24 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (29)

Il était ébaubi par tant de lucidité. N’ayant pu mener à terme ses études en philosophie, il fit un bref séjour dans un asile en Europe. Depuis, il vit de petits boulots pour être en conformité avec ses idées, répétait-il souvent. Derechef, il m’asséna :

« On nous traite de schizophrènes, alors qu’ils sont de véritables mégalomanes. Désormais, le désarroi, la crise de conscience et la révolte qui dormaient en nous doivent se réveiller. Les magouilles, les manœuvres, les intriques, les complots, les coups bas et autres recettes auxquelles ils se livrent à longueur d’année doivent être mis en lumière et dénoncés. En un mot, il faut conjurer le désespoir qu’ils cherchent à institutionnaliser.

« Observe un peu les services multiples qu’ils se rendent, les fraudes auxquelles ils se livrent et les cadeaux qu’ils se font. C’est de la comédie. Une hypocrisie entretenue par tout un chacun d’eux. Les uns espèrent sinon amadouer, du moins neutraliser les récalcitrants et les gagner à leur camp. Se frayer un chemin dans la jungle dont ils connaissent seuls les lianes inextricables ? Impossible pour le commun des mortels de les égaler ».

Récit-feuilleton. Exils (28)

Il se tut et mit ses mains jointes sous son menton. Comme à chaque fois qu’il voulait marquer une pause ou changer de sujet. Pour ne pas indisposer son interlocuteur. Il lui confia, avec un sourire narquois et amer :

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« Tu te rappelles quand nous étions jeunes ? Nous attendions, à midi tapant, les filles qui sortaient du lycée. Nous nous regardions comme des bêtes curieuses, désolés de ne pouvoir nous satisfaire. Les plus téméraires d’entre nous mesuraient leurs chances en accompagnant à distance leurs dulcinées. Houries inaccessibles. Je pense que cet état de choses n’a pas bougé d’un iota. Ces pratiques exécrables perdurent dans beaucoup de régions ».

Il parla d’un trait. Comme pour se décharger d’un fardeau. Dans la voix, il avait un ton qui camouflait mal une rage à peine contenue. Il avait presque les larmes aux yeux quand il évoquait ces souvenirs douloureux. Surtout lorsqu’il pensait que les médias ne manquaient pas une occasion pour nous rappeler que nous étions souverains, dans une patrie indépendante. Il poursuivit amèrement :

« Et ce gradé dont le fils a été jugé inapte à poursuivre ses études au lycée par le conseil de classes des professeurs. Tu sais ce qu’il dit, avec une virulence inouïe, au proviseur lorsque celui-ci, par  excès de zèle ou par dignité de nationalise attardé, lui rappelle que la loi est la même pour tous ? Je te le donne en plein : Tu laisses la loi de côté et tu réintègres l’enfant. Apprends pour ta gouverne que nous faisons la loi dans ce pays. Si tu tiens au pain de ta famille, tu appliques ce qu’on te dit et tu te tais ».

Heureusement que ces situations sont rares, s’était hasardé Omar. « Pauvre naïf, me dit-il, on dirait que tu ne vis pas dans ce pays ».

Croiser le verbe avec cet intellectuel qui ne se prend pas au sérieux était un exercice autant instructif que périlleux. Chatouilleux sur les questions concernant le pays, je le titillais avec mes interrogations ; invariablement, il lui disait, entre autres en guise de rappels :

L’Algérianité est plus qu’une filiation se rattachant à la nationalité ; il y a également l’appartenance à ce pays et à son histoire, une communauté de destin, un devenir voulu, un projet social, une pratique politique, un système institutionnel, la pratique quotidienne d’une langue ou des langues dont il appartient à chacun de nous, en fonction de sa situation de monolingue, de bilingue ou de polyglotte, de considérer le statut à accorder à celle qu’il utilise tant à l’écrit qu’à l’oral…

Voilà plus d’un demi-siècle que l’Europe met en place son édifice économique et juridique devant aboutir politiquement à un bloc soudé par une Constitution autour de quelque vingt six pays. Et s’il y a pratiquement autant de langues que de pays, ces pays admettent de recourir à l’anglais plus particulièrement pour communiquer entre eux…

Quant à nous, commençons d’abord par mettre hors d’état de nuire le « zaïmisme » qui nous a tant desservis et maintenus jusqu’à l’heure actuelle dans une situation de marasme culturel et de subordination vis-à-vis de nos dirigeants et de…l’Europe où les citoyens des pays industrialisés et modernes sont suffisamment alphabétisés et lettrés en grand nombre ; ils parlent, écrivent et produisent d’abord et essentiellement dans leurs langues maternelles, même quand ils ont deux ou plusieurs langues nationales…(Suisse et Belgique par exemple)…

Notre cinéma s’est contenté, dans beaucoup de cas, de produire des films d’autosatisfaction avec une approche narrative. Certains cinéastes algériens ont saisi l’importance de rompre avec une pareille approche; ainsi, Bouamari a pu déclarer qu’ «il faut dépasser le folklore guerrier, l’héroïsme, l’autosatisfaction». Et Mostafa Lacheraf a pu indiquer que «le nationalisme doit nécessairement disparaître après avoir accompli sa mission si l’on veut aboutir à une forme nouvelle de société…

Il faut dire que notre mental reste très obnubilé par le dogme. S’il est vrai qu’au contact d’autres civilisations, les Musulmans cherchèrent à éviter la promiscuité censée gêner les femmes considérées comme mères, épouses, soeurs et filles,  cette préoccupation était également l’apanage de ces mêmes civilisations, la crainte étant la perte de l’identité. Quoique, en réalité, cette attitude se retrouve, entre autres, en Europe où, en toute vraisemblance, la condition de l’Occidentale est restée pratiquement inchangée pendant des millénaires ; quelle différence en effet entre la condition de l’Athénienne du IVe siècle avant J.-C. et celle de la Française du XXe siècle ? Les théologiens du Moyen Age, réunis en concile, refusaient à la femme le droit au plaisir ! Elle était également chargée des travaux les plus asservissants pour un salaire dérisoire (inférieur de moitié à celui des hommes)… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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