Akli Drouaz fait partie de ces universitaires rares, dont le parcours fascine, écrivain auteur compositeur chanteur, une vie riche d’errances multiples. De la Kabylie à la France, à l’Allemagne, c’est un voyageur attentif, qui s’enrichit aux contact d’autres cultures sans jamais se perdre.
Akli Drouaz est un intellectuel authentique, un poète vrai. On ne se lasse pas de l’écouter chanter ou tout simplement parler, on a l’impression d’être au village, il a cette humilité des villageois kabyles. Sa vie, en France ou en Allemagne, ne l’a pas éloigné de la source du village, s’il est parti c’est pour revenir.
Le Matin d’Algérie : Vous avez un parcours impressionnant, universitaire, écrivain, auteur compositeur interprète, qui est Akli Drouaz ?
Je crois savoir qui je suis, le fils de mon enfance (Ibn Khaldoun). Je suis pétri de l’histoire de mon pays, celle récente et l’autre plus profonde et complexe.
Tu me pousses à user du « Je » et bien je le ferai. Ce n’est guère de m’étaler encore moins de m’épancher, mais ta sollicitude me touche et répondre à des questions d’un journal tel que Le Matin d’Algérie, m’y oblige.
En réalité, je suis le fruit pourri de cette histoire algérienne aux confluents d’évènements, si dures, si violents. Dans ma jeunesse, je me définissais comme Amazigh et impliquant une forme de résistance nécessaire et douloureuse, plus tard, je me suis reconnu dans quelque chose d’immuable, je me suis souvent déclaré « Algérien à plein temps », quand on me posait des questions personnelles de type : que faites-vous dans la vie ? … je rétorquais : « Je suis Algérien à plein temps et cela n’est pas un métier de tout repos ».
Mais choisissons-nous vraiment qui nous sommes ? Je n’en sais trop rien. Je suis né et j’ai grandi dans une contrée aux multiples souffrances, la Kabylie plus précisément dans la région de Ouaguenoun que j’ai quittée depuis mes huit ans pour n’y revenir que plus tard, quasiment un demi-siècle après.
Les guerres successives ont marqué notre mémoire collective, notamment avec l’empire ottoman et plus tard avec le colonialisme français. La traversée de ma région Ouaguenoun et mon village limitrophe d’Avizar était un vrai coupe-gorge pour les troupes ottomanes, il faut dire que nous avions aussi connu des massacres et des pertes terribles, je suis donc tout cela ; à la fois attaché aux racines de mon pays, mais aussi une espèce de sujet hybride traversé par les influences des terres traversées.
Très jeune, j’ai vécu en Grande Bretagne, en Allemagne incluant Berlin durant la guerre froide et ensuite en France, j’ai eu la chance d’assister à la chute du mur de Berlin… tu vois que ta question n’est pas simple. Pour le reste, j’avoue devoir contrarier une partie de ton portrait, je ne suis pas universitaire (Bien que j’en ai chauffé des bancs), je réfute le terme d’intellectuel, c’est une charge trop lourde. Venant de toi, je l’accepte ou plus tôt je le prends comme une gratitude, mais encore une fois c’est une charge bien trop lourde pour moi.
J’ai un profond respect pour les personnes qui cherchent et qui trouvent ou qui continuent à chercher, mais je m’éloigne de la cacophonie kabyle ambiante ou les cracheurs de feu tiennent les podiums et le crachoir. Je respecte et admire ceux qui produisent, travaillent créent, je laisse ma part de colère se poser loin de l’invective. Certains parlent pour ne rien dire et cela ne m’inspire guère.
Le Matin d’Algérie : Comment passe-t-on de la musique, du chant, au roman ?
Je suis tenté de dire chaque chose en son temps ; dans les années 1970 et 1980 la musique était un moyen d’expression à la portée de toute une jeunesse en quête de liberté. La quête identitaire et l’expression de sentiments et d’opinions notamment politiques, ont servi de viatique pour la chanson, la musique n’étant que le récipient, le contenant. Les évènements de 1980 ayant libéré la parole, je crus pour ma part que la chanson ne suffisait plus, par ailleurs et je l’admets, bien que doté de quelques qualités, je n’avais ni la force ni le talent nécessaire, j’étais souvent en colère, ce qui m’éloignait des autres. J’ai produit des groupes dont je tairais les noms mais ils se reconnaitront.
Je crois que le milieu à l’époque en tout cas manquait de sérieux et de professionnalisme, les producteurs vendaient des K7 comme ils vendraient des tomates en été…
Le passage de l’un à l’autre bien que difficile était évident, dans la chanson, j’ai pensé plus sérieusement que quand on n’a plus rien à dire, il n’était pas nécessaire de le faire savoir. Mais si ça te dit on fait un cd (sourire).
Le Matin d’Algérie : Vous avez beaucoup de talents comme beaucoup d’artistes de votre génération, qu’est-ce qui vous a empêché de faire une plus grande carrière ?
Notre culture étant absente des vrais podiums et réduite à une simple et vulgaire marchandise, je n’ai pas souhaité participer à cette gabegie.
Le Matin d’Algérie : Quel regard portez-vous sur la chanson kabyle d’aujourd’hui ?
La chanson kabyle connait un véritable essor. Hommes et femmes des jeunes avec des talents extraordinaires apportent un nouveau souffle, ils n’ont pas l’écoute et l’espace nécessaires à leur expression, mais je trouve que cette jeune génération est formidable.
Le Matin d’Algérie : Vous avez réussi l’exploit de revenir vivre au village, comment voyez-vous l’avenir de la littérature algérienne dans un pays qui peine à se démocratiser ?
J’ose croire que la littérature résistera à la déliquescence généralisée. De tous temps ce type d’expression salvateur a survécu à toutes les crevasses de l’histoire du pays ; l’Allemagne en particuliers a connu un essor incroyable à la fin de la guerre ; les œuvres de Böll, Grass et bien d’autres ont fleuri sur les cendres de la terreur, chez nous Feraoun, Yacine, Mammeri, Dib et plus tard Djaout et Mimouni ont donné dans la douleur et les affres de conflits terribles et chacun en son temps a donné le meilleur de la littérature de chez nous ; ne dit-on pas que la culture est tout ce qui reste après que tout soit détruit ?
Oui, je crois que des générations contreront les funestes desseins d’un système en voie de décomposition.
Quant à ma petite personne, je crois que chaque être humain devrait avoir le droit de vivre là où il le désire, notre terre de naissance serait bien entendu l’endroit idéal. Tout n’est pas tout rose, loin s’en faut, mais j’aime mon pays et je suis heureux d’y vivre, bien que l’état dans lequel se trouvent, mon village et mon pays, soit tristement déplorable, dagi ara yemmet kaci, hna imout kaci.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livres publiés :
Cacahuète, Apopsix éditions
Rêves d’exil, Apopsix éditions
Errances, identités flouées, Achab éditions