22 novembre 2024
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Sisyphe, c’est nous ! 

L’histoire est-elle un perpétuel recommencement ? L’être humain est-il condamné à pousser éternellement le rocher qui redescend, obligeant Sisyphe à le hisser de nouveau au sommet de la colline par un cycle sans fin comme châtiment de son crime envers Hades ?

Nous avons tous, dès que nous accumulons l’âge et l’expérience, l’impression de revivre une répétition des évènements, du « déjà vécu ». Autrement dit cette expérience accumulée par tant d’efforts dans le temps est-elle condamnée à ne jamais produire une avancée continue du progrès dans le chemin d’une vie ?

Les deux thèses ont toujours existé et resteront en constante contradiction, avancée linéaire ou recommencement ? Deux sources sont traditionnellement avancées pour illustrer cette opposition même si elles sont loin d’être exclusives. Le proverbe « Aux mêmes causes, les mêmes effets » face à la pensée de Louis-Ferdinand Celine qui affirme que « L’histoire ne ressert jamais les mêmes plats ». Une position reformulée par Paul Valéry qui nous dit que l’histoire est «la science des choses qui ne se répètent pas».

Comme cette rubrique n’est certainement pas un cours mais l’exposé d’une pensée assumée et partagée avec le lecteur, je prendrai le risque d’annoncer dès le départ ma conclusion en affirmant que l’histoire est effectivement un éternel recommencement comme le soutient le proverbe.

À Oran, berceau de mon instruction, nous pensions que l’humanité était en constant mouvement d’avancées et de progrès et que le retour en arrière était impensable. L’un des repères que nous avions nous permettait d’y croire. Ce repère est celui de toutes les enfances qui comparent leur vécu avec celui de la génération précédente.

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Pour nous, ils avaient vécu au moyen-âge lorsqu’ils nous racontaient leur vie. Vous rendez-vous compte, ils n’avaient pas l’eau courante, parfois pas la lumière électrique, pas de téléphone, leurs parents voyageaient en carrioles et ils risquaient la mort à la moindre égratignure infectée. Nous étions effarés qu’ils n’aient même pas connu le tourne-disque, ces australopithèques que nous aimions pourtant tellement.

Oui mais lorsque notre expérience commença à émerger avec l’âge, nous nous sommes aperçus que les mêmes questionnements et évènements revenaient. Les guerres, les épidémies, les fins de mois difficiles, le dur labeur, l’avenir incertain et les défis étaient toujours présents.

C’est à ce moment que nous avions compris que les avancées technologiques se dissociaient des réflexions et ressentis humains. Je suis sûr qu’un très jeune Oranais se demande aujourd’hui comment nous avions pu vivre dans une ville sans Internet, sans smartphone, sans immeubles aussi modernes que ceux du front de mer actuel et sans tramway.

Pendant quarante ans j’ai entendu mes étudiants parler entre eux, on avait l’impression que leur sentiments et questionnements étaient absolument les mêmes que nous avions à Oran, dans une époque maintenant lointaine. Leur crainte de l’avenir, les déchirements des amours contrariés, les dépenses contraintes, la chamaillerie, les rires et les rêves sont identiques à ceux qu’étaient les nôtres.

Ils ont pourtant le smartphone, voyagent en TGV, connaissent l’épopée de la planète mars, sont guéris par des techniques médicales révolutionnaires. C’est exactement l’avancée que nous avions connue par rapport à nos grands-parents, soit la télévision, Amstrong sur la lune et la coupe du monde en retransmission par satellite. Elle est à l’image de ce jeune Oranais qui vit sa jeunesse avec les mêmes doutes et bonheurs que les nôtres.

Pourquoi ? Nous l’avons dit, tout simplement parce que l’être humain reste immuable dans ses fondamentaux. « Aux mêmes causes, les mêmes effets », quoi de plus juste ?

Mais alors, monsieur Sid Lakhdar, vous niez le concept même d’histoire qui est linéaire, vous contestez l’avancée des civilisations. Vous avez une représentation figée du monde et vous posez comme postulat de la vie un déterminisme constant. En fin de compte, l’inverse absolu de ce que vous avez voulu transmettre pendant votre carrière aux étudiants.

Vous proclamez que le libre arbitre n’existerait pas et que l’être humain est condamné à être prisonnier par le même sort que celui qui a été réservé à Sisyphe, sans aucune faculté de s’en sortir. Vous raisonnez comme si les individus étaient définitivement condamnés à la damnation éternelle, enchaînés par leurs sentiments. Vous pensez que tout est écrit une fois pour toute.

Non, absolument pas, je récuse cette accusation car je pense profondément que l’humanité avance malgré tout, qui pourrait le nier ? Tous les lecteurs ont fréquenté les cours de mathématiques de notre jeunesse, certains beaucoup plus longtemps, et connaissent la représentation d’un droite de tendance, lorsqu’elle est linaire et croissante, nous dirons que c’est celle de l’histoire humaine.

Mais cette ligne croissante est en fait le résultat d’un « lissage de segments ascendants et descendants », le trend, comme disaient nos professeurs, qui est également l’histoire de l’humanité avec ses fluctuations. Lorsqu’on s’éloigne, on voit une ligne croissante, lorsqu’on se rapproche on constate l’existence d’une ligne en dents de scie. Or une vie est plutôt à l’échelle d’une ou deux dents de la scie et pas dans le tracé linéaire.

Ainsi, si l’humanité avance globalement dans un temps long, elle est victime de retours en arrières constants car « aux mêmes causes, les mêmes conséquences ». La cause étant l’homme, il est doté des mêmes qualités et travers quelle que soit la période. Les connaissances et les progrès humanistes avancent inéluctablement mais les mêmes sentiments opposés, l’amour et la haine, la violence et la compassion, la crainte et l’assurance, l’altruisme et la cupidité, sont immuables.

Oui, monsieur Celine, l’histoire repasse les mêmes plats contrairement à ce que vous affirmez. Vous en êtes le parfait exemple dans l’histoire, votre comportement fut le même que celui des pires périodes de drames et de haine, même d’abomination. Vous avez épousé une doctrine des plus racistes et génocidaire, celle qui fut la vôtre par vos écrits et déclarations, contraires à l’avancée des civilisations humaines. Vous avez eu des positions qui ont justifié les mêmes barbaries dans l’histoire, quelle que soit la période.

Il est étonnant que ce soit vous qui disiez que « l’histoire ne repasse pas les mêmes plats ».

Sid Lakhdar Boumediene

22 Commentaires

  1. Céline n’était pas raciste ou antisémite. Il était profondément mysanthrope. Il ne méprisait pas une race particulière mais la race humaine.
    Il a dit autant de mal des « blancs » (et il a utilisé des guillemets aussi) que des noirs, des arabes et des juifs, mais on sent un dégoût plus profond chez lui envers les européens qu’envers les autres dans ses écrits.

    • Merci pour cette réponse. Effectivement vous interprétez Céline comme certains, c’est à dire par sa misanthropie.
      Nous n’avons pas dû lire de la même manière ses écrits, farouchement racistes, c’est le moins qu’on puisse en dire.
      À Sc Po j’avais à lire deux de ses livres pour un exposé collectif portant sur les diversités des expressions idéologiques durant la période en question.
      C’est tout simplement abominable et clairement assumé.
      Cordialement

      • Je dois avoir lu Voyage au bout de la nuit des dizaines de fois depuis 1970. La façon qu’il a de parler des « blancs » est au moins aussi pleine de mépris que pour les « nègres », probablement plus.
        Je aussi lu Casse-Pipe des dizaines et des dizaines de fois, mais à part ces deux livres, je n’ai jamais réussi à en finir qu’un seul autre de lui: j’ai laborieusement terminé Mort à Credit une seule fois. Quant à ses écrits sur les juifs, le peu que j’en ai lu me donne l’idée que c’était peut-être un peu lâche de sa part de l’avoir fait à ce moment précis de l’histoire.
        En tout cas, dans tout ce que j’ai lu de lui, je ne me rappelle pas avoir jamais trouvé d’éloges pour une race ou nationalité particulière, surtout pas pour les français.

        • Je crois que vous n’avez pas lu les textes de référence de son antisémitisme et de son admiration pro-Hitlérienne.
          Lisez (ou relisez) Bagatelles pour un massacre et vous constaterez l’abjection abominable.
          En fait je ne vous accuse pas de ne pas avoir perçu ce que des millions de lecteurs et de journalistes ont affirmé après une lecture et une écoute de ses déclarations tellement évidentes.
          Je ne vous le reproche pas car vous vous êtes consacré entièrement à la lecture du génie littéraire du personnage.
          C’est tout à fait honorable mais ne faites jamais une conférence pour renier l’anti-sémitisme de Céline, ils vous offriront des lunettes pour bien lire ce qu’il a écrit et des prothèses auditives pour écouter ce qu’il a déclaré.
          Je vous le dit avec amitiés et sourire.
          Je lui reconnais le génie d’avoir ébloui tant de lecteurs, c’est incontestable.
          Je dois avouer que l’amoureux de la lecture que je suis n’accroche pas du tout à son Voyage au bout de la nuit mais cela n’a aucune importance car c’est la beauté de la littérature.
          Amitiés

          • Merci pour votre réponse (chaque fois que je vouvoie un autre algérien je me sens gêné, mais maâliche.)
            J’ai essayé de lire Bagatelles pour un massacre, mais je n’ai pas pu supporter plus de quelques pages. Je ne dis pas qu’il n’était pas antisémite, et je dis bien que c’était une lâcheté de sa part d’avoir exprimé clairement son antisémitisme à ce moment particulier de l’histoire. Il n’aurait pas dû et rien ne l’y obligeait, ça c’est sûr.
            Ma perception cependant est qu’il n’a épargné personne. Mais s’il a exprimé son admiration pour Hitler, alors il a fait pire que je croyais, car tant qu’il ne dit pas qu’une race ou ethnie quelconque est supérieure à une autre et qu’il met tout le monde dans le même sac, je ne lui en veux pas.
            Il est peut-être allé plus loin que je voulais bien le croire. Cependant, il est tout à fait possible qu’il était un peu « cinglé » aussi, un « cinglement, cinglage, ou cinglation » dû(e) à une blessure grave à la tête pendant la première guerre mondiale.
            Voyage au bout de la nuit est l’œuvre la plus antimilitariste qui puisse être imaginée. Dans ce roman, il se décrit comme un lâche qui s’assume, le plus grand lâche qu’on puisse imaginer, alors qu’en réalité il était plutôt un soldat décoré.

            • Là, par contre, dit comme cela, je suis en parfait accord.
              En effet il peut avoir été misanthrope pour tout le monde.
              Oui, peut-être est-il également « cinglé » mais sans ternir son talent.
              Je vais essayer de relire son livre majeur, Voyage au bout de nuit, et j’aurai peut-être un autre sentiment. Je veux dire « d’accroche » littéraire.

  2. Un problème qu’a l’homme est qu’il prend presque immédiatement pour acquis toutes ses innovations, même les plus révolutionnaires, et en devient tout de suite prisonnier. C’est surtout devenu plus clair depuis ces dernières décennies. Ce qui commence comme une petite curiosité devient petit à petit un outil, l’outil gagne de plus en plus d’importance jusqu’à ce qu’il devienne un avantage pour certains, puis un objet commun et indispensable à tous. En peu de temps il devient tellement intégré dans la vie qu’on le prend pour acquis et on oublie qu’il n’existe pas depuis tellement longtemps. Puis il devient si important que sans lui rien ne peut plus fonctionner.
    Il y a des centaines d’exemples, mais pour en prendre juste deux: l’avion et le téléphone portable.
    Au début du 20ème siècle, l’avion était une sensation, mais restait une curiosité. Même dans les années 1940 personne ne comptait sur l’avion pour voyager. On pouvait aisément s’en passer. C’était un luxe que certains pouvaient s’offrir, mais il n’était pas encore indispensable en dehors du domaine militaire. Peu de temps après la fin de la 2ème guerre mondiale, il est devenu indispensable et le bateau est devenu quasi-obsolète dans les voyages transatlantiques.
    Et d’outil indispensable il est devenu une vulnérabilité : Si on bloquait tous les avions sur terre, ce serait une catastrophe qui pourrait anéantir la vie normale sur terre.

    Et le téléphone portable : Je n’en dirai qu’une chose: Il y a 25 ans personne dans ma famille n’en avait un et nous vivions le plus normalement du monde. Aujourd’hui, si je sors et que je me rends compte que j’ai oublié le mien ou que ma femme a oublié le sien à la maison, c’est une petite attaque d’anxiété. Je me demande comment je vais survivre jusqu’à ce soir. Et si les systèmes téléphoniques étaient paralysés pour quelques semaines, ce serait la ruine de toute l’économie mondiale.
    Ce qui était utile est devenu indispensable et ensuite une vulnérabilité.

    Entretemps, nous ne sommes ni plus ni moins heureux avec que sans ces « machins. »

    • C’est l’une des réflexions que j’ai souvent développées dans de petits articles sur ce journal et dans un autre, d’Oran.
      Je sais pertinemment combien l’angoisse est forte face aux nouvelles technologies addictives. Mais je suis un très grand optimiste pour ces avancées technologiques, quelle que soit la crainte.
      Je ne sais pas quel âge vous avez mais je me souviens que la TV était considérée comme terriblement addictive et dangereuse pour notre esprit et notre éducation par nos parents et, surtout, par nos grands parents.
      Je me souviens que lors de la généralisation du stylo à bille, interdit en classe, on nous avait dit que c’était la fin de la civilisation et de l’écrit si on abandonnait la plume et l’encre.
      Et je peux citer des dizaines d’exemples.
      Le prof que j’ai longtemps été peut assurer qu’une très bonne éducation scolaire permet de maîtriser l’addiction du portable et de n’en retenir que la formidable avancée.
      En revanche, c’est une véritable catastrophe pour son utilisation partout, y compris en classe et…dans l’assemblée nationale.
      Tiens, c’est d’ailleurs l’un de mes projets d’article.
      Amitiés

      • Le problème que je vois derrière toutes ces innovations est que, à part le fait que nous oublions vite à quel point elles sont censées améliorer nos vies, la population humaine augmente entretemps et ne pourrait pas survivre sans elles. Si une race extraterrestre réussit à paralyser tous les systèmes informatiques de l’homme, c’est la fin certaine de l’homme. Rien que dans la production de nourriture, sans compter tous les autres domaines, huit milliards d’êtres humains ne peuvent plus se nourrir sans la technologie actuelle. si nous devions retourner à la technologie du 19ème siècle, la terre pourrait seulement supporter un quart de la population actuelle, mais c’est totalement impossible logistiquement, car d’abord 25% de la population devrait éliminer le reste par la violence, et ensuite se mettre d’accord, apprendre à utiliser les moyens du passé, s’adapter à une nouvelle (l’ancienne) façon de vivre, etc.
        Impossible. On n’aurait pas le temps de faire tout ça avant de crever de faim, de maladies et autres problèmes. Une paralysie soudaine de l’informatique serait la mort de l’homme, et c’est pour ça que je dis que l’homme devient prisonnier de ses innovations.

  3. Il y a des constantes, depuis des dizaines de milliers d’années, qui font que, à certains égards les événements se reproduisent . Tant qu’on garde le même constitution biologique, la même cervelle, les mêmes besoins fondamentaux, on fera en sorte de les satisfaire. Les déclencheurs étant fondamentalement les le mêmes, on aura les termes confrontation ou coopération au bout du processus. L’accès ou l’accaparement des ressources ne change pas comme moteur de l’histoire avec, parfois, des habillages plus ou moins convaincants; sinon quoi ? Les agents qui font l’histoire, individus et le collectifs, leurs interactions, ont également toujours été là eux aussi.
    Par contre, le progrès technique est globalement linéaire : on n’utilise plus nulle part des outils en pierres depuis des millénaires ni la voile pour naviguer (sauf pour le plaisir) depuis des siècles. Les recul en arrière sont anecdotiques et ne démentent pas le constat d’un progrès technique globalement linéaire (abstraction des dents de scie)

  4. L’un n’emêche pas l’autre a yamdakoul!

    L’un n’empêche pas l’autre ! Je peux me vanter davoir lu presque tout ce qu’il a écrit et beaucoup de ce qu’on a écrit contre lui. Il n’a épargné ni les blancs, ni les noirs , ni les juifs ni les autres. Même si c’est on antisémitisme qui lui a valu l’essentiel des critiques. L’intelligentsia de l’époque l’a méprisé et traité d’écrivain médiocre ,à cause de son style, il leur a répondu dans bagatelle. Je dirais que ce sont ses rapports avec les tenants, qui l’on poussé vers la collaboration.

    Mais si je devais le définir , je dirai que c’est un misanthrope au dessus de tout.

    Cependant, comme je l’ai souvent écrit, il ne faut confondre l’homme et l’écrivain. Céline est un écrivain hors norme. Mais en tant qu’homme il est vraiment exécrable. Il ne faut pas profiter de l’un pour exonérer l’autre. Ni de l’autre pour accabler l’un. Pour moi c’est le plus grand écrivain français. Souvent les plus grands écrivains sont dans la vie de grandes crapules. Peut-être que pour être un grand écrivain, il faut pas être humaniste. J’en suis presque sûr.

    Si on lisait  »bagatelle pour un massacre » comme un roman, il est de mon point de vue magnifique. Sa diatribe contre l’intelligentsia de l’époque était pleine de vérité.

    • Enfin un nouveau Hend, avec une dimension intellectuelle assurée, sereine et réfléchie. C’est celui-là qui honore les discussions des « gens du bas des articles ».
      Il est le bienvenu.

      Oh que oui, la distinction entre l’homme et l’écrivain est l’une de mes positions les plus fortes. Il faut relire Zola pour comprendre que les grands ont été aussi, pour beaucoup, d’un antisémitisme épouvantable. On ne peut les éliminer de la grande littérature. Il ne resterait pas beaucoup de cette envergure.

      En fait, je fais un blocage pour Céline, c’est mon petit caprice.

      Je n’ai pas « accroché » avec ses livres mais je trouve merveilleux qu’il suscite un plaisir de lecture auprès de centaines de milliers de lecteurs à travers le monde. Il est effectivement en haut de l’échelle.

      Pour terminer, je dois dire que je suis étonné que mon article provoque une discussion sur Céline, l’homme et l’œuvre, alors qu’il n’est cité que pour une phrase qui provoque le débat sur le sujet de la linéarité ou non de l’histoire.

      Mais c’est très bien.

      • Je ne cherchais pourtant qu’à réponde à Kichi qui porte  »voyage au bout de l’ennui  » au summum de tout ce qu’on a écrit. Je crois en comprendre la raison. Les chemins de la vainitude sont comme les escaliers de la butte Montmartre de Mouloudji: durs pour les miséreux.

        Vous admettez donc qu’il ne faut pas confondre l’homme et l’écrivain, mais s’agissant de vous-même, vous faites comme Céline, qui règle ses comptes avec ses détracteurs à OK Corral. Moi je n’ai rien contre votre personne , car nous avons tout pour nous comprendre. En dehors du Matin-Dized on aurait pu être amis. Tant mieux si le sort nous en a prémunis! Ou tant pis!

        Céline n’a été cité qu’au détour d’une phrase, par escapade du coté obscure , ou ô mystère de la subliminarité ! Pourtant si me m’interrogeais sur notre vaine sisyphité, c’est par là que serais passé. Sinon pourquoi évoquer Céline quand on s’interroge ainsi? Si ce n’est pour placer Sisyphe de son coté. Le juriste douterait-il de son innocence? Alors c’est Céline qui a raison, la répétitivité de l’histoire est un mauvaise excuse.

        La Majorité des écrivains de son temps se sont vautrés par commodité dans la culture bourgeoise normative dominante. Et ceux qui ont essayé d’en sortir n’ont pas fait mieux. Peut-être que Céline est lui aussi une caricature.

        On ne sort pas facilement du sens commun, de l’entendement. Je suis moi-même prisonnier de ma propre culture du coté de Mister Hyde. C’est pour cela que je ne lis pas avec mon terrible cerveau rationnel, mais avec mon cerveau primitif. Ceci dit, j’admets qu’on aimât pas Céline , le romancier ou le satyre, ou les deux.

        Et pourtant si on a lu la littérature du 19ème , on se rendrait compte que les grands écrivains de cette époque : Balzac, Dostoïevski, ou même Zola (dans les déboires d’Aristide Rougon : dans  »l’argent », comme par hasard) ne font pas une posture vraiment honorable aux juifs qu’ils mettent dans leurs romans.

      • Juste deux petits exemples de l’bsurdité « sisyphienne » dans Voyage au bout de la nuit:
        « Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de forces pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n’aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide. »

        “ Des vagues incessantes d’êtres inutiles viennent du fond des âges mourir tout le temps devant nous, et cependant on reste là, à espérer des choses… Même pas bon à penser la mort qu’on est. ”

  5. Première ou seconde page du Voyage:
    « […] Elle en a bien besoin la race française, vu qu’elle n’existe pas !
    […] La race, ce que t’appelles comme ça, c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c est ça les Français. Haineux et dociles, violés, volés, étripés… »

      • C’est un grand plaisir d’échanger avec des compatriotes « ta3 eççe7 » des « anciens » car nous sommes d’à peu près les mêmes générations. J’ai été scolarisé pendant la guerre 54-62 et je me rappelle comme si c’était hier la liesse et le délire de joie formidable et général du 5 juillet 1962…suivi quelques années plus tard de…de… de… ah, et puis tant pis, je ne dis rien.

        Petite anecdote sur Mark Twain: Lors d’un voyage en train, un homme assis à côté de lui lui demande: « N’êtes-vous pas le célèbre Mark Twain ? » Mark Twain confirme que c’est bien lui, et l’homme répond : « Je regrette de le dire, mais j’ai lu toutes vos œuvres, malheureusement. J’aurais bien voulu ne jamais les avoir lues. » Un peu offusqué, Mark Twain se préparait à riposter mais l’homme a continué « …afin d’avoir l’immense plaisir de les lire pour la première fois. »

        Mais on ne sait jamais, tout de même. Un roman peut toucher un lecteur et pas un autre. Un ami me répète que je devrais relire Mort à Crédit avec un nouveau regard, mais je ne réussis pas à le faire. Il contient des passages que j’aime bien, c’est sûr, mais rien à voir avec le Voyage. Pour mon ami, si.

  6.  » l’absurdité sisyphienne » ! Merci de m’avoir tendu la perche ! Sisyphe est un héros parcequ’il est maso, et Céline un lâche, parce qu’il refuse , de se battre contre les moulins à vent.

    J’ai souvent relu des œuvres littéraires, après avoir lu leurs critiques. Cela n’a fait que m’accrocher encore plus à ma première impression. Ce n’est pas par le biais de l’analyse qu’on saisi le mieux une œuvre.Dans un débat imaginaire avec H.Miller qui disait que les traductions de ses romans dans d’autreLLs langues n’étaient pas fidèles à son esprit, je lui rétorquais que c’est lui qui ne lisait pas les traductions dans leur esprit ou encore pire c’est lui qui ne se lisait pas comme comme il écrit. Balzac prétendait ecrie une satyre sur sa société , il en a fLait une épopée.

    La lecture est une affaire personnelle. Je l’ai déjà dit: une œuvre si grande soit-elle n’est rien sans le lecteur qui l’a lit. Je n’apprécierais sans doute jamais  »Voyage » comme Kichi. Je crois avoir lu Casse-pipe d’un trait , ce n’est pas son cas, à ce qu’il m’en a dit, si j’ai bonne mémoire. Quant à  »D’un Château l’autre »  »Rigodon » …. J’ai »lu tout Zola : les vingt  »Rougon-Macquart », avec détachement. Je n’oserai pas le comparer à Céline. L’un est un écrivain du consensus , l’autre est à part.

    S ‘agissant de Bagatelle , il ne fallait pas lire ce pamphlet avant d’avoir lu ce que Céline a subit et à quoi il répond. Vous Mister, Sid Lakhdar vous vous renfrogner pour moins que ça. Et quand je dis  » moins » c’est de moi qu’il s’agit. Et encore vous vous êtes un tendre … presque comme moi.

    Je ne voulais pas vous suivre dans votre traque de Sisyphe pour ne pas vous froisser. Car pour moi il évoque la culpabilité et l’échec recommencé. Si je devais le peindre je l’accablerais de remords et de regrets. Il savait pourtant qu’en défiant Rbouba il allait morfler. Il aurait dû écouter Céline qui lui conseillait pourtant de se ranger de leur coté. Alors Rbouba lui ont montré ce que c’est l’inutilité. Je ne sais quel personnage mythologique qui remettais dans la plaie les vers qui le rongeaient.Ma grand mère me rappelait ces seuls vers qu’elle connaissait en arabe:  »kouli ya douda kouli lhemwa 3dhami, khelini ghir lsani bach nqabel moulani ». Il préfère expier que capituler. Quelle prétention ! Céline lui , ne s’y est pas laissé prendre ,il a jeté son rocher.

    Les chemins du doute sont pires que l’autoflagellation. Quand la lucide mauvaise conscience nous pousse vers la sortie, après capitulation, on fait semblant de lui résister. Sinon il faut choisir comme Sadi ou khalida : les deux versions du ratage  complet. Qui d’eux a été lus conséquent ?

    Je ne fais de procès à personne, ni à ce qui ont essayé, ni à ceux qui comme moi n’ont par indifférence ou par lâcheté. Le butindeguerrisme a détruit tout possibilité de voir émerger un Céline chez nous.

    Alors pour sortir de l’humanisme béat sans être totalement misanthrope, pour nous engoncer dans la ma3ma3a , il nous faut un Veau-d’or. Et pour éviter de lui vouer un culte et de nous interroger inutilement sur notre sort et toutes les psalmodies: chopper l’aérophagie pour ne brasser que du vent

  7. Et puisque tu as mentionné le gouffre qui peut exister (il n’existe pas toujours) entre un artiste et son œuvre, connais-tu celui entre B. Traven l’écrivain et l’homme dont l’identité était restée un secret jusqu’après sa mort?
    Même aujourd’hui personne n’est sûr à 100% qui il était réellement, mais sa traductrice mexicaine a déclaré en 1969 que B. Traven venait de mourir, et qu’il avait été son mari depuis je ne sais combien de décennies. L’homme qu’elle a décrit était aux antipodes des personnages de ses romans. Elle a parlé d’un homme conventionnel, qui tenait beaucoup aux bonnes manières et à la morale bourgeoise, qu’il a inculquées de façon stricte et religieuse à ses enfants, ceux de sa femme il me semble. Je dis « il me semble » parce que je ne m’intéresse pas terriblement à la vie privée des artistes que j’aime. Quelques faits et traits de caractère me suffisent.
    Lors du tournage du Trésor de la Sierra Madre en 1948, John Huston a essayé d’inviter B. Traven comme conseiller. Un homme très porté sur les formalités et excessivement sérieux s’est présenté comme étant le représentant de B. Traven. Pendant le tournage il s’est avéré si compétent et si sûr de lui que John Huston a soupçonné que c’était l’écrivain lui-même se faisant passer pour son représentant. Mais il s’est rapidement ravisé : Comment un homme si porté sur les formalités bourgeoises, si dénué de sens de l’humour et appaemment de sentiments quelconques pourrait-il être celui qui a écrit tous ces romans incroyables? Non, ça ne pouvait pas être lui.
    Mais d’après sa traductrice et épouse, c’était en effet bien lui, et il ne jouait pas un rôle devant John Huston, il se comportait bel et bien comme lui-même.

  8. Et moi qui lui vouais un culte secrètement . Tu me l’a apostasié , a yamdakoul,

    Là tu me surprends , je le voyais comme un Che Guevara Allemand, Le dr Jekyll de Céline. Je l’ai porté aux nues aussi haut que Céline, mais je ne connaissais rien de l’homme qui était un mystère pour tous. Dans mon imagination je le voyais comme le contraire de ce que tu en dis. Cela explique t-il le fait qu’il ait préféré l’anonymat? J’ai comme l’impression que question lâcheté et suffisance il n ‘a rien à envier à Céline.

    • Tu peux te consoler en te faisant une raison possible: il avait fui l’Allemagne, où il était recherché pour attentats anarchistes dans sa jeunesse, et il correspondait à ses personnages en arrivant au Mexique, mais quelques années plus tard il a changé de conduite. Peut-être ne voulait il pas compromettre son succès littéraire et financier pour le bien de sa famille, ou peut-être avait-il décidé que son anarchisme ne servirait à rien de toute façon? Qui sait?

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