Samedi 28 septembre 2019
France: que sait-on de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen?
Ni les causes ni les conséquences environnementales et sanitaires à long terme de l’incendie de l’usine chimique normande, survenu en pleine nuit jeudi 26 septembre, n’étaient encore établies à la mi-journée samedi 28 septembre.
Les habitants et les agriculteurs, concernés dans un large périmètre, ne cachent pas une sérieuse inquiétude face au dépôt d’une suie grasse et noire sur les cultures et les habitats. Plusieurs plaintes ont été saisies. Ce samedi 28 à 17h, le préfet de Seine-Maritime Pierre-André Durand assure en conférence de presse de « l’état habituel de la qualité de l’air à Rouen » et d’une « situation normale ».
Que sait-on de l’incendie ?
Un incendie s’est déclaré le 26 septembre 2019 aux alentours de 2h40 au sein de l’entreprise Lubrizol, située quai de France à Rouen (Seine-Maritime), en bord de Seine. Cette nuit-là, environ 11 000 m² d’entrepôt de l’usine sont partie en fumée, soit 10% de la surface totale du site. Les flammes ont été maîtrisées plusieurs heures plus tard grâce à l’intervention de plus de 200 pompiers.
Un épais panache de fumée, long de plus de 20 km et large de 6, dont la teneur toxique est actuellement discutée, s’est élevé en direction du nord-est jeudi matin. Il a répandu sur son passage une pluie de particules de suie noires, au toucher gras, que les habitants ont retrouvé dans leur environnement au petit matin. Les médias ont également rapporté une odeur âcre et persistante.
Aucune victime directe n’a été déplorée. Au total, 51 personnes ont consulté les établissements de santé rouennais jeudi et vendredi matin à cause de l’incendie, dont cinq, des adultes qui avaient déjà des pathologies respiratoires auparavant, ont été hospitalisés, a indiqué vendredi midi le Samu.
Les causes du sinistre ne sont pas encore connues. Le patron de l’usine Lubrizol, Frédéric Henry, a quant à lui exprimé ce samedi matin son étonnement quant aux circonstances probables du départ de feu. « Je suis très étonné de voir un incendie qui démarre comme ça, en pleine nuit, à un endroit où il n’y a personne, a-t-il dit au micro d’Europe 1. Cela m’interroge énormément, je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Il ne faut rien écarter, mais c’est très étonnant. »
Que fabriquait l’usine Lubrizol ?
Lubrizol France existe depuis 1954, explique la société sur son site, et « produit des additifs pour lubrifiants : huiles pour moteurs et autres fluides de transport, des additifs et fluides pour les lubrifiants industriels et des additifs pour l’essence et le carburant diesel ». Elle appartient au groupe de chimie américain Lubrizol Corporation, lui-même propriété de Berkshire Hathaway, holding du milliardaire et célèbre investisseur américain Warren Buffett. 400 personnes travaillent sur le site rouennais – il y a deux autres sites, au Havre et à Mourenx dans les Pyrénées.
Dans l’Union européenne, depuis une catastrophe survenue en Italie en 1976 à Seveso, les sites industriels à risque sont classés selon une directive éponyme. L’objectif de cette législation est de prévenir des accidents majeurs (explosion, incendie, fuite de substances toxiques dans l’air ou dans l’eau…) ou d’en réduire les conséquences, compte tenu des substances chimiques qui y sont présentes, à travers des mesures de sécurité et des procédures. La législation vise aussi à l’information du public, un point largement renforcé par la directive Seveso III entrée en vigueur en 2015.
Selon le ministère de la Transition écologique et solidaire, la France compte 1 312 sites classés Seveso Ils sont répartis en deux niveaux de risque, seuil haut et seuil bas, en fonction de la quantité de matières dangereuses présentes. 705 sont en seuil haut, Lubrizol en fait partie. L’étude de dangers des établissements Seveso seuil haut doit être réactualisée au moins tous les cinq ans.
Quels sont les motifs d’inquiétude ?
Le danger radioactif a rapidement été écarté. Le site de la préfecture de Seine-Maritime est clair sur ce point : « L’usine ne stocke pas de produits radioactifs à des fins de production. Quelques instruments de mesure, sous scellés, comportaient des éléments radioactifs et n’ont pas été exposés au feu ni dégradés. Ils ont été vérifiés ensuite. »
Cependant, les motifs d’inquiétude sont réels, ont confirmé plusieurs professionnels, en particulier sur la toxicité à long terme et sur les cultures environnantes.
Les autorités ont écarté jeudi tout risque de « toxicité aiguë ». La préfecture notait d’après les premières analyses « une absence d’hydrogène sulfuré, une seule valeur d’oxyde de soufre mesurée et des valeurs basses d’oxyde d’azote. Ce sont des substances carbonées classiques que l’on trouve toujours dans les fumées d’incendie ».
Mais le lendemain, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a reconnu l’existence d’un risque sanitaire. « La ville est clairement polluée » par les suies auxquelles il ne faut pas toucher sans protection, a-t-elle dit en conférence de presse après une visite de l’usine dévastée. « C’est une usine qui produit des hydrocarbures : même s’ils ne sont pas en grande quantité, même s’ils sont très proches des seuils, ça n’est jamais bon pour la population de toucher ce genre de produits. »
Annie Thébaud Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm interrogée par l’AFP, craint, elle, la toxicité à long terme du panache de fumée qui a mesuré jusqu’à 22 km de long. Les suies sont « des produits toxiques très dangereux », selon la chercheuse. « L’inquiétude est absolument légitime. Ce nuage qui est passé au-dessus de Rouen est chargé en poussière hautement toxique au minimum cancérogène », a déclaré cette scientifique spécialisée dans les cancers professionnels. « Le préfet ne ment pas quand il dit qu’il n’y a pas de « toxicité aigüe » du nuage, mais il ne peut écarter la toxicité à long terme », ajoute la scientifique, soulignant que le risque cancérogène existe même pour une exposition de courte durée.
Autre motif d’inquiétude : la toiture du bâtiment calciné contenait de l’amiante. Enfin, des incertitudes demeurent sur la contamination des eaux de la Seine qui traversent la ville. Des galettes d’hydrocarbures y ont été signalées.
Comment réagit la population ?
La population locale est sous le choc et témoigne largement de son inquiétude. « Nous sommes en droit de savoir ce que nous respirons quand on observe le brouillard nauséabond flottant au-dessus du site … C’est loin d’être rassurant … », témoigne ainsi Christophe Denis sur le tchat de Paris-Normandie, samedi matin.
Une odeur forte persistait dans l’air vendredi, provoquant pour certains des nausées et des vomissements.
Les agriculteurs, même éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres, souffrent de cet accident et anticipent déjà en effectuant des prélèvements, comme l’explique à RFI Sophie Lacaisse, agricultrice :
« On fait des prélèvements de lait régulièrement. On a fait des prélèvements d’eau, dans les abreuvoirs extérieurs. Et il est prévu qu’on fasse des prélèvements au niveau de la terre, dans nos herbages. On a rentré nos vaches laitière, donc on augmente les coûts de production. On a eu de la chance, on avait ensilé le maïs la veille, donc notre maïs était couvert ».