24 avril 2024
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À propos de la régression du peuple

L’espoir confisqué

À propos de la régression du peuple

Certains soulignent la régression actuelle du peuple algérien, comme étant si grave, qu’ils ne voient que désespoir et résignation. Quelques autres, cependant, tout en la déplorant, apprécient l’effort de chercher des solutions pour retrouver une dignité perdue.

En effet, les périodes de régression des peuples font, jusqu’à aujourd’hui, partie du mouvement alternatif de progression et de recul.

Rappelons un passé récent. Quelques années avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, n’a-t-on pas déploré la régression du peuple algérien, pour écarter toute idée de lutte émancipatrice ? Il était soumis à la domination coloniale, à la croyance aux marabouts, au fatalisme de la présence étrangère (« Dieu nous les a envoyés, alors respectons sa Volonté ! »), au mépris des élites laïques et religieuses, jusqu’au « zaïm » Messali Hadj : il s’était auto-dressé une statue de Sauveur Suprême, en méprisant les cadres et les militants du parti PPA/MTLD (1).

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Pourtant, il a suffi d’une poignée de tout jeunes hommes (27 à 35 ans environ) pour réveiller le peuple de sa résignation, et, quelque temps après, secouer les « élites » de leur soumission coloniale, qui aspirait uniquement à la collaboration avec le système colonial en échange de quelques droits citoyens.

Que pense-t-on, aujourd’hui, en 2017, de ces « élites », sinon ceci : leur défaitisme provenait d’une part, de leur mépris du peuple, et, d’autre part, des privilèges dont ils jouissaient, même si limités ?

Il faut ignorer l’histoire réelle des peuples, donc du peuple algérien, pour s’autoriser à passer de la constatation d’une régression, au déni de voir ce peuple reprendre sa dignité. Depuis la révolte des esclaves de Spartacus aux révolutions française (1789) et russe (1917), jusqu’aux guerres de libération vietnamienne, chinoise, algérienne et autres, n’a-t-on pas, en général, vu les « élites » (bourgeoises et petite-bourgeoises) évoquer la situation « arriérée » du peuple pour conclure à son impossibilité de s’en affranchir, et donc, pour ces « élites », à s’accommoder de leur situation de privilégiés, plus ou moins collaborant avec la caste dominante ?

Et, durant la dictature militaire en Algérie, n’a-t-on pas eu la majorité de l’ « élite » politique (P.A.G.S.) et intellectuelle (qui lui était sympathisante) accorder à cette dictature un « soutien critique », en la présentant comme « progressiste » ? En dépit de la police politique sévissant contre les démocrates, des massacres de l’armée contre les moudjahidines pour la démocratie (F.F.S.), de l’établissement d’un capitalisme d’État masqué en « socialisme spécifique », d’une arabisation-islamisation arbitraires, d’un déni total aux droits culturels et linguistiques du peuple amazighe. Alors, le peuple était-il moins en « régression » ?

Oui, pour les petits-bourgeois dansant le twist, pour les partisans du « soutien critique », pour ceux qui bénéficiaient des subventions de la « Présidence » pour augmenter leur gloire médiatique. Ils vantaient notamment Alger comme « Mecque de la révolution ». Pourtant, les authentiques révolutionnaires algériens (F.F.S., P.R.S. ou autres), eux, étaient pourchassés, emprisonnés, torturés et assassinés, sinon contraints à l’exil ; et même là, assassinés (Mohamed Khider, Krim Belkacem).

Quant au peuple, stupéfait mais impuissant, il se contentait de murmurer : « L’ichtirakyâ ?… L’automobile lîke, wal hmâr lyâ » (Le socialisme ?… L’automobile pour toi, et l’âne pour moi »). Mais ne pouvait pas montrer mieux sa révolte. Même plus grave. Qui ne se souvient combien, durant la dictature, tout membre de l’armée ou de la police, même simple soldat ou simple flic, exerçait sa propre « loi », terrorisait à sa guise les citoyens, qui n’avaient aucun recourt ?

Alors, le peuple était soumis non seulement à la terreur de l’arbitraire, mais également à un double matraquage idéologique : celui du « socialisme » étatique, et, déjà, – oui, déjà -, de l’obscurantisme religieux.

Les résistances populaires (grèves dans les entreprises, révoltes à la campagne) étaient réprimées avec une extrême violence. Elles n’étaient connues que par les tracts des partis clandestins d’opposition ou de bouche à oreille entre membres de la famille ou des amis.

Le peuple d’alors était-il dans une situation meilleure qu’aujourd’hui ?

Ceux qui l’affirment avancent ces arguments : la « décennie noire » aurait glacé tout esprit de contestation populaire, les jeunes émigrés préférant se noyer dans la mer ou quitter le pays de manière légale, l’aggravation du conditionnement idéologique religieux, etc..

Que dire, alors, des faits suivants ?

Par rapport au passé, aujourd’hui, les grèves et les révoltes, leur réussite ou leur répression sont connues, grâce aux moyens d’information alternative, même si minoritaires. Des associations citoyennes et des partis d’opposition existent, malgré les limites imposées par la caste dominante. Elle fut contrainte à accepter cette relative démocratisation sous la pression de révoltes populaires, dont la première fut celle d’octobre 1988. Les élections, bien que truquées, comme au temps de la dictature, ne sont plus présentées à 99 %, mais un peu plus modestes, car la caste au pouvoir n’a plus la force des trop gros mensonges, parce qu’elle a perdu sa crédibilité auprès du peuple.

Certes, l’obscurantisme a augmenté, aggravant l’aliénation servile des esprits. Il n’est pas uniquement de type religieux. Celui-ci est simplement le plus spectaculaire. Il faut également ajouter la crétinisation médiatique, celle des télévisions, d’un certain type de chansons rai dégénéré, et d’une vulgaire folklorisation de la culture.

Mais tout ce matraquage, pourquoi, sinon pour conjurer une possible révolte populaire ?… Par conséquent, les membres de la caste dominante (qui ont leurs efficients services d’information) savent que ce peuple n’est pas si aliéné et résigné. Ils ont assez de connaissance pour comprendre que les « petites » révoltes populaires (inaugurées par celle d’octobre 1988) sont des « exercices d’entraînement » susceptibles de se transformer en une explosion populaire générale incontrôlable.

N’est-ce pas pour la conjurer qu’ont été concédées une Constitution et des lois qui ont l’air démocratique ?

Alors, tous ces faits autorisent-ils à ne voir dans le peuple algérien qu’un ramassis de résignés et de tarés, desquels on ne peut que désespérer ?

Certes, il est vrai que le merveilleux élan qui a porté à la guerre de libération nationale a été odieusement stoppé par les chars de l’armée des (hors) frontières. Et que les chefs de cette armée sont les responsables des tragiques événements qui ont suivi, jusqu’à la « décennie sanglante », jusqu’à l’obscurantisme actuel. Croire que la situation algérienne et le peuple algérien se sont détériorés uniquement à présent, et seulement après la disparition du chef de la dictature militaire, c’est voir très court le déroulement socio-historique, de manière subjective et limitée par des préjugés personnels.

La régression du peuple algérien a commencé exactement quand les chars de l’armée des (hors) frontières a massacré des combattants de l’Armée de Libération Nationale, combattants soulignons-le, de l’intérieur, des maquis. D’une part, ces moudjahidines démocrates n’ont pas pu résister à une armée extérieure matériellement suréquipée et disposant de plus de soldats. D’autre part, le peuple, excessivement traumatisé par les années de guerre, et pas suffisamment conscient, a crié (j’y étais) « Sept ans, ça suffit ! ».

Erreur stratégique !… Il fallait continuer la lutte, devenue, hélas !, non plus contre les colonialistes étrangers, mais contre les nouveaux maîtres indigènes. Si, comme en Espagne, la guerre de libération nationale avait pu se transformer, devant le putsch militaire, d’essence fasciste (quoique se présentant comme « révolutionnaire »), en guerre pour la démocratie, alors, oui, le peuple n’aurait pas connu la dictature et ses conséquences, jusqu’à aujourd’hui. Voilà donc où a commencé la régression du peuple algérien : durant l’été 1962. Et elle n’a fait qu’empirer, puisque la dictature a vaincu, et a utilisé, pour se maintenir, non seulement le « socialisme » de façade, mais, également (certains l’ignorent ou l’occultent), le commencement de l’arabo-islamisation de type fasciste.

Alors, est-il correct de parler de régression uniquement actuelle du peuple ?… N’est-il pas plus conforme à la réalité de constater que ce peuple, aujourd’hui, commence à se reprendre, malgré tout ? Sinon, comment interpréter l’abstention massive aux élections, les révoltes par-ci, par-là, les associations et les partis politiques qui luttent (malgré toutes les limitations arbitraires), les moyens d’information qui combattent pour dire la vérité et soutenir les luttes populaires, les femmes qui revendiquent leurs droits, les jeunes qui choisissent de rester dans le pays et lutter, les parties du peuple qui revendiquent leurs droits culturels et linguistiques, etc. ? Et si les obscurantistes religieux redeviennent agressifs, est-ce uniquement parce qu’ils se sentent le vent en poupe, ou, au contraire, parce qu’ils se voient en perte de vitesse, entre autre à cause du risque d’abandon du wahhabisme par la « centrale » saoudite qui le finançait et le diffusait ?

Que conclure à propos de la régression actuelle du peuple algérien ?

Qu’il faut veiller à ne pas se limiter aux apparences et aux détails, mais à l’essentiel, en le plaçant dans la perspective socio-historique qui est la sienne. Pour y parvenir, ne jamais, ne jamais mépriser le peuple, mais le respecter, quelle que soit sa condition de régression. Au lieu de mépris, trouver le moyen, selon les propres possibilités, d’aider ce peuple à reconquérir sa liberté et sa dignité. Parce qu’elles seront les nôtres, à chacun de nous, que nous soyons à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

Une chose est à affirmer clairement. La personne qui, se basant sur son personnel niveau de conscience et de connaissance, méprise le peuple à cause de ses carences, cette personne ressemble à celle qui se crache dans sa propre figure, sans se rendre compte. En effet, si une conscience et une connaissance authentiques existent, elles devraient enseigner que les carences du peuple sont causées par ses dominateurs, que le peuple vit dans des conditions matérielles si écrasantes et spirituelles si aliénantes, qu’il lui est impossible de s’affranchir de cette situation par lui-même. Pour y parvenir, il a besoin, précisément, des gens disposant de conscience citoyenne et de connaissance réelle. Si ces gens se limitent à mépriser le peuple, en réalité, ils méprisent les carences de leurs propres conscience et connaissance. En effet, quelle est la valeur d’une conscience et d’une connaissance qui sont incapables de se rendre utile à ceux qui en manquent ?… Cette situation ressemble au renard qui, ne parvenant pas à s’élever pour attraper des grappes de raisin suspendus à une hauteur trop élevée, affirme hypocritement que le raisin est encore trop vert. De même, les gens qui, au nom de leur conscience et connaissance, déclarent le peuple incapable de progrès, ou, pis encore, ne « mérite » pas d’être aidé, sont dans la situation du renard. En réalité, c’est l’insuffisance de leurs conscience et connaissance qui explique leur mépris vis-à-vis du peuple. Quelle inconscience et quelle méconnaissance !… Qu’elles viennent des adversaires et des faux amis du peuple, c’est normal. Mais pourquoi les personnes qui se déclarent sincèrement des amies du peuple se permettent de le mépriser ? Au lieu de chercher comment l’aider à sortir de la situation dans laquelle il se trouve ?

Rappelons-nous : c’est le dominateur qui, pour écraser définitivement le dominé, le met dans une situation de médiocrité et de régression, jusqu’à le porter à l’auto-mépris. Dès lors, toute personne qui, de bonne foi et par dépit sincère, méprise le peuple tombe dans le piège tendu par les dominateurs de ce peuple.

Que les pessimistes et les désespérés (de bonne foi) méditent ces propos :

« Il est vrai aussi que ceux qui ont cru que nous pouvions tenir longtemps tête à l’armée française ou même la vaincre, ont été rares. (…) « Vaincre la quatrième puissance mondiale avec vos haillons et vos vieilles pétoires du siècle dernier… Jamais ! »… » (2)

Aujourd’hui, aussi, peu de personnes croient que les « haillons » (régression) idéologiques du peuple, et les « vieilles pétoires » (ses rares amis sincères) ne vaincront pas la « puissance » du régime actuellement dominant. Mais où est la preuve convaincante qu’un groupe résolu d’Algériens et Algériennes ne naîtra pas, pour remettre en marche le peuple, cette fois-ci de manière non violente mais pacifique et non autoritaire mais démocratique, pour mener le combat complémentaire à la libération nationale, qui est l’émancipation sociale ? Cette naissance dépend également de chacune et de chacun de nous, et nous en serons également les bénéficiaires.

K. N.

Email : kad-n@email.com

Notes

(1) Voir Yaha Abdelhafidh, « Ma guerre d’Algérie », Mémoires recueillis par Hamid Arab, Riveneuve éditions 2012.

(2) Idem.

Auteur
Kadour Naïmi

 




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