25 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (35)

D’autres embûches allaient naître de cette situation. Il lui fallut d’abord, à l’aide de deux membres attitrés du comité, Moh et Ali, faire face à la prétention de Amer, un ambitieux à la grande gueule.

Il rivalisait d’ardeur au travail pour s’imposer comme le seul candidat sérieux au poste vacant. Moh et Ali le soutinrent dans ce labeur. Le prix à payer plus tard pour cette aide acheva de le dégoûter de la revue et de ses avatars. Machiavéliques, ils rangèrent leurs calculs sous des sourires aimables. Médiocres à souhait, ils ne purent gérer la machine que grâce à du personnel recruté à leur dévotion. La technique du chef déchu et tant décrié…

Il lui fallut ensuite réorganiser le réseau lui permettant d’avoir des articles ponctuels, d’actualité ou de fond. Forger une équipe de la trempe des grands journaux, tel fut son credo. Un credo rapidement oublié. Dans les oubliettes car il se révéla démesuré, devant l’indigence de leurs moyens. Ce fut une gageure de sa part. Nonobstant cela, il put tant bien que mal éviter le pire.

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Contraint de se confronter à la dure réalité pour que la machine ne se grippât point. Là aussi, il rivalisait d’ingéniosité pour éviter à ses collaborateurs de sombrer dans la médiocratie ambiante. Des contacts personnalisés, après les huit heures de travail et plus encore. Rien de tel pour fortifier les liens de confiance. Il   s’était épuisé en efforts pour éviter des dépenses supplémentaires. Khalfoun ne s’en souciait guère ; et pour cause, il travaillait quatre heures par jour au bureau, le reste était confié à des collaborateurs occasionnels.

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Omar résolut de transformer son angoisse naissante en énergie. Potentiellement, elle l’était. Il avait changé de bout en bout de tactique, en choisissant l’offensive plutôt que le repli. Subversif et non être à la recherche de sa subsistance. Son nouveau credo : le sérieux, l’organisation, la répartition des tâches et la programmation des échéances à respecter par tout un chacun. Il prit la peine de mettre de côté sa révolte. Une pulsion d’écorché vif. Ne plus perpétuer une dette qu’il devrait à Moh et Ali. Vint le succès avec l’amélioration du contenu de la revue, esthétique compris. Les chapeaux s’inclinèrent. Pas pour longtemps. Désormais, ses gestes étaient épiés, ses paroles traduites devant le tribunal de l’exégèse.

Articles, photos, titres et maquette et tout ce qui s’ensuivait fut de son ressort. En réunion hebdomadaire, il informait les autres membres de la rédaction. En réponse, ils se liguèrent contre lui. Les vives qualités intellectuelles que chacun lui prêtait furent remplacées par un sentiment proche de la haine. Il devint un gêneur. L’homme à abattre. Après avoir été l’homme de la situation.

En bon philosophe, imbu de modestie et de rectitude morale, il cultivait la dérision à l’égard des uns et des autres. Avec la répartie  foudroyante et l’humour à toute épreuve, il était bien parti. Pas pour longtemps. Il ne put résister outre ses forces. Les revers de fortune le meurtrirent. Les compromis l’affectèrent. Il pansait ses plaies et il tenait au secret ses cicatrices. Il éprouvait cependant un boulimique appétit de travailler juste, vite et bien.

Il a toujours considéré comme inadmissible l’attitude de ceux qui ont contribué à instituer des principes à être les plus prompts à les fouler aux pieds. Alors qu’on en exigeait le respect par les autres collaborateurs : rédacteurs, pigistes et traducteurs. Maintes fois, les membres du comité de rédaction remettaient leurs papiers à des dates impossibles. Car les lire, les composer, les corriger et les mettre en page excluait les retards impardonnables. La déontologie la plus élémentaire recommandait d’avertir à l’avance des défaillances. Tel ne fut quasiment jamais le cas, malgré ses avertissements réitérés. Plus que cela.

L’opportunité des articles et leur conformité à la ligne générale défendue par la revue lui furent disputées par ses détracteurs alors qu’il était censé représenter le comité durant les intervalles séparant leurs réunions. Cela posait sérieusement le problème de la direction collégiale, principe des plus justes s’il en fut.

Dur apprentissage de la démocratie. En exil. Dans la gueule du loup, dirait Kateb Yacine. Le penchant de tout un chacun pour l’hégémonie prit le dessus. Chez Ali, cela crevait les yeux tant il en fit sa nature première. Ce fut le début de la fin. Tacitement reconduite. Tout au long des semaines, la guerre froide occupa le devant de la scène. La déliquescence pointait à l’horizon. Les mouches du coche de la démocratie étaient nées. Chacun d’eux s’évertuait à vouloir juguler son travail. A le phagocyter.

Flatter « le zaïm ». Tel fut leur mot d’ordre. Leur priorité première. Le chef devait être comblé de flagorneries. L’exercice de la responsabilité, avec la confiance des autres, n’était plus de mise pour lui. Une autre aberration vint s’ajouter au calepin de ces apprentis dictateurs. Il fut interdit de plume ! Un blocage systématique de ses articles jugés trop « théoriques ». Leurs papiers à eux ? Des tables de Moïse à mettre sur nos tables de chevet et à psalmodier. La dilution des responsabilités tant décriée frappait à la porte pour y faire irruption. D’une manière fracassante.

Pour lui, seule comptait l’efficacité du travail accompli. En dehors des joutes oratoires auxquelles ils se livraient et des rixes fractionnelles que les uns et les autres semblaient tant affectionner. Un avant goût d’amertume naquit en lui. Il était entre l’abîme et le réel. Le début de la fin assurément. Il ne leur suffisait plus de taper sur les amis d’hier. Il leur fallait durer par la permanence d’une hypocrisie, celle là même qui fut reprochée aux « éléphants » de l’ancienne direction et dont Khalfoun était le maillon faible. Vaincre cette vieille génération inculte et habituée aux intimidations ou à la récupération des jeunes loups.

La carotte ou le bâton. Leur silence et leurs mines affectées renfermaient le mensonge et la ruse. Faire basculer la gérontocratie pour s’installer dans ses habitudes. Tel fut leur nouveau mode de gestion. Petit à petit, vaincu par ses principes, il  résolut alors de s’effacer définitivement. Jusqu’au jour de l’effondrement de leur canard. Ils le voulaient. Ils l’ont eu. Pour le maintenir en vie, ils appelèrent à son chevet une rescousse d’amis. L’agonie était malheureusement proche…

Comme le dit si bien le proverbe Ne restent dans l’oued que ses galets… C’est d’autant plus vrai en terre d’exil. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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