4e partie : les chiens ne font pas des chats !
Pour leur part, les enfants, encadrés par leurs pédagogues de parents, avançaient tranquillement dans leurs études. Horia, l’ainée, bonne élève à l’école, s’impliquait parallèlement dans toutes les activités culturelles qui pouvaient se présenter.
Très vite, il était apparu qu’elle avait un don certain pour cela. Tout ce qu’elle touchait devenait œuvre d’art. La danse n’était pas en reste. Plus encore, elle aimait ça par-dessus tout. C’était son domaine de prédilection. Gracieuse et travailleuse, elle ne comptait plus ses heures d’entraînement. Sa voie était toute tracée : le moment venu, elle descendra à Paris pour se faire un nom.
Paris… c’est là qu’il fallait être pour percer dans ce domaine. Les parents respectèrent son choix et l’encouragèrent. Son père, parlant de la capitale, lui répétait souvent : « the place to be ! » (la place où il faut être !). De son côté, elle ne manquait pas de lui rappeler que son penchant pour l’art était né du projet « Faust » que lui-même avait porté alors qu’elle était enfant. Rappelez-vous, ce fameux « chantier éducatif » comme il disait.
Dès sa majorité, après un parcours remarquable au conservatoire, elle mit en œuvre son projet et rencontra rapidement le succès escompté. Elle obtint très vite des rôles de premier choix, dans maintes comédies musicales, sous la direction de metteurs en scène de renom. Elle croisa aussi le chemin d’artistes confirmés auprès desquels elle apprit le métier avidement. Thomas Dutronc, Kad Merad et Pascal Légitimus, pour ne citer que ces trois-là, l’avaient marquée par leur professionnalisme et leur bienveillance. Elle eut aussi quelques rôles majeurs au cinéma, dans des longs métrages à grand succès. Nous ne ferons pas ici la biographie de Horia tant ses faits d’armes furent nombreux, variés et de très haut niveau ; ça serait trop long. Mais, qui sait ? Nous y reviendrons peut-être un jour et dans le détail.
Néanmoins, les divers rôles obtenus, aussi flatteurs fussent-ils, ne lui suffisaient pas. Elle décida alors de se lancer dans la mise en scène et monta elle-même une comédie musicale autour de la vie de Joséphine Backer. Une vraie réussite. Elle enchaina les représentations à guichets fermés dans maintes salles de grandes villes de France. Les idées ne lui manquant pas, il y a fort à parier qu’elle fera encore parler d’elle dans le monde des métiers du spectacle (showbiz).
Le garçon quant à lui, après ses études, se lança dans l’import-export entre la France… et la Kabylie. La boucle était bouclée. Le créneau était tout trouvé : l’huile d’olive Bio (zith ouzemour). Ce n’est pas tant le secteur d’activité qui mérite l’attention mais bien le retour aux sources. Ceci explique à nouveau, s’il en était besoin, pourquoi le saumon s’échine à défier les reliefs pour remonter au sommet de la montagne, comme nous l’avons compris plus haut (le mythe du saumon). Et, les parents ne sont certainement pas étrangers à cela. Ils ont soigneusement cultivé la double appartenance Kabylie d’origine/France d’accueil.
A l’approche de la retraite notre prof de langues se lança un énième défi : s’essayer à l’écriture. Il faut dire qu’avec tout ce qu’il avait vu et vécu, en roulant sa bosse depuis les sommets de la Kabylie jusqu’aux confins de la France profonde, il avait de quoi faire. Bien entendu, ses écrits, qu’ils fussent puisés dans les diverses péripéties qu’il avait vécues durant son riche parcours professionnel ou bien tirés des méandres de sa double (triple avec l’anglais ?) appartenance culturelle, étaient toujours soigneusement romancés. Tout ceci fut écrit et mené à bien, d’une plume agile, avec amour, humour et patience.
Aux dernières nouvelles, retraité depuis peu, notre ami serait en train de restaurer une vieille bâtisse dans son village, sur les flancs du Djurdjura, dans le but d’en faire un lieu d’accueil pour les amis ou les randonneurs de passage. Pour la petite histoire, durant la guerre d’indépendance, cette maison en pierres, un peu excentrée, avait servi de refuge et de cache d’armes pour les maquisards, fort nombreux dans cette région. Cette réhabilitation « à l’ancienne » prendra certainement quelques années, notre ami étant perfectionniste à souhait et, de surcroît, n’aimant pas se soumettre au diktat de la pendule.
Aussi, si dans les années à venir, au hasard de vos promenades sur les chemins escarpés de cette somptueuse montagne, on vous indique qu’un modeste refuge, atypique, un genre « d’auberge espagnole » mêlant la « fortune du pot» aux traditions culinaires locales, n’hésitez pas. Allez-y en courant.
L’ambiance y sera sûrement féerique. Il y aura à coup sûr une ou deux guitares accrochées au mur, un harmonica, un bendir pas loin de la chaleur de la cheminée pour en retendre la peau et, bien sûr, un recueil des succès des Beatles, de Cat Stevens, de Bob Dylan, de Joan Baez, de Leonard Cohen, de Graeme Allwright,…
Un conseil cependant : replongez-vous dans votre anglais scolaire pour donner de la voix, autour du feu, le moment venu. Révisez aussi les textes des « protest songs » en moderne kabyle des années 70 et, surtout, ceux des « maquisards de la chanson »*. Vous en aurez besoin pour pousser la chansonnette, comme d’autres le firent avant vous dans la «Maison Bleue »**. Soyez assuré que vous serez bien accueilli même si vous n’avez plus les cheveux longs, ou même plus de cheveux du tout.
Si d’aventure vous arrivez à trouver ce refuge, prenez donc soin de vous rapprocher de votre hôte. Passez du temps avec lui. Posez-lui plein de questions et écoutez avec attention ses réponses. Surtout n’en perdez pas une miette. Au besoin, isolez-vous dans un coin et enregistrez ou notez ce que vous avez entendu, au fur et à mesure, de peur que votre mémoire ne vous fasse défaut.
Puis, à tête reposée, une fois rentré chez vous, réunissez toutes vos notes, tous vos enregistrements, et là, prenez votre plus belle plume et écrivez soigneusement, en pleins et déliés, les suites de ces histoires pour qu’elles soient lues, sues et partagées car elles sont poignantes (souvent), drôles (parfois) et surtout pas banales (toujours).
Bien sûr, au refuge, vous aurez sûrement entendu son prénom (Mohand) ou son surnom (Bouhou) mais,… chut ! Ne le criez pas trop fort car cela risquerait de rompre le charme de ce récit. Laissez donc cogiter ceux qui ne l’ont pas encore reconnu. Cela restera le secret de ceux qui l’auront démasqué…notre secret.
Épilogue :
Ce récit aurait dû commencer, comme dans les films de l’Oncle Sam, par le fameux : « Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence ». Mais, non! Cette histoire est vraie de vrai. Certains faits ont été un peu arrangés ou romancés pour brouiller les pistes et notre personnage a été concerté avant parution. Égal à lui-même et otage consentant de sa discrétion, il a trouvé que c’était trop d’honneurs pour un simple prof. Il n’en demeure pas moins qu’au regard de son itinéraire, cet hommage en quatre temps semble amplement mérité…Isn’t it ?
Et, pour clore ce conte en kabyle, comme le faisaient nos irremplaçables grand-mères, il faut bien sûr réciter la formule magique : « Tamcahuts iw lwad lwad, cnightsid i waraw ljouadh, ucanen at n yekhdaa rebbi ma d nekwni adagh yaafu rebbi ». (Traduction : « mon conte est un long fleuve tranquille ; je l’ai raconté pour des enfants de seigneurs. Que les chacals soient châtiés pendant que nous autres seront félicités »).
Mouloud Cherfi
(*) « Les maquisards de la chanson » : c’est ainsi que Kateb Yacine avait qualifié les chanteurs et groupes qui avaient réalisé, au milieu des années 70, le disque en moderne kabyle intitulé « Tachemlit » (Idir ; Imazighen Imoula ; Méziane Rachid ; Igoudar ; Issoulas ; Sid-Ali Naït-Kaci ; Medjahed Hamid ; Naït Issad).
(**) « C’est une maison bleue » : Chanson de Maxime le Forestier, dont le vrai titre est « San Francisco », adaptée en kabyle par Brahim Izri et intitulée « Tizi-Ouzou ». Un des enregistrements de cette version kabyle a été chanté par le trio: Brahim Izri, Idir et Maxime Le Forestier. Ce dernier y a interprété, en Kabyle bien sûr, le troisième couplet en hommage à Matoub Lounès.