22 novembre 2024
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Trois créateurs algériens démonétisés du titre bonifiant de Magiciens de la terre

Décidée et préparée dans le cadre emblématico-commémoratif du bicentenaire de la Révolution française, l’exposition Les Magiciens de la terre fut l’événement phare proposant en mai 1989 de placer sur un même pied d’égalité l’ensemble des expressions visuelles de la planète, de réduire la distance entre les productions de l’art contemporain européen et celles maintenues à ses frontières à cause de préjugés dépréciatifs et de persistantes approches ethnocentristes.

Confronté au risque potentiel d’uniformisation ou d’homogénéité de sa pensée dominante, à la banalisation annoncée et généralisée des signes ou encore à la perte d’idéaux mobilisateurs, l’Occident négociait six mois avant la chute du mur séparant les deux Allemagnes (novembre 1989), et la nouvelle vague globalisante qui suivra, le tournant éthique via lequel il accordait plus d’attention à la nature polysémique des sociétés séculaires dites « invisibles », leur concédait des singularités jusque-là insoupçonnées.

Prenant le contre-pied de la vision ethnologique administrée au XİXᶱ siècle, Jean-Hubert Martin, le curateur principal du vaste projet pluriracial et multiethnique souhaitait orchestré en phase avec la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen les conditions d’une altérité du spécifique faisant de Paris l’intersection des échanges postcoloniaux, le patchwork humaniste autorisant la labellisation de peintures et sculptures, d’artefacts et pratiques venus d’Afrique, d’Australie ou d’Océanie. Annihilant la distinction entre cultures populaires et savantes, pays industrialisés et du tiers-monde, il ouvrait un espace non comparatif au sein duquel devaient se côtoyer «  (…) des artistes qui sont, chacun à leur façon, chacun dans leur genre et dans leur domaine, intéressants, créateurs, innovateurs ».

Épaulé par une équipe de missionnaires ou intermédiaires chargés d’investir les contrées reculées où résident des protagonistes éloignés des circuits conventionnels ou des autodidactes non formatés et en rupture avec les circuits habituels des commandes étatiques, l’ancien directeur de la Biennale de Paris (1985) disait à l’époque vouloir tenir compte de leur parcours ou tentatives internes de renouvellement et de diversion.

Focalisée sur les formes de ritualisation de l’art, sa perception cyclique de la spiritualité privilégiait les objets issus d’héritages magico-transcendants. Retrouver le sens du sacré et des émotions mystiques, c’était alors chez lui vouloir opérer le renversement mental indispensable au ressourcement d’une « Vieille Europe » qui s’enracinait à nouveau au cœur de l’humus métaphysique. Le ré-enchantement de l’art occidental ayant dans ce cas précis pour corolaire le transfert de vitalités sédimentées, il s’agissait de s’en remettre à « une pluralité de critères sur un fond de valeur esthétique ».

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Une fois la question de l’Histoire et le mystère de la datation des œuvres évacués, ne restait plus qu’à entériner l’effacement de la distinction catégorielle et l’enrichissement mutuel de 450 médiums réunis comme représentations communes à l’humanité. Ce dessein holistique éliminant les schémas impérialistes et hiérarchiques d’un centre maintenant vis-à-vis des cultures périphériques la division rigoureuse de ses standards et taxinomies, aucune échelle de valeurs ne devait perturber l’entente cordiale instituée du 18 mai au 29 août 1989 entre cinquante hôtes « trempés » dans leur biotope et cinquante homologues occidentaux décontextualisés du prédominant dispositif mental. Pour conforter la notion d’équité ou la vision égalitariste, le commissaire en chef homologuait le principe de désenclavement via le dépassement des catégorisations établies et le reclassement des particularismes régionaux ou endogènes, optait en faveur d’une archéologie intemporelle de l’autre originel et de l’itinéraire personnel d’individus appréhendés comme hors du commun.

En recherche de pures trouvailles, Jean-Hubert Martin écartait les plasticiens du pourtour méditerranéen que ses proches collaborateurs tous terrains ou itinérants jugeaient géographiquement trop proches de l’Europe, donc trop en accointances avec l’empirisme de la culture européenne. Puisque les invités extra-occidentaux devaient ressembler aux « (…) héritiers de pratiques archaïques indemnes de toute contamination occidentale (…) », parmi les laissés pour compte de la session de rattrapage se trouvaient les Algériens Larbi Arezki, Ali Kichou et Denis Martinez.

Semble-t-il trop en vis-à-vis, c’est-à-dire territorialement pas suffisamment décalé, le trio fut victime de l’ignorance d’envoyés spéciaux ayant manifestement éviter le voyage « sur zone », fait à fortiori l’impasse sur la production de toiles, sculptures ou installations appréhendées comme des pastiches au lieu d’être mises en relation dialectique avec les stratigraphies d’une pensée artistique vivant par elle-même, en dehors et en « deçà » des expériences et influences supposées effectives. La notion de mimétisme était d’autant plus à réfuter qu’un processus de réappropriation (d’appartenance et/ou de reconnaissance) s’est manifestement accompli en Algérie à partir de « l’exploration fanonienne », de la séquence de re-singularisation spéculative assurant la récupération des archétypes immémoriaux.

Arezki Kichou, peinture sur toile et tissu.

Apprenant à piocher au plus près des mémoires hypostasiées, quelques grapheurs de l’ « École du Signe » surent ouvrir une brèche dans un substratum qu’exploiteront également des « Aouchemites » confrontés aux relents protectionnistes et assignations à résidence du système de pensée unique. Décidés à desserrer les nœuds gordiens de la sacro-sainte authenticité culturelle, à échapper aux corsetages de ses lancinantes répercutions rhétoriques, d’autres artistes surferont dès la décennie 1980 sur le concept ou paradigme de nomadisme cher à Achille Bonito Oliva, emprunteront l’itinéraire postmoderne du « Retour à » (sur lequel repose le principe des emprunts partagés) avec l’assurance de s’accaparer les effets réparateurs et vivifiants du totémisme, soufisme ou néo-primitivisme.

Bien que l’expérience critique de la seconde hybridation moderniste permettra à Larbi Arezki, Ali Kichou et Denis Martinez de répondre négativement à la question : « (…) est-ce que quiconque d’entre nous voudrait réellement que la porte restât fermée ? », ils subiront cependant la méconnaissance hautaine d’un curateur général qui, ignorant les particularités du terrain algérien, ne retiendra de l’endogène champ pictural qu’une « (…) tendance disposée à concilier la calligraphie traditionnelle avec la peinture de l’École de Paris », c’est-à-dire conditionnée à transposer « de la calligraphie dans la technique de la peinture de chevalet occidentale».

Aussi, révoquera-t-il des expressions teintées de maraboutisme et de primitivisme spiritualiste, des médiums selon lui altérés par des implications engoncées dans le carcan d’une version identito-patrimoniale.

Dépossédé du titre de « Magiciens de la terre », les trois exclus cités subissaient d’emblée les préjugés et assertions d’un planificateur davantage conquis par les intervenants des ex-pays du bloc de l’Est, de l’Australie ou de certains pays d’Afrique, d’Amérique Latine ou d’Extrême Orient, tous appréciés en tant que néo-gisements promotionnels et valeurs émergentes de la transaction économique mondialisée.

L’ailleurs, ce n’était désormais plus le pittoresque loukoum des chimériques odalisques mais le féérique le plus excentré, ce qui se trouvait diamétralement à l’opposé du convenu, c’est-à-dire planté dans l’au-delà exotique. Selon Joëlle Busca, cela attestait encore de « (…) la toute puissance occidentale qui élit ou repousse avec le même arbitraire. ». L’exposition Les Magiciens de la terre ne contribuera donc pas à activer la singularité méditerranéenne de trois plasticiens algériens enfermés dans les coulisses du « hors-jeu » artistique puisque appréhendés comme inauthentiques et pervertis par l’art occidental. Cette « exclusion » maintiendra encore à distance des plasticiens locaux subissant déjà de plein fouet les carcans d’une identité nationale supposée menacée, les allégeances commémoratives inhérentes à l’affectif patriotique ou aux compromis politico-diplomatiques.

Demeurés à la marge de la Grande histoire, ils continueront à végéter dans le hors champ du marché de l’art international parce que la sélection de l’ex-conservateur du Musée océanien et africain de Paris (et de ses commissaires Aline Luque, Mark Francis et André Mangin) n’offrira pas aux locomotives Larbi Arezki, Ali Kichou et Denis Martinez la possibilité de «Participer à la conceptualisation d’instruments théoriques d’analyse et d’appréciation de propositions artistiques. », de s’inscrire au cœur de la constellation d’étoiles susceptibles de refléter « (…) la nouvelle géographie de la création.».

Faute de critiques d’art suffisamment charismatiques pour exercer le pouvoir de controverse en mesure de chambouler ou perturber les raccourcis et aprioris du nouvel ordre des choses, ils n’avaient qu’à prendre acte de la conclusion hâtive d’agents prescripteurs les éliminant de l’extension de l’offre, faisant d’eux les marginaux de la « montée en objectivité.

Vingt-cinq années plus tard (2014), invité par Jack Lang à placer « Le Maroc contemporain » « dans le sceau du préambule de la Constitution marocaine », Jean-Hubert Martin repartait en mission distinctive pour, en compagnie de Moulim El Aroussi et Mohamed Metalsi, « Sillonner le Maroc au plus près des œuvres », pour cette fois ne plus «tomber dans le piège du conventionnel et aller questionner le terrain », pour opérer et initier «une philosophie critique qui refuse d’accepter les idées reçues ».

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

1 COMMENTAIRE

  1. « L’exposition Les Magiciens de la terre ne contribuera donc pas à activer la singularité méditerranéenne de trois plasticiens algériens enfermés dans les coulisses du « hors-jeu » artistique puisque appréhendés comme inauthentiques et pervertis par l’art occidental.

    Ce que je trouve d’injuste/incorrect dans l’appreciation de ou qualification du travail des 3 artistes, ou du moins des 2 Maghrebins est le mot « PERVERTIS PAR l’Art Occidental. » La raison est que le terme « Maghrebin » que j’utilise ici intentionnellement, n’est pas tombe’ du ciel du jour au lendemain.

    Tandis qu’il(terme) indique bien une orientation/location geographique aux Moyen-Orientaux, il expressemment met en relief(amplifie) la DIFFERENCE DE PERCEPTION et d’INTERPRETATION, c.a.d PERSPECTIVE et vision/projection de la chose spirituelle. A titre d’example, la materialisation de la chose divine, c.a.d. Dieu-meme, a ete’ formule’e chez-nous… Dans le fameux « La Cite’ de Dieu », dans le sens « la Demeure/residence »… redige’ a Annaba.

    Je ne suis pas Artiste, mais Mathematicien. Mon monde est aussi voir plus abstrait que celui des peintres et artistes en general – a la difference que les Mathematiciens des realite’s et idees dans l’abstraction/imaginaire totale tandis que les artistes font le chemin inverse.
    Cependant, ce commentaire est celui d’un lecteur lambda dans une publication a tendance politique et parfois politicienne(legere nuance qui ne m’echappe pas). Heureusement d’ailleurs, car meme si le Commissaire/decideur en question ne se pose pas et ne qualifie pas sa decision de politiquement decide’e, je suis d’accord qu’elle l’est influence’e et induite – que se soit reconnu ou pas. C’est aussi atroce voir plus dans le domaine de la chanson, par example. N’echappent a cette miserable misere que les Sciences Exactes/dures, qui requierent de travailler dur et echappent a l’appreciation des molusques,politicards ou MARCHANTs de tapis.

    Ce que je vois ici n’est ni plus ni moins qu’une DESAPPRORIATION et DEVALORISATION, des Personnes Kabyles Specifiquement – Seules qui restent non seulement attache’es a leur heritage authentique, mais se battent pour. Le reste(des nord-Africains) s’accomode bien lhegemonie et defiguration que leur suggerent les Europeens mene’s par les Camemberts. Ce ne sont pas les Arabes, detrompez-vous ! Ceux-la connaissent les 2 de leurs parents et ne les partagent pas. Dans ce sens-la, les orientaux requierent l’accumulations d’epouses et des responsabilite’s envers elles et leurs enfants, tandis que les « occidentaux » c.a.d. les Europeens l’abandon… Vous pouvez considerer que je sors de l’Art et commerce et m’aventure dans la moralite’ etc. Pas du tout, c’est bien le coeur du sujet ici – l’Etique « occidentale » ou plutot Camemberts dans les transactions des Oeuvres Artistiques. Le papier n’est qu’un support, c’aurait pu etre un tapis. Sinbad sur son tapis volant est probablement l’inspiration de l’evenement en question.
    Je suis Kabyle et de parents Kabyles, mais mes travaux sont qualifie’s d’Americains. Seul espace ou ma Kabylite’ peut respirer, en attendant l’Avenement d’un Etat Kabyle Souverain. Les Balestiniens nous y aideront peut-etre… J’en doute.
    Marche ou creve !

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