Alain Barbero est un photographe français dont l’approche conjugue contemplation et humanisme. Son travail s’ancre dans une quête visuelle de la mémoire des lieux, de la trace imperceptible et du silence qui habite les espaces. Formé aux arts visuels, il façonne depuis plusieurs années une œuvre qui oscille entre documentaire et poésie visuelle, explorant les territoires délaissés : marges urbaines, sites oubliés, friches silencieuses. Sous son regard, ces lieux deviennent des témoins en suspens, des fragments d’histoire qui s’effacent lentement mais conservent une présence vibrante.
Barbero porte une attention particulière aux interstices du réel — ces espaces que l’on traverse sans vraiment les voir, mais qui conservent une charge émotionnelle et une mémoire enfouie. Sa photographie ne cherche pas le spectaculaire, mais capte l’écho discret d’une présence absente. Dans ses séries, les bâtiments désertés, les terrains vagues ou les bords de ville révèlent une beauté sobre et mélancolique. Son exigence formelle se traduit par un cadre précis, une lumière mesurée et un temps suspendu, donnant à ses images une intensité silencieuse qui invite à l’introspection.
Par ce prisme, Alain Barbero interroge notre rapport au temps, à l’oubli et à la disparition. Ses photographies sont autant de fragments d’un monde en mutation, où chaque image devient le témoin fragile d’une transformation. À travers elles, il explore la trace humaine sous ses formes les plus subtiles, saisissant la fin d’un cycle ou l’attente d’un renouveau.
Son travail est régulièrement exposé dans des festivals et galeries, et il développe également une œuvre éditoriale à travers des publications où texte et image s’entrelacent pour construire des récits immersifs. Son univers et ses projets sont à découvrir plus en détail sur son site web ici.
Mais plus qu’un photographe de l’abandon, Barbero est un révélateur d’atmosphères. Il capte ce que le regard distrait ne remarque plus : les empreintes du temps, les failles de l’espace, la poésie fragile de ce qui s’efface.
Parallèlement à son travail photographique, Alain Barbero coanime le blog Café Entropy avec l’écrivaine autrichienne Barbara Rieger. Ce projet bilingue (français & allemand) conjugue littérature et photographie, mettant en lumière l’échange entre auteurs et espaces publics.
Chaque mois, le blog publie un portrait d’écrivain dans un café emblématique — à Paris, Lausanne, Londres ou Neuchâtel. Le décor devient un élément narratif où le comptoir, les fauteuils et les lumières tamisées façonnent une mise en scène intime. Barbero orchestre ces instants à travers ses photographies, où le dialogue entre l’écrivain et son environnement compose une mémoire visuelle du lieu et du moment.
Cette dynamique a donné naissance en 2017 au livre Melange der Poesie, réunissant portraits et textes de 57 écrivains dans 55 cafés viennois. Une œuvre qui prolonge le blog en un objet imprimé et tisse une mémoire collective café-culturelle.
Café Entropy ne se limite pas au numérique : il se décline en événements, soirées littéraires et expositions, comme la présentation du livre à Paris (2019, Café Otto, XVIIIᵉ), mêlant lectures, échanges et rencontres. En 2025, le blog célèbre ses 10 ans avec une série d’événements littéraires et gourmands en Suisse et en France.
Alain Barbero possède également un site web, où il présente son travail photographique et ses projets artistiques. Son site met en avant ses séries d’images, son approche esthétique et sa démarche autour de la mémoire des lieux et du silence visuel. Il y partage également des informations sur ses expositions, ses collaborations éditoriales et son blog Café Entropy, qui explore le lien entre photographie et littérature.
À travers ce projet, Barbero inscrit la photographie dans un dialogue vivant avec la littérature, l’espace public et l’art de la rencontre. Son regard se pose sur les visages, les récits oraux et l’atmosphère des lieux, prolongeant naturellement sa démarche artistique vers une photographie à plusieurs voix.
Dans cet entretien, Alain Barbero partage son regard sur les lieux oubliés, le silence et la photographie comme trace sensible du réel. Entre mémoire intime et errance urbaine, il nous invite à plonger dans un univers où chaque image porte en elle un fragment suspendu d’humanité.
Le Matin d’Algérie : Votre travail semble empreint d’une grande mélancolie et d’un rapport intime au temps. Comment choisissez-vous les lieux que vous photographiez ?
Alain Barbero : Mes photos, surtout celles des cafés, semblent avoir été prises à une autre époque, et mon travail sur les ombres et les lumières accentue l’aspect nostalgique. Je choisis des lieux qui laissent une grande place à l’évocation, un espace où je peux re-créer une image, écrire une histoire. Je me suis toujours attaché à styliser et épurer pour donner une impression d’intemporalité et d’immobilité, quelques clichés de cafés viennois montrent d’ailleurs des horloges murales arrêtées.
Comme le dit le photographe Ansel Adams : « Vous ne prenez pas une photographie, vous la créez. »
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous attire dans les espaces abandonnés ou en transition ? Est-ce une manière de faire parler le silence ?
Alain Barbero : Ces espaces à l’abandon, désertés, me séduisent particulièrement par leur théâtralisation. Mes séries allemandes, autour des usines désafectées de la Ruhr, ou des plages désolées d’Usedom, ou encore d’une rue commerçante vide à Bielefeld suggèrent une certaine dramaturgie. Ces images invitent d’abord à la contemplation, puis à l’interrogation d’un passé oublié ou d’un avenir incertain. En tout cas, oui, cette vacuité, ce silence, laisse toute latitude à l’imaginaire.
Le Matin d’Algérie : Vos photographies ont souvent une grande sobriété formelle. Quelle place accordez-vous à la composition et à la lumière dans votre processus de création ?
Alain Barbero : Je me suis beaucoup inspiré du style épuré de la photographie publicitaire et de mode des années 30, avec ses compositions élaborées inspirées du constructivisme, et ses modèles très élégants parfois héroïsés. Je recherche le dépouillement esthétique, je m’appuie sur la géométrie des lignes, je joue des ombres et des lumières. La composition de la photo est pour moi essentielle : je prends soin du cadrage, des lignes de fuite, je me risque parfois à des angles de prises de vues à la manière d’un Orson Welles. Ensuite, c’est le précieux moment du post-traitement, comme du temps de l’argentique, où je poursuis mon travail sur les ombres et la lumière, c’est là que je peux apporter toute la charge dramatique voulue, les ombres mettent parfois quelque chose en lumière.
Le Matin d’Algérie : Peut-on dire que votre travail constitue une forme d’archéologie visuelle ou de mémoire collective ?
Alain Barbero : Oui, je pense que le projet Café Entropy raconte un peu du patrimoine culturel à travers les rencontres d’artistes dans des lieux chargés d’histoire que sont les cafés.
Le Matin d’Algérie : Comment percevez-vous l’évolution de la photographie contemporaine à l’ère du numérique et des réseaux sociaux ? Votre approche semble à contre-courant.
Alain Barbero : Le numérique a rendu la photographie plus accessible et plus créative. Elle a développé de nouvelles possibilités en termes de capture, et surtout de traitement. C’est principalement sur ce dernier point, le post-traitement, que je me suis approprié l’outil numérique, les produits chimiques de développement et de tirage photos noir et blanc devenaient inaccessibles. Mais je ne trahis guère mes origines car tout mon traitement numérique s’attache à redonner à mes photos l’aspect d’un traitement argentique. De quoi renforcer la nostalgie de mes images.
En revanche l’outil numérique n’est pas du tout sollicité dans la part créative de ma démarche photographique, peut-être suis-je là à contre-courant.
Beaucoup de jeunes qui se lancent dans la photographie aujourd’hui, veulent redécouvrir le développement et le tirage noir et blanc, ce retour à l’argentique est une manière de redevenir l’artisan du processus de révélation de la photo.
Si l’accessibilité, la simplification technique invitent plus de personnes à photographier, elles ne se revendiquent pas pour autant artistes, elles veulent tout simplement « prendre », et non « faire » des photos. En aucun cas cette massification ne doit être perçue comme une destitution de la photographie de son statut d’art. Il y a plutôt une diversification des formes artistiques, liée à cette « démocratisation » de l’acte photographique, il suffit de voir les nombreuses expositions.
Le Matin d’Algérie : Le blog Café Entropy, que vous coanimez avec l’écrivaine Barbara Rieger, propose une rencontre singulière entre photographie, littérature et lieux de sociabilité. Comment cette collaboration est-elle née, et en quoi le café, à la fois lieu physique et symbole, nourrit-il votre démarche artistique ?
Alain Barbero : Cette collaboration avec Barbara Rieger a débuté à Vienne en 2013 et est née d’une rencontre d’un élève avec sa prof d’allemand, d’un photographe avec une écrivaine, d’un français avec une autrichienne. Au cours d’une leçon d’allemand Barbara a eu l’idée d’un livre qui puisse lier photographie et littérature dans le cadre des cafés viennois. Ainsi est né il y a bientôt 12 ans le blog photo-littéraire bilingue Café Entropy qui met en scène un ou une auteur(e) dans son café : une photo noir et blanc, avec un texte, une interview et une biographie de l’auteur. De ce blog ont été publiés deux livres en Autriche : Melange der Poesie (Ed. Kremayr & Scheriau, 2017) et Kinder der Poesie (Ed. Kremayr & Scheriau, 2019). Il poursuit toujours sa route à la rencontre de poètes, romanciers, journalistes, historiens et essayistes dans des cafés, bistrots et brasseries, dans toute l’Europe.
Ce lieu de convivialité est donc devenu pour moi le lieu de mes mises en scène d’auteur(e)s, dans un décor qui leur est familier. Le café raconte une part de leur histoire, fait partie du patrimoine culturel et a une valeur symbolique dans l’histoire de la littérature.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous un projet ou un lieu rêvé que vous n’avez pas encore eu l’occasion de photographier ?
Alain Barbero : Un lieu, je ne sais pas, ce sont plutôt des personnes que j’aimerais rencontrer et mettre en lumière dans mon noir et blanc. Je veux parler des hommes et des femmes qui, face au monde en dérive, s’engagent dans des missions, des luttes, que ce soit dans le champ de l’environnement, du social ou du politique, pour changer les choses. Il s’agit de journalistes, chercheurs, militants, activistes.
Je commence d’ailleurs à en inviter sur Café Entropy, mon rêve serait de faire un livre avec eux, pour répondre au fameux « Que faire ? ».
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être
Alain Barbero : Je le laisse volontiers au photographe Andri Cauldwell : « Voir en couleur est un plaisir pour l’œil, mais voir en noir et blanc est un plaisir pour l’âme. »
Entretien réalisé par Brahim Saci