Éric Zemmour, le «juif berbère» ou la stratégie de la confusion

Pour réfuter d’une manière, il faut bien le dire, particulièrement grotesque, les accusations de racisme qui lui sont faites et défier ainsi la justice française et les multiples condamnations qu’elle a prononcées à son encontre pour incitation à la haine raciale, l’ex-candidat à l’élection présidentielle française Éric Zemmour n’a pas hésité à se présenter comme un « juif berbère », « assimilé » à la France.

Selon lui donc, ces origines revendiquées tardivement suffisent à rendre les accusations dont il fait l’objet absurdes. Comment pourrait-il donc être raciste s’il fait partie lui-même de ceux qui sont potentiellement les cibles du racisme et des discriminations ?  Il s’agissait évidemment là d’une stratégie purement électoraliste qui crée de surcroit de la confusion autour de ses vraies intentions, notamment au regard d’un électorat qui pourrait être encore dupe.

Mais il faut bien noter que pendant qu’Éric Zemmour arborait comme un bouclier ses origines « berbères et juives » lors d’un meeting, en face de lui dans la salle, des individus isolés ou des membres des groupuscules d’ultradroite, radicalisés, qui haïssent la République et la démocratie, s’agitent.

Ils soutiennent l’ex-candidat car ils sont galvanisés par la banalisation de la parole raciste, antimusulmane notamment, et xénophobe qu’il a permise, à travers, entre autres, les tribunes que des médias français lui ont offertes pendant de longues années. Ces groupuscules réputés dangereux sont capables d’une violence inouïe comme à Villepinte le 5 décembre 2021. Certains individus peuvent également aller jusqu’à faire le salut Nazi devant les caméras, comme lors du meeting de Toulon le 6 mars 2022.

Eux ne se sont pas trompés visiblement sur la vraie nature du discours d’Éric Zemmour, sur ses propos racistes, haineux et xénophobes.

Nous pouvons faire le même constat pour ce qui concerne les femmes. L’auteur du « premier sexe » (2006 , éditions DENOËL), en antiféministe assumé pourtant,  n’ayant pas cessé d’écrire des textes et de tenir des propos qui vont clairement à l’encontre de l’égalité femmes/hommes, colonne vertébrale de l’égalité républicaine, se cache désormais, pour réfuter les accusations qui lui sont faites sur cette question, derrière son rapport…à sa propre mère qu’il dit être une personne centrale dans sa vie.  Il suffirait donc d’avoir une mère qu’on aime pour être un chantre de l’égalité femmes-hommes, même si tout par ailleurs dans ses actes et dans son discours, depuis plusieurs années, indique le contraire.

Cette « confusion des repères » dont a parlé l’historien Laurent Joly dans le quotidien « Libération » du 5 janvier 2022, est en réalité au cœur du discours même d’Éric Zemmour, discours par ailleurs structurellement violent et haineux comme le démontre la sémiologue Cécile Aduly dans son essai « La langue de Zemmour » paru aux éditions du seuil toujours en 2022.

Le rapport de Zemmour à « l’Etranger » et au « Musulman » en particulier

Éric Zemmour considère les étrangers en France, en particulier les musulmans, pour lesquels il nourrit une haine qui vient certainement de loin, doivent s’assimiler à la France pour devenir des supposés « vrais français », par opposition à des français qui seraient « de papier », principal danger pour le pays selon lui. Etre français, c’est d’abord selon cet étrange raisonnement, oublier de qu’on a éventuellement été, voire ce qu’ont été ses parents et ses grands-parents, pour se vêtir en quelque sorte, d’une nouvelle peau.

Etrange et dangereux raisonnement au moment même du tournant de la société inclusive.

Le mot « assimilation » est, au passage, un élément de langage intimement lié à la période coloniale.

L’assimilation a en effet été théorisée par Arthur Girault, professeur de droit public, il est doyen de la Faculté de droit de Poitiers de 1923 à 1931, dans son ouvrage classique « Principes de colonisation et de législation coloniale (1894) » selon lequel l’assimilation « est l’union plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain ». Son but « est la création progressive de véritables départements français ».

La colonisation devient assimilation avec l’idée que les peuples colonisés doivent progressivement adopter la culture et les valeurs du colonisateur afin de devenir à terme des citoyens à part entière. Le concept français d’assimilation, a priori généreux pour le XIXème siècle, est fondé sur le principe d’extension de la culture française dans les colonies, durant le XIXe et le XXe siècle. Le principe de cette extension se fait en réalité avec l’effacement des spécificités et des cultures propres aux colonies car on jugeait ouvertement les colonisés comme des « races inférieures », comme l’a affirmé à titre d’exemple, sans équivoque et devant les députés, Jules-Ferry,  le 28 juillet 1885.

Ces propos sur les « races supérieures » et « inférieures » sont la définition même du racisme. Ils ouvrent la voie à toute forme de crime.

Ce terme d’assimilation est désormais repris, et c’est un évènement suffisamment grave pour le souligner, par l’ex-candidate de la droite républicaine aux élections présidentielles françaises.  Le terme « français de papier » a été également repris par la même candidate, soucieuse de faire le grand écart dans son propre parti où les idées extrêmes font florès depuis plusieurs années.

Cette expression est pourtant employée dès l’entre-deux-guerres, par les courants nationalistes et d’extrême droite, notamment l’Action française, pour désigner les nouveaux naturalisés, cette catégorisation entraînant les politiques de dénaturalisation du régime de Vichy et les propositions du Front national de supprimer toute notion de droit du sol au droit français^.

Gardons-nous d’oublier par ailleurs, que le seul moment où la droite s’est retrouvée avec l’extrême droite pour gouverner la France, fut justement le régime de Vichy, véritable plaie dans l’histoire française. Le régime de Vichy qu’Eric Zemmour lui-même cherche curieusement d’ailleurs et finalement logiquement à réhabiliter puisque son projet comme celui de Marion Maréchal-Le Pen qui le soutient, logiquement également, est de revenir à la situation qui a prévalu sous Vichy, c’est-à-dire ce qu’ils nomment tous les deux l’« union des droites », alors que la droite républicaine, depuis 1945, a tracé une ligne jaune entre elle et l’extrême droite, précisément en raison de ce traumatisme de Vichy.

Les Kabyles et la colonisation

Revenons à l’assimilation. Sur ce sujet comme sur les autres, les déclarations d’Éric Zemmour sont un mélange de malhonnêteté intellectuelle et de références historiques tronquées, falsifiées ou détournées de leur sens premier pour coller à l’idéologie qu’il défend, et notamment ce qu’il faut bien qualifier chez lui d’obsession raciste.

Ces déclarations sont autant d’insultes à la discipline « histoire » dont il se prévaut et qui est une science dotée de méthodes rigoureuses connues de tous les historiens, censées leur permettre de s’affranchir de leurs propres convictions et opinions. Car il faut bien prendre soin de différencier le savoir de l’opinion ou de la croyance. C’est même la base du principe de la laïcité, adopté en France de longue lutte.

Le « berbère juif » Eric Zemmour va donc jusqu’à l’idée de réhabilitation du Maréchal Pétain en se basant notamment sur des écrits qu’il a intentionnellement détournés à son profit, comme il le fait toujours (écrits de l’historien Léon Poliakov sur les juifs de France). Personne, à l’extrême droite, n’a osé cette tentative de réhabilitation, pas même Jean-Marie Le Pen dont il est objectivement un des dignes héritiers.

Il faut rappeler que le Maréchal Pétain est responsable directement de la déportation et de la mort dans les camps de concentration de centaines de milliers de juifs français.

Eric Zemmour est un « berbère juif » qui justifie pourtant la violence de la colonisation, en particulier en Algérie, et en particulier sur les berbères eux-mêmes et les kabyles bien sûr, qu’il tente de différencier des « arabes », comme a tenté de le faire le système colonial pour ses intérêts propres. Zemmour va jusqu’à affirmer que les Kabyles seraient plus « assimilés » ou « assimilables » que les « arabes », ce qui a valeur d’insulte pour puisque cela sous-entendrait qu’ils ont accepté le joug colonial et qu’ils se sont donc « effacés » pour devenir français, ce qui ne correspond absolument pas à la réalité historique.

Il explique également sans sourciller, au mépris d’une connaissance historique de base, que la colonisation française aurait, d’une certaine manière, quasiment « sauvé » les kabyles du joug arabo-musulman. Quant à la guerre d’Algérie, il renvoie presque dos à dos, dans des insinuations à la fois dénudées de vérité et insupportables aux yeux de celles et ceux qui portent le poids de cette histoire, les Kabyles qui se seraient battus pour l’indépendance et ceux qui auraient « choisi la France », niant la nature même du fait colonial, qui est l’aliénation de tous les « indigènes » quels qu’ils soient, et  la légitimité donc de la lutte  anticoloniale, notamment en Algérie.

Le plus inquiétant, c’est que ces affirmations incroyables en même temps que scandaleuses et bien sûr infondées historiquement, semblaient trouver un écho, notamment sur les réseaux sociaux, auprès d’individus qui se disent parfois Kabyles, même si c’est loin d’être un nombre significatif. Des personnes qui seraient sensibles à cette « flatterie » nauséabonde et artificielle qui s’inscrivait de toute évidence dans le cadre de la chasse aux voix d’un candidat à l’élection présidentielle.

Il faut rappeler par exemple qu’Éric Zemmour croit, et l’exprime ouvertement, en la « théorie » du « grand remplacement » de l’écrivain antisémite et déjà condamné pour provocation à la haine René Camus.

Cette vision dangereuse en même temps qu’haineuse, d’une France figée dans un passé mythifié qui n’a jamais réellement existé vaut-elle une telle (soit-disons) « flatterie » de toute évidence dénuée de toute sincérité ?

Eric Zemmour a une vision de l’identité française qui lui est propre. Elle serait, de plus, pour lui, en danger en raison de la présence notamment de musulmans (les kabyles sont musulmans dans leur écrasante majorité !) sur le territoire français, oubliant que l’identité est par essence dans un mouvement permanent depuis la naissance de l’Humanité, qu’elle s’enrichit de tous les apports et que la France, comme tous les pays d’immigration, est de toute évidence riche aussi des apports des français venus d’ailleurs.

Il est important pour tous de retourner à l’Histoire avec un grand « H », de respecter le travail des historiens, de ne pas sombrer dans les croyances et dans les manipulations de la vérité pratiquées par Éric Zemmour qu’ont dénoncées sans équivoque tous les historiens dignes de ce nom.

Il faut se rappeler à ce sujet que les Berbères, les Kabyles en particulier, ont souffert depuis si longtemps, de l’aliénation, de la domination et des tentatives de réduction à néant de leur langue et de leur culture ancestrale et que la colonisation française n’a pas été en reste dans cette entreprise.

La première « guerre d’Algérie » réduite à une « insurrection »

L’un des évènements les plus importants de l’histoire de la colonisation française en Algérie est la guerre de 1871 contre le système colonial qui considérait alors qu’il avait « soumis » (un terme largement utilisé notamment pendant la conquête coloniale de l’Algérie, et qui en dit long sur la vraie nature de la colonisation) l’ensemble du territoire algérien.  Cette première guerre d’Algérie, celle de Mokrani et Cheikh Aheddadh  a vu 250 tribus, et pas moins, hommes et femmes, se soulever contre la colonisation. C’est énorme.

Tout un peuple qui se lève d’un seul mouvement contre son aliénation.

Il faut rappeler aussi que la France coloniale n’a jamais été « tranquille » en Algérie car c’est encore un mythe à déconstruire, et que des insurrections, très nombreuses et régulières ont eu lieu tout le long des 132 ans de règne colonial, notamment en Kabylie

Voilà pour le bienfait supposé de la colonisation pour les Kabyles qui a été insinué par Éric Zemmour il y a peu.

Les conséquences de la terrible répression qui succéda à la guerre de 1871 se ressentent encore à ce jour, car cette mémoire se transmet en Algérie et en particulier en Kabylie, encore et encore ;  et ce qui va devenir à partir de ce moment de l’Histoire « le système colonial », va détruire les bases de la société kabyle traditionnelle avec une violence physique et psychologique. Le système colonial sera règne de l’ injustice et de l’arbitraire.

Il faut rappeler aussi, si besoin était, qu’avant la « soumission » entière du territoire de l’Algérie, comme on l’écrivaient alors, il y eut  en 1857 la bataille d’Icheriden en Kabylie qui fut à la fois une date importante parmi celles qui ont jalonné le combat anticolonial et la preuve de la sauvagerie dont été notamment victimes les 5 000 guerriers kabyles qui se sont retranchés dans le village et l’ont fortifié.

La colonisation française a frappé donc très durement. Elle a frappé très durement tous les « indigènes », Kabyles ou non, qui l’ont combattue à plusieurs reprises jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, notamment pendant la guerre de 1954- 1962, qui fut une conséquence du mouvement national algérien qui s’organisa en France sur le plan politique, avec, là-encore, de nombreux  travailleurs immigrés kabyles qui se sont rassemblés autour de Messali-El Hadj pour créer « l’étoile nord-africaine » à Nanterre en région parisienne.

C’était en 1926. L’ENA, deviendra le PPA en 1937 puis le MTLD dont émanera le FLN (et aussi le MNA) qui a choisi la lutte armée in fine pour arracher, par la force, l’indépendance de l’Algérie.

L’« assimilation »

Eric Zemmour est dans un discours de division, dont le moteur essentiel est la haine, en affirmant que les étrangers doivent s’« assimiler » à la France. Il nie l’apport de l’immigration à la France, les enrichissements économiques et culturels qu’elle a permis, au point où le couscous, pour donner cet exemple connu de tous, est aujourd’hui, par exemple, un des plats sinon le plat préféré des français.

Zemmour utilise le mot « assimilation » qui est pourtant le leitmotiv de l’entreprise coloniale du XIXème siècle, dans un monde où l’on parle d’inclusion et où même le concept d’intégration, qui a été une évolution incontestable par rapport à celui d’assimilation, est en passe être définitivement banni.

Etre assimilé, c’est accepter de disparaître. Etre intégré relève de la tolérance du groupe dominant auquel doit d’adapter totalement celui ou celle qui le rejoint.

L’inclusion signifie que le groupe dominant reçoit un individu qui vient avec une richesse propre dont le groupe profite également. Tout cela dans une gestation qui fait que chacun se transforme quelque peu pour devenir plus riche, sans que personne ne renie ce qu’a été son cheminement propre. L’identité française, qui a évolué à travers l’Histoire, est liée intrinsèquement toutefois aux valeurs et  principes partagés par tous : les valeurs de la République française, qui sont au cœur du bloc de constitutionnalité et bien sûr le principe de laïcité.

Zemmour glorifie le système colonial. Il parle de « civilisation incompatible » avec notre civilisation s’agissant des musulmans, qu’il essentialise au mépris de la constitution. Cela n’est pas autorisé en République. Cela est anticonstitutionnel et antirépublicain. Cela est une confusion délibérée entre l’islamisme radical qui est une idéologie et l’Islam qui est une religion.

Zemmour cite, à titre d’exemple, sur ce sujet, le supposé « poète kabyle » Ferhat Mehenni (en réalité un chanteur kabyle),  lequel, à ce que je sache, n’a jamais pris ses distances avec ces déclarations ; comme si la France était condamnée à faire la guerre aux musulmans pour incompatibilité de « civilisations », alors que des millions de musulmans sont français et vivent en France depuis des générations.

Un discours violent d’un homme qui ose affirmer que les prisons sont remplies d’étrangers ou de français d’origine étrangère, et que la délinquance aujourd’hui, loin d’être liée à la souffrance et aux difficultés économiques et sociales, est en fait du « jihad », au mépris du travail reconnu des sociologues et dans un discours digne du « café du commerce », la dangerosité en plus.

Un discours de guerre civile qui doit évidemment être mis en relation avec le phénomène de recrudescence récentes de projets de passage à l’acte dans des entreprises terroristes de l’ultradroite en France.

Il est important de « décrypter pour mieux résister » et se prémunir de la confusion d’une extrême droite qui avance masquée, comme le dit Raphaël Lorca dans « le 1 Hebdo » du 6 avril 2022.

La Zemmourisation des esprits va donc si loin que cela en devient à la fois choquant et absurde, jusqu’à rendre Marine Le Pen, qui porte l’héritage de son père, plus « fréquentable », ce qui est une autre perversion du phénomène Zemmour.

Une absence de transmission de l’Histoire aux jeunes générations

Nous constatons la prolifération de la parole raciste dans un certain nombre de médias d’extrême droite notamment qui reviennent à une époque révolue, car nous n’avons pas pu transmettre à des générations de jeunes, les principes fondamentaux et les valeurs qui font une République. Si bien que la banalisation de la haine et la prolifération des discours violents et des théories du complot sur les réseaux sociaux, avec l’extension du dicible à travers l’élargissement de la « fenêtre d’overton »  (allégorie qui situe l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme plus ou moins acceptables dans l’opinion publique d’une société) …Si bien que, si en 2015, une enquête de D. Albertini David Doucet avait révélé 200 groupes actifs dans la fachosphère., aujourd’hui le sociologue Erwan Lecoeur estime qu’on en compte plus de 3000 !

La clé de l’univers mortifère d’Eric Zemmour est sa présence, avec une complaisance à peine croyable, dans certains médias depuis de très longues années, portant ouvertement un discours de plus en plus haineux, de plus en plus réactionnaire, de plus en plus raciste, en fait de plus en plus anti-républicain et antidémocratique comme l’est toujours en son fond le discours d’extrême droite en France et à travers le monde.

Zemmour, le « berbère juif » autoproclamé est un usurpateur doublé d’un falsificateur de l’histoire et d’un semeur de confusion. Il est le symptôme inquiétant toutefois d’une société malade qui semble à nouveau céder à un courant de pensée qui l’a pourtant systématiquement déshonorée à travers son histoire.

Rachid Zakaria

Né en Algérie, Rachid Zakaria vit à Paris. Il est journaliste et chercheur en sociologie.