Élu le soir du 24 mars par les Sénégalais dès le premier tour, Bassirou Diomaye Faye, le candidat antisystème et panafricain a remplacé la figure de l’opposition, Ousmane Sonko, qui avait été écarté de la course présidentielle. Avec Bassirou Faye, ce pourrait être aussi la fin de la présence française dans le pays.
Habillé d’un costume bleu, le président élu Bassirou Diomaye Faye a pris la parole solennellement au lendemain du scrutin présidentiel du 24 mars. « En m’élisant président de la République, le peuple sénégalais a fait le choix de la rupture […] Je m’engage à gouverner avec humilité dans la transparence, à combattre la corruption à toutes les échelles », a déclaré derrière un pupitre le candidat antisystème, quelques heures après un appel téléphonique avec Amadou Ba, son principal rival et le candidat du pouvoir sortant qui a reconnu sa défaite.
Dix jours après avoir été libéré de onze mois de prison, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans et inconnu du grand public, se retrouve aux portes du pouvoir. Plan B du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), dissout depuis juillet par les autorités sénégalaises, cet inspecteur des impôts a été choisi pour remplacer Ousmane Sonko, le charismatique chef de file qui a été empêché de se présenter à la présidentielle pour des raisons judiciaires. Rien ne prédisait que ce discret bras droit et homme de l’ombre serait élu aux plus hautes fonctions de l’État.
Cofondateur du Pastef avec Ousmane Sonko
Originaire du village de Ndiaganiao, à une centaine de kilomètres de Dakar dans le département de Mbour, Bassirou Diomaye Faye a grandi dans le monde rural. Diplômé de droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il est admis à l’École nationale d’administration.
C’est à la Direction générale des impôts et domaines (DGID) qu’il rencontre Ousmane Sonko, Birame Souleye Diop et Wally Diouf Bodiang avec qui il cofonde le Pastef en 2014. Chef du bureau du contentieux administratif et fiscal, il est réputé pour sa rigueur et son acharnement au travail. « Il faut avoir un bon niveau technique en droit et en fiscalité pour contrôler ce bureau, car il faut traiter les recours administratifs des contribuables », assure Waly Diouf Bodiang, directeur adjoint de la législation à la DGID et membre du cabinet d’Ousmane Sonko.
Ensemble, ils se politisent dans le Syndicat autonome des agents des impôts et domaine (SAID), fondé par Ousmane Sonko quelques années plus tôt. Bassirou Diomaye Faye en devient le secrétaire général jusqu’en 2022, après avoir été aux affaires juridiques. « Il a beaucoup travaillé sur le foncier pour que les agents de la DGID aient accès à la terre et que les terrains soient distribués de façon plus transparente », se souvient M. Bodiang.
En parallèle, ces jeunes inspecteurs des impôts créent donc le Pastef. Bassirou Diomaye Faye devient de plus en plus indispensable jusqu’à être placé à la tête du mouvement des cadres et de la diaspora. En 2019, il est l’architecte du programme Jotna, porté par Ousmane Sonko lors de l’élection présidentielle qui le classe en troisième position derrière Macky Sall et Idrissa Seck avec près de 16% des voix.
Deux ans plus tard, en mars 2021, le leader du parti Ousmane Sonko est arrêté pour « trouble à l’ordre public », alors qu’il se rendait au tribunal accompagné d’une masse de militants après avoir été accusé de viols par une jeune employée d’un salon de massage. Alors que le pouvoir est accusé de vouloir éliminer l’opposant, son arrestation pendant plusieurs jours a provoqué de violentes manifestations qui ont fait quatorze morts, selon Amnesty International.
Amputé de son chef, l’ex-Pastef se tourne vers Bassirou Diomaye Faye, le fidèle bras droit, qui est mis sur le devant de la scène. Quelque temps plus tard, le parti est restructuré et Bassirou Diomaye Faye est promu secrétaire général de l’ex-Pastef. « Il est calme, à l’écoute de ses collaborateurs et il sait trancher au bon moment », témoigne le député Ayib Daffé qui a été le secrétaire général par intérim de l’ex-Pastef pendant son incarcération.
Attaqué sur son manque d’expérience
Alors qu’il a perdu dans sa propre commune lors des élections locales de janvier 2022, il est attaqué sur sa jeunesse et son manque d’expérience. « Il travaille depuis environ quinze ans dans la haute administration. Tous ceux qui parlent d’homme d’État expérimenté, ce sont eux qui ont mis le Sénégal dans cette situation. Je préfère une personne inexpérimentée, mais patriote et travailleuse », répond Moustapha Sarré, responsable de l’ex-Pastef qui vante ses valeurs et sa probité. Ses détracteurs l’accusent pourtant d’une pratique rigoriste de l’islam et de liens avec le salafisme. « Je suis musulman et ma pratique de l’islam est une pratique personnelle que je fais dans mon intimité avec Dieu. Je n’impose de culte à personne et l’État n’a pas cette vocation non plus », avait répondu avant son élection Bassirou Diomaye Faye dans une interview exclusive accordée au Monde et à RFI, tout en rappelant la laïcité du Sénégal.
Dès juin 2022, Bassirou Diomaye Faye commence à travailler sur le programme en vue de l’élection de février 2024. Mais il est arrêté en juillet 2023 pour « outrage à magistrat » après une publication sur les réseaux sociaux où il dénonce la « clochardisation » de la justice. Quelques mois plus tard s’ajoutent les charges d’atteinte à la sûreté de l’État et appel à l’insurrection.
Onze mois d’incarcération et une campagne express
Incarcéré pendant onze mois, il arrive à garder un rôle central dans l’élaboration du programme pour l’élection de 2024. « Il a piloté les travaux depuis la prison : il recevait ses collaborateurs et il arrivait qu’on lui permette d’appeler au téléphone », assure Moustapha Sarré.
Mais ses conditions d’incarcération se sont dégradées une fois qu’il a été désigné candidat de substitution pour l’élection présidentielle. « Quarante-cinq jours avant ma sortie, il y a eu une restriction des visites et j’ai été privé de téléphone. Le programme aurait, par exemple, pu être plus abouti dans les explications », a-t-il déclaré avant son élection dans l’interview au Monde et à RFI.
Dans son programme, il promet par exemple plus de justice, moins de corruption, une meilleure répartition des richesses, plus d’équité dans les relations internationales, de lutter contre l’hyperprésidentialisme, de garantir une souveraineté économique et de faire une réforme monétaire.
Il est finalement libéré le 14 mars, en même temps qu’Ousmane Sonko, à la faveur d’une loi d’amnistie initiée par le président Macky Sall. À leur sortie, en pleine campagne électorale, des foules en liesse les accompagnent en criant le slogan : « Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye » (« Diomaye c’est Sonko, Sonko c’est Diomaye »).
Ensemble, ils se lancent dans une campagne électorale express à travers le pays à bord d’une caravane qui va faire le tour du Sénégal au pas de course et qui draine des foules. Ils terminent par un meeting de clôture le vendredi 22 mars à Mbour, sa région d’origine. Le jour du scrutin, il vote dans son village natal en compagnie de ses deux épouses. Le soir même, les populations sortent en masse pour fêter la victoire, à la hauteur des immenses attentes et espoirs qui sont placés sur les épaules du plus jeune président de la République élu au Sénégal.
Avec RFI