétractera sur ses engagements arabo-islamiques tardivement en… 1960 ! Mais l’idéologie arabo-musulmane avait déjà gangrené tout le mouvement national sous son impulsion et celle de ses mentors du moyen Orient.
2°- Le coup d’Etat contre le GPRA qui consacrera désormais, la primauté du militaire sur le politique au mépris des orientations du Congrès de la Soummam.
3°- La préservation de l’Etat colonial en 1962. Edifié par les colons pour sécuriser leurs intérêts exclusifs et maintenir le peuple algérien dans la soumission et la servitude, l’Etat colonial a été conservé au lendemain de la guerre dans ses structures, son fonctionnement et ses missions premières au profit du clan d’Oujda qui s’en est emparé par la force des armes.
La démarche révolutionnaire aurait plutôt consisté à le détruire en tant qu’instrument d’oppression coloniale et lui substituer un Etat d’émanation algérienne représentant la nation libérée. Il n’en fut rien, le même Etat continue d’écraser, de narguer le peuple algérien qui a le sentiment largement justifié d’être gouverné par un Etat étranger. Il y a donc un Etat en Algérie, mais il n’y a pas d’Etat algérien.
Entre parenthèse, qualifier cet Etat de jacobin est une erreur pour plusieurs raisons.
- Le centralisme excessif de l’Etat n’est pas d’inspiration jacobine ni en Algérie ni même en France. C’est une idée reçue que les historiens ont jeté aux oubliettes depuis longtemps.
- Réduire la nature de l’Etat en Algérie à son centralisme est une posture idéologique qui voudrait le dédouaner des autres formes d’oppression dont il est porteur.
- L’Etat colonial qui a été construit en Algérie n’était pas de même nature que celui qui était en place dans l’hexagone.
- Associer les révolutionnaires jacobins aux colons et au groupe d’Oujda est tout simplement aberrant.
En résumé, nous avons un système assis sur l’articulation de trois éléments fondamentaux : Une idéologie mortifère, un Etat de type colonial et une armée qui domine l’espace politique et civil.
Ce triptyque infernal préside aux destinées du pays, régente la vie des Algériens et détourne la société de ses repères et de son autonomie. Il constitue la matrice féconde et inamovible de l’arbitraire et du despotisme depuis 1962. Il dresse par ailleurs les contours d’un sas filtrant par lequel ne passent ni progrès ni libertés, quelles que soient les méthodes de gouvernance et les réformes qu’on projetterait dans la gestion de l’économie nationale, dans les institutions ou dans le fonctionnement de la vie publique.
La seule rupture qui vaille avec le système est de saper ses fondements si on veut rendre l’indépendance de l’Algérie et de son peuple effective. C’est uniquement à cette condition qu’il est permis de parler de projet démocratique et de développement économique social et culturel
Toute prétention d’établir une vie démocratie et d’engager le pays dans la voie du développement prend le sens d’une incantation et d’un vœu pieux tant que ces bases du système politique seront reconduites. De ce fait, La question nationale demeure encore posée. Même si elle est masquée par la rente pétrolière (Pour combien de temps ?) et par les discours de normalisation que produit une quiétude illusoire. Cette question ronge en profondeur la société.
Un danger plane sur la cohésion nationale si on persiste à l’ignorer. Nous sommes assis sur un volcan ! Certains feignent de ne pas le voir, d’autres activent son irruption. Etre contre le système, c’est d’abord détruire ces remparts doctrinaux et institutionnels qui font de l’Algérie un enfant naturel des idéologues orientaux qui ont conçu le «Maghreb arabo-musulman », du colonialisme qui nous a légué un Etat oppressif et du viol incestueux commis par le clan d’Oujda sur une nation dans son état de gestation.
Mokrane Gacem