22 novembre 2024
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Liberté pour l’histoire de l’Algérie

 

Tortures en Algérie
La torture était systématique pendant la colonisation

Il y a quelques semaines, le gouvernement français a rendu publique la liste des cinq personnes qui feront partie de la commission mixte algéro-française chargée de travailler sur les « questions mémorielles » entre l’Algérie et la France.

La partie française comprend le conseiller du président Macron dans ce domaine, Benjamin Stora, son élève Tramor Quemeneur, Jacques Frémeaux, spécialiste de la conquête française de l’Algérie, Jean-Jacques Jordi, auteur d’ouvrages sur les Européens d’Algérie et  Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine. De son côté, le président Tebboune avait désigné les historiens algériens Mohamed Ould Si Kaddour el-Korso, Idir Hachi, Abdelaziz Fillali, Mohamed Lahcen Zeghidi et Djamel Yahiaoui.

La naissance de cette commission est l’aboutisssement d’une longue marche dans ce sens entamée par le président français. En 2017, alors qu’il était candidat à la présidence de la république, Emmanuel Macron avait déclaré que la colonisation avait commis des crimes contre l’humanité ce dont s’était réjoui le gouvernement algérien. En janvier 2021, Benjamin Stora avait  officiellement remis  le rapport qui lui avait été commandé par la présidence française sur « une réconciliation mémorielle » entre l’Algérie et la France. Les autorités algériennes avaient immédiatement rejeté le contenu de ce rapport et refusé d’en discuter.

Le président Tebboune reprit à son compte,  le 22 mars 2021, l’appréciation d’Abdelmadjid Chikhi, son « conseiller pour la mémoire nationale », directeur des archives pour l’Algérie pour qui le rapport Stora ne serait qu’un « rapport franco-français” et n’existait pas. Plus encore, en mai 2021, le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer réclamait « la reconnaissance officielle, définitive et globale, par la France, de ses crimes, qualifiés par Macron lui-même de crimes contre l’humanité, la repentance et des indemnisations équitables ».

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Le président Macron s’était alors tourné vers une réconciliation mémorielle non plus avec l’Algérie mais entre différents groupes français impliqués dans la guerre d’Algérie : harkis, Pieds-Noirs, soldats du contingent… Il demanda à nouveau pardon aux harkis, qualifia de massacre impardonnable la fusillade du 26 mars 1962 rue d’Isly à Alger. Il y ajouta, toujours pour les Pieds-Noirs, le 5 juillet 1962 à Oran, au cours duquel, dit-il, “des centaines d’Européens d’Algérie ont été tués, dans l’indifférence de l’armée française”. Enfin, Emmanuel Macron avait également rendu hommage à ces 800.000 Français d’Algérie, « déracinés au sein de leur propre patrie ». Il devait également « donner quelque chose » aux Algériens, aux Franco-Algériens.

Il mit dans leur corbeille les Algériens tués à Paris le 17 octobre 1961, l’inauguration d’une stèle à Amboise en hommage à l’émir Abdelkader, la pose d’une plaque devant le camp de Thol dans l’Ain ainsi que la reconnaissance de la défénestration de l’avocat Boumendjel par les soldats français en 1957.  Il ne fallait surtout pas oublier les communistes. Alors on reconnut la mort sous la torture de Maurice Audin en 1957 ainsi que “l’assassinat des neuf militants français tués au métro Charonne dans une manifestation anti-OAS”. Cette frénésie dans l’action « mémorielle » du président Macron avait pour objectif premier l’obtention des voix de tous ce groupes à l’occasion de l’élection présidentielle de mai 2022.

Dans le même temps, il avait prononcé des phrases d’une extrême violenceà l’égard des dirigeants algériens déclenchant ainsi une très grave crise diplomatique entre la France et l’Algérie. Au printemps 2022, lors d’un échange avec des jeunes sur la guerre d’Algérie, relaté par le quotidien Le Monde, le chef de l’Etat français avait estimé que le pays s’était construit, depuis son indépendance, sur « une rente  mémorielle , entretenue par le système politico-militaire”.

Il avait également évoqué « une histoire officielle totalement réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ». Un autre passage des déclarations d’Emmanuel Macron avait  provoqué l’ire des autorités algériennes. « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question », s’était interrogé le président français, en rappelant qu’il y a eu « de précédentes colonisations », en faisant allusion à l’empire ottoman. Le gouvernement algérien avait alors, début octobre 2021,  rappelé son ambassadeur  et interdit son espace aérien aux avions militaires français.

La brouille s’apaisa après le début de la guerre en Ukraine. Les intérêts économiques, surtout énergétiques, reprirent le dessus. Le président français fut invité,  en août 2022, à Alger où on lui réserva un accueil très chaleureux. C’est à cette occasion qu’il avait annoncé « la création d’une commission mixte d’historiens, ouvrant nos archives et permettant de regarder l’ensemble de cette période historique, qui est déterminante pour nous, du début de la colonisation à la guerre de libération… Ceci doit être fait sans tabous, avec une volonté de travail libre, historique, d’accès complet à nos archives », avait-t-il souligné.

Aujourd’hui que tous ses membres ont été nommés, la commisssion devrait pouvoir se mettre au travail. Mais pour faire quoi ? Jeune Afrique du 30 janvier 2023 rapporte que « Des rencontres devraient avoir lieu à Paris et à Alger afin de tracer une feuille de route”,   ajoutant que, selon un membre de la commission, « Pour le moment, c’est le flou total ».

Le quotidien français Le Monde du 26 janvier 2023 fixait comme mission aux historiens de « tenter d’apporter leur pierre à l’entreprise de réconciliation mémorielle avec Alger autour de la colonisation et de la guerre d’indépendance ».  De son côté,  le président Tebboune déclarait en août 2022 : « Nous nous sommes mis d’accord pour la mise en place d’une commission d’historiens dépolitisée… Elle aura à traiter la question de la mémoire sous l’angle de l’histoire et non de la politique ». Tramor Quemeneur, le seul membre de la commission à s’être exprimé publiquement à ce sujet, en septembre 2022, n’a pas éclairci la question loin de là. Il annonce que « La commission mixte algéro-française posera le cadre qui permettra d’embrasser les sujets historiques les plus vastes et les plus problématiques, sur toute l’histoire coloniale, pour une meilleure connaissance et une meilleure prise en compte sociale de cette tragique histoire ».

Cela ressemble furieusement plus à un discours de diplomate qu’à celui d’un historien. Concernant les délais pour aboutir à des résultats, le chef de l’Etat algérien avait  indiqué avoir évoqué avec son homologue français « un délai d’une année ou moins, si le travail est finalisé avant ». « Mais s’ils (les spécialistes) prennent encore plus de temps, tant mieux, car les bonnes choses prennent du temps », avait-il ajouté.

Certains historiens, français comme algériens, ont donné leur avis au sujet de cette commission. Dans une tribune publié par Mediapart en août 2022, l’historien Fabice Ricepuri se demandait : « Créer une commission mixte franco-algérienne d’historiens sur le passé colonial, pour quoi faire ? La ‘‘lumière’’ sur quoi ? Pour avancer dans la connaissance d’un siècle et demi d’histoire, en commission et en un an ? ». Halima Moulaï, chercheure au centre de recherche en anthropologie sociale (Crasc) d’Oran mettait en garde, en septembre 2022, sur la question de l’accès aux archives : « Nous devons admettre que l’accès aux archives n’appartient pas exclusivement aux historiens affiliés au comité mixte éventuellement désignés par les décideurs des deux rives. … La consultation des archives est le droit de tous. S’il y a une exclusion des non-historiens pour une raison quelconque, il y aura une crise éthique qui compromettra l’avenir de ce dossier sensible ».

Amar Mohand-Amer, chercheur dans le même institut, martelait, au même moment,  que « L’histoire doit être faite par les historiens et non pas par les hommes politiques ». Il mettait en garde contre l’instrumentalisation idéologique de l’histoire et plaidait pour l’autonomie de l’historien : « S’il n’y a que des historiens organiques et consensuels, on n’ira pas bien loin… Pour un historien, contrairement aux hommes politiques, il ne doit pas y avoir de sujets qui fâchent ».

Cette crainte était partagée par l’historien français Gilles Manceron qui écrivait en septembre 2022 que : « Il est sûr qu’il ne faudrait pas qu’un petit nombre d’experts désignés par les responsables politiques aient le monopole de l’accès aux archives. S’il y a une ouverture des archives dans les deux pays, il faut qu’elle ne soit pas réservée à quelques-uns ».

Ces chercheurs ont mis le doigt sur le point de blocage central. Les archives algériennes sont et demeureront inaccessibles. En avril 2021, Abdelmadjid Chikhi,  directeur des archives nationales avait déclaré : « nos archives nationales sont très sensibles et ne sont pas communicables au risque de provoquer le chaos dans le pays ». En septembre 2022, Tramor Quemeneur, promu depuis au poste de secrétaire général de la commission côté français,  traçait les limites quant à l’accès aux archives en estimant qu’il « reste toutefois des sujets sensibles, comme la question nucléaire…  qui ne peuvent être mis entre toutes les mains ».  Les chercheurs comprendront que certaines archives ne pourront être consultées que par des historiens  désignés par les gouvernements. Les gouvernements français et algérien sont sur la même longueur d’onde.

Cette démarche va à l’encontre de tout le passé et de la tradition de la recherche en histoire  qui ne peut être écrite que par des chercheurs libres sans aucune intervention des autorités politiques ou administratives. En décembre 2005, face à la dérive consistant à légiférer et même criminaliser les questions d’histoire, 19 historiens de renom avaient lancé un appel : “Liberté pour l’histoire”. Parmi les signataires, se trouvaient Jean-Pierre Azéma, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Pierre Nora, René Rémond, Pierre Vidal-Naquet. Plusieurs centaines d’universitaires avaient contresigné cet appel.

Les historiens affimaient que  « L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique… La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire. Ce qui était vrai en 2005 l’est encore aujourd’hui. L’histoire ne peut être écrite par une commission formée d’historiens choisis par les présidents de la république.

Les historiens, les universitaires attachés à l’éthique et à la déontologie de leur profession devraient exprimer publiquement leur rejet de l’initiative des présidents Tebboune et Macron et dénier toute légitimité à la commission que les présidents ont désignée. Il faut réaffirmer que l’écriture de l’histoire ne peut être que le fruit du travail de personnes libres dans leurs recherches.

Hocine Kémal Souidi,

Docteur en sciences politiques, auteur de Messali Hadj : libérateur ou traître ? et de Les communistes fondateurs du nationalisme algérien, à paraître en févrie 2023.

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