12 décembre 2024
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A quoi sert de rapiécer les pieds si la tête est ravagée ?

La question pourrait paraître déplacée, mais elle fait écho à une réalité qui dépasse les limites du simple bon sens : à quoi bon réparer les symptômes d’une maladie si la racine du mal demeure intouchée ?

Dans le cas de l’Algérie, la maladie a un nom : un système étatique qui s’est mis en place en dehors de toute réelle considération pour les besoins fondamentaux de la société. Le rapiéçage des pieds, dans ce contexte, c’est cette obsession à « réformer » des secteurs économiques, sociaux, voire politiques, sans jamais s’attaquer au cancer qui ronge le corps de l’État : un pouvoir déconnecté, autoritaire et clientéliste .

Prenons un instant pour revenir sur ce qu’on appelle le « projet de développement » dans ce pays. L’ambition affichée de bâtir un modèle de société à partir des revenus pétroliers, en construisant un État fort, à l’image de ce qu’on souhaite en faire, semble une belle utopie – mais comme souvent, la réalité est bien plus nuancée. , voire cynique. L’idée même de « modernisation » imposée par l’État, sans recours à l’exploitation capitaliste des populations, est aussi fantaisiste que de chercher à revendiquer une cure d’austérité dans un buffet à volonté.

Que reste-t-il dans cette vision ? Un système pyramidal où, au sommet, des dirigeants en apparence bénis par la grâce divine, sont présentés comme dépositaires de la conscience nationale. Un héritage du FLN où la question de la légitimité est tellement verrouillée qu’elle devient presque un acte de rébellion que de la remettre en cause. L’élite est parée de toutes les vertus : compétence économique, intégrité morale, stabilité de l’État… Mais tout cela, comme un mirage, est en réalité bien fragile. Les luttes internes ne sont pas des confrontations d’idées mais des affrontements de clans, de barons du pouvoir qui ne recourent à aucune forme de débat scientifique pour légitimer leurs décisions. La science, cette vieille amie de la vérité, est absente.

Dans cette quête de stabilité et de « modernité », l’État, tel un geôlier, a créé une société apathique, sans pouvoir d’action, où l’individu, privé d’initiative, attend passivement que le pouvoir lui dicte sa vision. de l’avenir. Le résultat ? L’argent facile des pétrodollars, qui gonfle les poches de l’élite et crée une société de rente où les efforts productifs sont non seulement inexistants, mais décriés. Le peuple est nourri, mais n’a rien à dire. C’est un peu comme si, pour éviter la famine, on nourrissait tout le monde avec des pommes empoisonnées.

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Mais attention, tout n’est pas aussi stable que cela. L’apathie n’est pas une forme d’acceptation docile ; elle est la graine de l’agitation. L’absence de légitimité du pouvoir est de plus en plus évidente. Les illusions nationalistes se dissipent, et avec elles, le mythe d’une « nation unie » sous la direction de ceux qui, aujourd’hui, semblent être les héritiers de l’histoire mais non ses garants. Les « héros » sont fatigués, vieillis, ou carrément disparus. En face d’eux, une jeunesse désabusée, qui se voit dans un miroir brisé, dont les attentes sont renvoyées à la case départ, cette case où l’espoir se mêle à la colère.

Dans cette jungle où règne la logique du patronage et de la consommation ostentatoire, où la « caverne d’Ali Baba » des ressources publiques est pillée par ceux qui ont les clés de l’État, la violence, sous ses multiples formes, s’ imposer comme mode de gouvernance. Comme souvent dans les régimes où l’on manque de vision, la violence devient l’outil de gestion. Mais, après tout, la violence a une étrange façon de légitimer le pouvoir. C’est comme si, plus le chaos est maîtrisé, plus l’image de l’autorité s’en trouve renforcée.

Mais pourquoi persister dans cette voie ? Pourquoi cette fuite en avant ? L’économie, l’ordre social, la paix civile… tout cela ne pourrait-il être atteint autrement que par le recours à la violence et à la répression ? Pourtant, il existe d’autres façons de gouverner qui ne reposent pas sur une militarisation de la politique et de la société. Le Hirak, ce mouvement populaire né d’un ras-le-bol généralisé, en est un exemple. Il montre que, même dans un climat de contestation violente, la voie de la paix reste ouverte. Le peuple, dans son désir de changement, n’est pas un ennemi à écraser, mais un allié potentiel à comprendre et à intégrer dans le processus de réconciliation.

L’État, tel un vieux lion sur sa colline, tente de rugir pour maintenir son autorité, mais ses rugissements sont désormais écoutés à moitié. Dans cette danse politique, ce n’est pas la violence qui doit triompher, mais la réflexion. Si la tête est ravagée, rapiécer les pieds ne servent à rien. La vraie question est de savoir comment réparer cette tête, cette gouvernance, avant qu’elle ne fasse de l’ensemble du corps social un cadavre ambulant. Il est peut-être temps de réfléchir à ce changement de direction, comme le dit l’auteur : « Si notre tête est ronde comme la terre et non linéaire comme le marteau, c’est pour pouvoir changer de direction. »

Changer de direction avant que le train ne déraille, car si l’on continue à fuir la réalité, le coup fatal pourrait venir de l’intérieur. Et là, il ne restera plus qu’un champ de ruines.

La question qui se pose alors, avec une urgence presque palpable, est la suivante : à quoi sert cette quête incessante de légitimité si la substance de l’État se résume à une façade de discours et d’apparences ? À quoi bon sacrifier la vitalité d’une nation pour maintenir le décor d’un pouvoir qui se nourrit de l’illusion de sa propre grandeur ?

L’État, dans sa forme néo-patrimoniale, a fondé sa légitimité non pas sur l’efficacité ou l’engagement envers le peuple, mais sur le contrôle absolu des ressources, en particulier les hydrocarbures, et la capacité de distribuer des miettes de Prospérer à une poignée d’élites qui, loin de chercher à répondre aux besoins réels de la population, se contente d’enregistrer des bénéfices personnels.

Dans cette logique, le concept même de développement devient une blague tragique, un outil de manipulation plutôt qu’un projet de transformation. Un projet censé sortir l’Algérie de la spirale du sous-développement ne peut réussir que si l’État cesse d’être son propre principal bénéficiaire. Le problème fondamental réside dans cette séparation presque absurde entre le pouvoir et la société. L’État, qui se veut le promoteur du progrès, se construit sur l’effacement de la société civile et l’atomisation de ses forces vives. Comment peut-on prétendre moderniser un pays si l’on ignore les besoins et les aspirations des individus qui le composent ? Les discours d’intégration, de cohésion et de stabilité ne sont que des slogans vides, des mantras destinés à occulter la réalité de l’exclusion, de la violence symbolique et de l’immobilisme social.

Il est peut-être temps de remettre les pendules à l’heure et d’admettre que l’absence de débats et de critiques ne fait qu’envenimer la situation. L’apathie qui a envahi la société algérienne n’est pas le fruit d’une acceptation tacite, mais bien celui d’une systématisation de l’intolérance à la contestation.

En étouffant les voix dissidentes, l’État a tué l’esprit critique et, avec lui, la possibilité de construire un véritable projet commun. Les « intellectuels » et les élites qui se sont laissées coopérer par le pouvoir n’ont pas fait mieux : en devenant des instruments dociles de la machine étatique, ils ont trahi leur rôle de penseurs et d’éveilleurs de consciences.

Plutôt que de s’interroger sur le sens profond de l’existence de cet État, ils en ont fait le prolongement de leur propre carrière. La critique et la réflexion ne sont jamais allées au-delà des jeux de pouvoir, des intrigues qui nourrissent la guerre des clans.

À force de jouer à ce jeu dangereux, le pouvoir a oublié l’essentiel : l’Algérie ne peut se construire sans une société forte, impliquée, consciente de ses responsabilités. L’État, en s’imposant comme un acteur exclusif du développement, a fait l’impasse sur la création d’une véritable société civile et d’un ordre économique viable. Il n’a pas cherché à développer un système qui permette à ses citoyens de se prendre en charge, de s’émanciper, de créer un environnement propice à l’innovation et à l’initiative individuelle.

Le paradoxe est que l’un des leviers les plus importants pour réformer l’État et revitaliser la société réside dans la rupture avec ce modèle de dépendance à l’État et de rejet de l’initiative populaire.

Le Hirak a montré que la contestation, même portée par une jeunesse désillusionnée, n’est pas une fin en soi, mais un appel à un changement de paradigme. Ce n’est pas la lutte contre l’État qui est l’enjeu, mais la lutte pour un autre modèle d’État, un modèle qui cesse d’imposer la violence comme mode de gouvernance, et qui commence à réellement prendre en compte. les aspirations de la société.

La violence, au fond, n’est que l’ultime réponse d’un pouvoir qui refuse de se remettre en question, qui cherche à préserver ses privilèges au détriment du bien commun. Mais il est évident qu’à long terme, une politique de violence ne fait qu’alimenter la révolte, elle ne crée aucune légitimité véritable. Loin d’être une solution, elle est le symptôme de l’impuissance de ceux qui prétendent diriger sans comprendre le monde dans lequel ils évoluent.

Ce qui devient urgent, ce n’est pas seulement de cesser de « rapiécer les pieds », mais d’ouvrir les yeux sur la tête du système. La tête ravagée, la société dans sa globalité est condamnée à l’inaction.

La vraie question qui doit être posée est celle de savoir comment reconstruire cette tête, comment remettre les idées en place, comment réinventer une politique qui ne soit pas l’apanage d’une élite coupée du peuple, mais bien une réflexion collective, une refonte du rapport entre le politique et le social. Il s’agit de passer de l’État autoritaire à un État véritablement démocratique, qui respecte les libertés, les droits et les aspirations des citoyens.

La démocratie ne se donne pas par décret, elle se construit lentement, sur le respect de la diversité des opinions et la mise en place d’institutions capables de canaliser cette pluralité dans un cadre constructif.

Un projet de société ne peut pas être imposé de manière autoritaire ; il doit naître d’un consensus, d’un débat sincère, d’un engagement populaire.

Les élites, celles qui se sont longtemps crues à l’abri, doivent comprendre que leur légitimité ne se maintientdra plus avec des promesses vaines et des discours creux. Elles doivent faire face à la réalité : le changement est inévitable. Et si elles n’arrivent pas à saisir cette opportunité, elles risquent bien de se retrouver sur le bas-côté de l’Histoire, balayées par la même force populaire qui les a un jour portées au pouvoir.

Le temps est venu de changer de direction.

En conclusion, la véritable question qui se pose à l’Algérie, et à son État post-colonial, n’est pas de savoir s’il faut continuer à rapiécer les pieds tout en négligeant la tête, mais plutôt si l’on veut continuer à avancer dans l’illusion d’un développement imposé par une élite autoritaire, ou si l’on choisit de restaurer la tête, d’entamer une profonde réflexion collective et de reconstruire un modèle de gouvernance véritablement démocratique et inclusif. La contestation grandiose, incarnée par le Hirak, n’est pas seulement un rejet du statu quo ; c’est un appel à repenser le lien entre l’État et la société. Une société émancipée, capable de se nourrir de ses propres ressources intellectuelles et humaines, est la seule voie qui permettra de sortir de la spirale de la violence et de l’impasse.

C’est à travers une remise en cause radicale du pouvoir, une décentralisation de l’autorité et un renouveau du débat intellectuel et politique que l’Algérie pourra se relever de ses contradictions historiques. Le temps des illusions est révolu.

L’avenir de la nation ne peut plus reposer sur les seuls discours d’un État autoritaire et déconnecté. Il doit s’appuyer sur une société consciente de ses droits et de ses responsabilités, prête à investir dans un projet de développement véritablement inclusif. Car, finalement, « rapiécer les pieds » sans soigner la tête, c’est condamner la société à la perpétuelle immobile. L’Algérie doit choisir de changer de direction, avant que la machine ne se saisisse définitivement.

« Tant que l’État ne reconnaît pas que la société est son fondement, il ne pourra jamais être autre chose qu’une tour de verre prête à se briser sous le poids de ses illusions. » Cette citation illustre la nécessité de construire une gouvernance véritablement enracinée dans la société, et non pas imposée d’en haut, sans lien avec les aspirations réelles du peuple.

Dr A. Boumezrag

(*) le titre est une citation de Hawad

2 Commentaires

  1. Comment peut on rapiécé quoi que ce soit, quand l’édifice est bâti sur du sable.
    Falsification de l’histoire, remplacer les racines du peuple par des racines importées, imposer une langue importée, imposer une religion coûte que coûte.
    Comment voulez vous que ce mélange puisse un jour faire sens et faire nation?
    Malheureusement rien ne changera jamais, car une junte va succéder à une autre jusqu’à l’implosion totale.
    Une économie moribonde, des slogans creux, la braderie des bijoux de famille,aux Chinois, Russes et autres vautour. Malheureusement un vent mauvais souffle sur ce pays, et apparemment tout les Ânejiriens aiment et sont contents de 3amhoum teboune. Donc bon vent.

  2. Un dicton kabyle dit « Aḍelaa iwumi yekkes lqaa, acu ad as d eggen ifasen ? » (A quoi servent les anses à un couffin qui n’a plus son fond) ?). L’Algérie n’a plus de fond en effet.

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