Tout le monde sort, sauf le supérieur et Ibrahim. Il est tellement abasourdi qu’il oublie de dire bonjour. Le policier en chef se moque déjà de lui en répondant à des salutations fictives. Avec ironie, il débite une réponse classique à la formule Sallam 3aleykoum :
– Sallam ou rahmat Allah, riyah ! (Le salut et la miséricorde d’Allah, assieds-toi !) ricane l’officier en chef de la PAF en lui indiquant le siège qui lui fait face, de l’autre côté de son bureau sur lequel s’entassent quatre ou cinq gobelets vides.
L’officier retire ses lunettes et les nettoie délicatement tout en dévisageant Ibrahim avec un regard de vautour prêt à foncer sur sa proie. Un silence de cimetière s’installe…le cœur d’Ibrahim bat la chamade. Il ne connaît que trop bien la hogra qui sévit dans son pays et qui l’a poussé dans les bras de l’exil pour sauver ses enfants, quarante ans auparavant. Mais que peut-on bien lui reprocher pour ainsi l’empêcher de retourner chez lui, à Paris ?
Après avoir refait les mêmes gestes que son subordonné et consulté son ordinateur pendant deux minutes qui prenaient des allures d’éternité, le responsable se prononce enfin.
– Effectivement, vous êtes bien sous le coup d’une ISTN.
– Et ça signifie quoi pour moi ?
– Écoutez, ce que je peux vous rappeler, c’est ce que prévoit la loi :
« L’ISTN est ordonnée pour une période ne dépassant pas trois mois, mais elle peut être renouvelée une seule fois pour la même période, sauf s’il s’agit d’un grave délit en lien avec le terrorisme ou la corruption commis en Algérie ou en France (et rien qu’en France !?) Dans ce cas-ci, le renouvellement est possible jusqu’à la clôture de l’enquête ».
– Vous le savez comme moi, nul n’est censé ignorer la loi ! se crut-il obligé de rajouter, comme pour étaler son expertise en la matière.
Parlez-moi d’enquête menée en Algérie pour de soi-disant délits commis en France (et rien qu’en France !?) Cela prouve que la SM (Sécurité militaire) algérienne s’infiltre et s’active sur le sol même de l’Hexagone. C’est carrément l’Algérie de Tamanrasset à Dunkerque.
– Mais je suis binational ! Je n’ai commis aucun délit. Je suis professeur des universités.
Sourire moqueur aux lèvres, le responsable lui rappelle qu’étant né en Algérie, il est considéré comme Algérien, stricto sensu, dès l’instant où il franchit les frontières du pays. Toute autre nationalité est caduque pour les autorités.
– Jusqu’à preuve du contraire, vous êtes né ici. Vous êtes donc Algérien, comme nous tous. Quant à votre métier, ça ne m’intéresse pas ! Je ne suis pas là pour distribuer des bons points. Professeur ou pas, je ne fais qu’appliquer la loi.
– Mais on me reproche quoi ? Je ne fais pas de politique et je n’ai commis aucun délit. Même pas la moindre infraction au code de la route, que ce soit en Algérie ou en France… (à suivre)
Kacem Madani