Lundi 19 mars 2018
Les 5 défis économiques qui attendent Vladimir Poutine
Démographie en berne, productivité faible, dépendance aux prix du pétrole… Tour d’horizon des problèmes structurels qui minent la croissance russe.
Il a été réélu dans un fauteuil, avec plus de 75 % des suffrages et une participation importante, mais pour son quatrième mandat, Vladimir Poutine est attendu au tournant en matière d’économie. En effet, si la situation du pays s’est stabilisée après la récession de 2015-2016, les prévisions de croissance plafonnent à 1 %, voire 2, en dessous des objectifs fixés par le Kremlin. Tour d’horizon des 5 chantiers cruciaux qui attendent le président au pouvoir depuis plus de 18 ans.
Une crise démographique
Si Vladimir Poutine a plusieurs fois évoqué la politique familiale pendant sa campagne, c’est que la question est fondamentale. La Russie, qui compte actuellement 146,9 millions d’habitants, en a perdu plus de cinq millions depuis 1991, conséquence de la grave crise démographique qui a suivi la chute de l’URSS. La génération née dans les premières années post-soviétiques, marquées par une baisse de la natalité, arrive actuellement sur le marché du travail, des classes creuses qui pourraient occasionner des pénuries de main-d’œuvre qualifiée, ce qui pourrait freiner la croissance.
Cette génération moins nombreuse arrive aussi en âge d’avoir des enfants, d’où, par ricochet, une nouvelle chute de natalité en 2017. « Nous aurons moins de jeunes au cours des 10 à 15 prochaines années. Par conséquent, un jeune spécialiste avec de nouvelles compétences – relationnelles et techniques, notamment la programmation informatique – vaudra de l’or », a mis en garde récemment l’ex-ministre des Finances libéral Alexeï Koudrine.
Un système de retraite à bout de souffle
L’âge de la retraite en Russie, hérité de l’ère soviétique, est de 55 ans pour les femmes et 60 pour les hommes : il figure parmi les plus bas du monde. Vu le déclin démographique, les pensions, pourtant très faibles, pèsent de manière croissante sur le budget fédéral. Vladimir Poutine a reconnu plusieurs fois qu’une réforme serait nécessaire, mais a pour l’instant toujours jugé que le moment n’était pas venu. Si les libéraux comme Alexeï Koudrine prônent une augmentation graduelle de l’âge de départ à 63 ans, toucher à cet acquis social pourrait s’avérer impopulaire dans un pays où les nombreux retraités ont souvent du mal à subvenir à leurs besoins avec leurs maigres revenus.
Dans un geste pour une classe de la population qui a particulièrement souffert de l’envolée des prix de ces dernières années, le Kremlin a annoncé, vendredi, qu’il préparait des mesures pour permettre aux retraites d’augmenter plus vite que l’inflation.
Des investissements étrangers en berne
Pour surmonter les freins internes, Vladimir Poutine fait régulièrement les yeux doux aux investisseurs étrangers lors de conférences économiques, leur promettant d’améliorer un climat des affaires miné par la bureaucratie, mais aussi, selon son propre constat, par des poursuites judiciaires parfois injustifiées. Selon Chris Weafer, fondateur de la société de conseil Macro Advisory, « la Russie doit attirer davantage d’investissements étrangers. Elle doit créer un environnement concurrentiel favorable (rouble faible, baisse des taxes pour l’industrie et incitations à l’investissement) et réduire la bureaucratie ». Selon l’analyste, « le besoin d’investissements étrangers est également la raison pour laquelle le Kremlin n’a pas riposté aux récentes sanctions américaines, il ne veut pas rendre plus difficile pour les investisseurs étrangers de venir en Russie ».
Vendredi, le Kremlin a également indiqué avoir chargé le Premier ministre Dmitri Medvedev et la présidente de la banque centrale Elvira Nabioullina d’élaborer d’ici au 15 juillet un « plan d’action » pour renforcer nettement la part des investissements dans une économie encore dépendante aux hydrocarbures. Si en 2017, les investissements ont augmenté de 4,4 % selon l’agence de statistiques Rosstat, cette hausse a été notamment portée par de grands projets temporaires comme le pont en construction vers la Crimée ou la Coupe du monde de football.
Une économie dépendante des hydrocarbures
Malgré les promesses récurrentes du pouvoir, rien n’y fait. La Russie, riche de réserves gigantesques d’hydrocarbures, reste soumise aux fluctuations de leurs prix, comme l’a montré la crise de 2015-2016. « C’est clairement négatif pour les perspectives de croissance », selon la banque Alfa. Pour se défaire de cette dépendance, Chris Weafer suggère de miser sur l’entrepreneuriat et les petites entreprises en rendant les crédits « plus abordables et facilement accessibles ». Il incite également à investir dans la robotique, les technologies « intelligentes » et l’intelligence artificielle. Lev Jakobson, professeur à la Haute École d’économie de Moscou, cite de son côté comme piste à suivre l’exemple de « la croissance impressionnante de la productivité du secteur agricole », qui bat des records de récoltes et d’exportations ces dernières années.
Une productivité faible
« L’économie est très inefficace. C’est dû à l’héritage du système soviétique et à la croissance facile provenant de la richesse pétrolière dans les années 2000-2013 », estime Chris Weafer. « Il y a beaucoup d’inefficacités dans le système qui, si elles sont corrigées, pourraient conduire à une forte croissance ». Il cite l’exemple du secteur pétrolier qui, contraint par la crise, a augmenté sa production quotidienne d’en moyenne 740 000 barils par jour entre août 2014 et novembre 2016 : « L’industrie a été obligée de devenir plus efficace et innovante ». Pour moderniser les grandes entreprises, le gouvernement a lancé plusieurs plans de privatisation, mais la part de l’État dans l’économie a encore été renforcée ces dernières années par un capitalisme d’État triomphant qui a vu notamment le pétrolier Rosneft grossir considérablement.