18 mai 2024
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Une histoire vraie de vrai… mais romancée (II)

Djurdjura
Les émigrés kabyles cultivent une profonde nostalgie envers leur terre natale.

 Éducation Nouvelle et chanson engagée 

Bien entendu, nos deux enseignants, sérieux qu’ils étaient, n’eurent aucun mal à se trouver un emploi dans leur branche. Elle reprit son ancien poste quand lui fut quelque temps ballotté dans le département en tant que vacataire, sur divers établissements scolaires, pour assurer des remplacements.

Pour l’anecdote, lors d’une de ses  premières affectations dans un collège excentré de la banlieue, notre pédagogue se retrouva professeur principal d’une classe d’enfants soi-disant « difficiles ».  Ses collègues le mirent en garde arguant que ces derniers pouvaient être hargneux voire irrespectueux, parfois. Lui, ne l’appréhenda pas du tout ainsi et le temps lui donna raison. Les collègues prévenants n’en croyaient pas leurs yeux, ni même leurs oreilles, tant ces prétendus « sauvageons » étaient devenus doux et studieux : de vrais agneaux !

Le secret de la chose était que, après la classe, notre prof prenait  le temps de discuter avec leurs parents sur la place du village et, ironie de l’histoire, ils communiquaient entre eux… en kabyle. En fait, ils étaient  tous émigrés et en grande majorité originaires d’un même village de la Haute-Kabylie (At Ouacif). Inutile de vous dire que ces « anciens » avaient exigé de leurs rejetons le plus grand respect pour ce fils du pays venu dispenser le savoir dans le « Ch’nord », qui plus est, en langue anglaise.

Dans son projet professionnel, tout comme à ses débuts, toujours fidèle à sa guitare et à ses méthodes pédagogiques peu académiques, notre prof d’anglais fit murir un chantier artistique avec ses élèves sur un thème puisé dans la littérature allemande du XVIème siècle. Incroyable !!! S’extraire de son Djurdjura natal, où l’on voulut punir sa fille de six  ans d’âge, le jour de son entrée à l’école, parce qu’elle n’était pas initiée aux balbutiements du coran puis monter en projet pédagogique une comédie musicale, sur une œuvre littéraire germanique autour de la tragédie de Faust, avec des collégiens du fin fond de la France. Il fallait le faire ! Et quelle revanche !

Une histoire vraie de vrai… mais romancée (I)

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Bien sûr, cette expérience connut un énorme succès et la pièce fut jouée devant un public enthousiaste, dans une grande salle de spectacle de la capitale du département. Elle fut aussi filmée et distribuée en support vidéo aux élèves et à leurs parents comme preuve de leur réalisation. S’agissant d’une expérience pédagogique, ce qui doit être retenu n’est pas tant le succès rencontré mais l’impact de la méthode sur ces élèves en termes d’apprentissage d’une langue et d’une culture étrangères et, surtout, le capital confiance en soi définitivement engrangé par chacun des élèves.

N’est-ce pas là une approche parente des méthodes d’Éducation Nouvelle, chères à Élise et Célestin Freinet ou à Maria Montessori, mettant l’enfant au centre du projet ? Cette pédagogie, qui a bien sûr fait ses preuves par ailleurs de  longue date, même si des puristes du sujet pourront toujours débattre des différences d’approches entre Freinet et Montessori, fut bien celle utilisée par notre professeur en langues.

Le savait-il ? S’en était-il inspiré ? A-t-il lui-même innové sans savoir que d’autres l’avaient fait avant lui ? Toujours est-il que les élèves furent subjugués par la méthode et rentrèrent dans le jeu avec sérieux et abnégation. Il faut dire cependant que le livre de chevet de notre enseignant, à ses débuts, était « Libres enfants de Summerhill » d’Alexander Sutherland Neill. Ceci expliquant sans doute cela… ou au moins en partie.

Ce « chantier éducatif », comme il se plaisait à le nommer, car il s’agissait précisément de déconstruction/reconstruction et façonnage des « petites têtes » des enfants qui lui étaient confiés, a été vécu avec beaucoup d’attention par la petite Horia.

Discrètement elle écoutait, le soir, son père partager avec sa mère ses craintes de ne pas y arriver tant les élèves étaient éloignés de cette façon de faire ; tant ses collègues étaient sceptiques quant à ces approches sortant des sentiers battus ou tout simplement par ignorance ;  tant les attentes du groupe se faisaient grandissantes et qu’il ne fallait surtout pas les décevoir.

En même temps, il parlait aussi et surtout du « kiff » (plaisir), comme disaient ses élèves eux-mêmes, que c’était de se replonger tous les jours avec eux dans ce bain de jouvence. Horia buvait les paroles de son père, ses craintes et ses espoirs mais ne ratait pas une miette ni du projet dans son ensemble, ni du contenu artistique. Nous verrons plus loin que cette expérience allait la métamorphoser elle aussi au point d’épouser une carrière d’artiste, et de s’y révéler, une fois adulte.

Cette expérience réussie réveilla en lui, à nouveau, les démons de la « protest song »,  et ce, d’autant plus que parmi les adultes ayant accompagné le projet se trouvait un mordu de musique ; mordu au point de monter, chez lui, un studio d’enregistrement. Inévitablement, cette rencontre avec le dénommé Jacky devait se solder par une production artistique sous la forme d’un CD. Il faut dire que la conjoncture s’y prêtait au vu des événements douloureux qui se déroulaient alors en Kabylie (nous sommes au début des années 80).

Le titre principal de l’œuvre, décrivant cette période pénible pour les jeunes étudiants de Kabylie, était porté par un tempo endiablé sur des sonorités proches du hard rock et des textes engagés. Bien sûr, parmi les autres  chansons de l’œuvre, étaient aussi exprimés  la nostalgie, le spleen voire le « blues » du travailleur immigré rêvant de revoir sa Kabylie natale dans « Awiyi, awiyi sakham » (ramène-moi à la maison/ « take me back home » pour notre british de prof) ou cherchant à noyer dans l’alcool ses souvenirs et ses regrets dans « Tchin-Tchin » (à la tienne !).

D’aucuns traduiront cela par le « mythe du saumon » car celui-ci, à la fin de sa vie, se bat contre les reliefs et les éléments pour remonter jusqu’au sommet de la  montagne où il est né pour y frayer puis y finir ses jours, après avoir parcouru les mers et les océans toute sa vie durant. Le travailleur immigré kabyle, où qu’il s’établisse, passe sa vie avec ce mythe du retour chevillé au corps.

Mouloud Cherfi

(À suivre…)

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