Alexandra Cretté fait partie de ces auteurs qui fascinent par leur parcours et leur façon d’être. La poésie a toujours été là comme la plus fidèle amie, accompagnant chaque pas, chaque souffle. Elle a attendu la pleine maturité pour publier, sans rien bousculer, attendant le moment, son moment.
Les yeux d’Alexandra Cretté brillent de générosité avec le regard de l’humilité. Elle est le poète du partage semant l’amour pour rendre meilleurs les jours.
Elle est née et a grandi à Aubervilliers en Seine-Saint Denis, cette ville ouvrière et d’immigration, une enfance des plus modestes, elle fut la première de sa famille à décrocher le BAC (Le baccalauréat).
« Mon enfance fut solitaire, je n´ai ni sœur, ni frère, ni oncle, ni tante, ni cousin, ni cousine». Ces mots résonnent dans l’espace-temps, mais l’enfance fut heureuse dans cet HLM, très aimée par sa famille.
Après une classe préparatoire littéraire, elle obtient un Master de philosophie politique à la Sorbonne, Paris IV, sur le concept d’amitié chez Aristote, le lien entre son éthique et sa politique dans, L’éthique à Nicomaque, la question du rapport entre éthique et politique. Pour Aristote, l’éthique est avant tout une sagesse de l’homme qui se détermine dans l’action, L’éthique à Nicomaque, est un cours sur la morale, Aristote dit « Le bien certes est désirable quand il intéresse un individu pris à part, mais son caractère est plus beau et plus divin quand il s’applique à un peuple et à des États entiers. »
Déjà tant d’interrogations qui bousculent les certitudes, Alexandra Cretté souhaite atteindre ce bonheur et cette justice dont parle Aristote, une quête qui ne voit sa source que dans l’action, commence alors l’engagement social et politique.
Elle rejoint l’activisme de groupes anarcho-libertaires parisiens et ses yeux s’ouvrent d’avantage, écrivant des articles, organisant des actions, la poésie reprend la place, elle retrouve Francis Combes et sa maison d’édition, Le Temps des Cerises, elle codirige la Revue Commune avec Roger Bordier, vivant de remplacement en tant qu’enseignante dans des collèges et des lycées.
En 2006, c’est l’appel du large et des grands espaces, elle part en Guyane où elle s’implique et intègre le syndicalisme. Le poète éditeur Francis Combes publie certains de ses poèmes dans une anthologie de la poésie engagée contemporaine aux editions Le Temps des Cerises.
En Guyane, Alexandra Cretté retrouve la société multiculturelle de son enfance, les réalités des espaces à la lisière du monde occidental et l’Amazonie qui fascine et émerveille.
En 2020, elle fonde la revue littéraire, Oyapock, avec son ami, Samuel Tracol, avec qui elle travaille syndicalement sur des problématiques internationales. Ils ont réuni 20 auteurs de Guyane, Haïti, Martinique, Brésil, France, publiant en ligne, de la poésie, du théâtre, des nouvelles, des chroniques, des extraits de romans, travaillant avec la Maison du Conte de Cayenne, pour participer à des soirées de lectures et des festivals. Ils ont publié un livre collectif de poésie avec les éditions Atlantiques déchaînés, dirigées par Fabien Marius Hatchi, L’Anthologie de la Revue Oyapock.
En mai 2023, Alexandre Cretté gagne la mention spéciale du prix international de poésie Balisaille en Martinique, présidé par Lyonel Trouillot et Raphaël Confiant, pour son recueil Par, le regard de ces autres mal nés, publié par Atlantiques déchaînés et Le Merle moqueur de Francis Combes.
Alexandra Cretté fut invitée en juillet 2023 au 33éme festival international de poésie de Medellin et au festival international de Caracas, puis en mai 2024, au Festival Mai poésie, en Martinique, organisé par l’association Balisaille, qui a réuni des poètes et écrivains de Martinique, mais aussi de Guyane, Guadeloupe, Ile Maurice, Réunion, France, Côte d’Ivoire et Bénin, en tant que lauréate 2023 du prix Balisaille. Elle publie aussi régulièrement dans la Revue internationale du Mouvement Mondial de la Poésie, Planetariat.
Alexandra Cretté est invitée en janvier 2025 au Congrès international des poètes à la Havane à Cuba. Elle nous surprend et nous émerveille par la publication de son recueil « Par le regard des autres, mal nés », au titre évocateur poignant, un seul poème forme ce livre, qui n’en finit pas, comme pour tenir et retenir le lecteur en lui tenant la main au fil des pages qui se tournent entre l’ombre et la lumière, avec une magnifique préface de Raphaël confiant qui éclaire le livre et le délivre des doutes et interrogations tout en saisissant l’essentiel, de l’humain à la terre, de la terre au ciel.
Ce recueil, ce poème s’écoule entre les cultures et les langues dans une harmonie formée par le cœur et l’esprit, sortant du réel pour oublier la misère celle apparente et celle cachée.
Professeur de lettres modernes en Guyane depuis de longues années, auteur de poésie, de nouvelles, de théâtre, Alexandra Cretté pense que la poésie peut changer le monde.
Le Matin d’Algérie : De la philosophie à la littérature, qui est Alexandra Cretté ?
Alexandra Cretté : Bonjour, merci de m’avoir proposé cette interview. En fait, pour répondre à votre question, la littérature a toujours été là en premier. Il s’agit dans ma vie intellectuelle d’un chemin de la littérature à la philosophie, puis d’un retour vers la littérature. J’ai passé une grande partie de mon adolescence à lire de la littérature, les bancs du collège m’ont surtout vu lire sous la table plutôt que de participer activement à un cours de physique-chimie, par exemple. Je lisais beaucoup, j’écrivais avec un immense plaisir. J’ai des souvenirs très précis de ce plaisir presque boulimique, en tout cas excessif, de l’écriture. J’ai grandi dans une banlieue ouvrière assez pauvre, les professeurs voyaient avec une certaine bienveillance ce goût rare pour les livres. Je lisais Baudelaire, Dumas, Zola, Hugo, Balzac, Camus, Gide.
Lorsque j’ai rencontré la philosophie en classe de terminale, je suis tombée à nouveau dans une grande passion. Une passion pour cette discipline et surtout pour la façon dont elle utilisait le langage, à l’opposé de la littérature. J’étais fascinée par la possibilité d’énoncer la pensée sous une forme systémique et nue. Une sorte de pureté que propose le concept, d’efficacité par la méthode et la structure.
C’était tout un monde à découvrir, et je m’y suis plongée pendant cinq ans à la Sorbonne. C’est la philosophie politique qui s’est imposée comme mon domaine d’intérêt principal et j’ai donc travaillé sur Aristote, mais aussi sur Diderot. J’ai enseigné la philosophie un an comme professeure contractuelle, mais n’ayant pas réussi les concours, je suis revenue à la littérature et j’ai obtenu mon CAPES de lettres en candidate libre.
Cependant, pendant toutes les années de ma formation universitaire, je n’ai jamais quitté la littérature et mon chevet a toujours été couvert de romans, de théâtre et de poésie…
Le Matin d’Algérie : D’Aubervilliers à la Guyane, racontez-nous ?
Alexandra Cretté : Vous pointez avec justesse l’importance des lieux où je suis née et ai vécu. Naître à Aubervilliers n’est pas sans conséquences, du point de vue du regard social sur mon identité, comme de la construction de mon propre point de vue sur la France et le monde.
Aubervilliers est un des symboles de la misère populaire. Immortalisée dans le poème de Jacques Prévert
« Petits enfants d’Aubervilliers,
Petits enfants des prolétaires,
Vous plongez la tête la première
Dans les eaux grasses de la misère »
C’est une ville industrielle, où HLM et entrepôts s’empilent en bordure de Paris. Une ville qui a accueillis beaucoup d’immigrés, principalement des anciens espaces coloniaux. Mais aussi une ville de politique culturelle, avec des bibliothèques dans tous les quartiers, un théâtre prestigieux, des ateliers d’artistes, des intellectuels engagés et des écrivains importants. J’y ai rencontré Francis Combes et sa fille Juliette Combes- L’atour, des éditeurs engagés et des intellectuels importants dans la dynamique de l’édition indépendante en France.
Lorsque je suis arrivée en Guyane, où je vis depuis 18 ans, j’ai tout de suite su que ce serait un des lieux importants de ma vie. C’est une terre complexe, multiculturelle, plurilingue, héritière d’une histoire terrible et très contemporaine aussi. C’est un intense lieu migratoire. Un habitant sur trois est de nationalité étrangère. Les deux tiers de la population ont moins de trente-cinq ans. Nous sommes très différents de la France hexagonale. Le rapport à la langue aussi est y est pour moi fondamental car, si le français en est la langue officielle en tant que département d’outre-mer, il n’est pas la langue principalement parlée, langue qui varie très fortement selon les espaces du territoire. Cette Babel linguistique est un formidable creuset poétique pour envisager l’élasticité possible de la langue française dans la francophonie.
Je devrais même dire les langues françaises, ce qui serait bien plus juste au vu des spécificités, des modifications de tournures et de syntaxe. De plus, l’espace amazonien influence mon écriture par la confrontation constante à l’immensité naturelle de la forêt, vaste comme un continent, à l’opposé de l’espace européen, où la main de l’homme est toujours apparente. Je ne veux pas entretenir le mythe erroné d’un espace vierge et ouvert aux pionniers, mais insister sur le rapport à un espace non maîtrisable, dont la complexité dépasse très largement l’individu. Cela ouvre un ensemble de possibles et de symboles riches et féconds pour un poète.
Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier « Par le regard des autres mal nés » chez les éditions Atlantiques déchaînés, un titre évocateur qui interpelle le cœur et l’esprit, comment s’est fait le choix de ce titre ?
Alexandra Cretté : Merci de rendre hommage à ce titre. Il s’agit d’un titre à double sens.
Le premier est le sens littéral: mon écriture est une écriture issue d’un lieu postcolonial où les peuples qui y vivent participent d’un espace d’exclus, aux marges de l’occident. Héritiers d’une colonisation violente, de la structuration raciale de l’esclavagisme et de la rationalisation de la déportation pénitentiaire, les peuples de Guyane regardent le monde à travers ce prisme lucide et contemporain. J’y vis depuis presque vingt ans, ce regard me modèle et transforme intrinsèquement mon rapport à la poésie et au monde.
Le deuxième sens est un sens caché car ce titre est aussi une citation de l’Enfer de Dante, première partie de sa trilogie intitulée la Divine comédie. Vous trouverez ce vers au chant XVIII, lorsque Dante longe la partie de l’Enfer consacrée aux ruffians et séducteurs, ces hommes qui consacrèrent leur vie à détruire les femmes. Cette violence subie à travers le lien passionnel est d’ailleurs l’un des thèmes de mon recueil.
Le Matin d’Algérie : Un mot sur Raphaël Confiant qui a préfacé votre livre, comment s’est faite la rencontre ?
Alexandra Cretté : Raphaël Confiant présidait le Jury du Prix dont j’ai obtenu la Mention Spéciale, le Prix International de l’Invention Poétique 2023 en Martinique, organisé par l’Association Balisaille. Je ne l’ai jamais rencontré avant ma participation au festival suivant en mai 2024. C’est lors du festival International de Poésie de Caracas en juillet 2023 que mes éditeurs, Francis Combes et Fabien Marius-Hatchi, me proposent une préface par Raphaël Confiant. Ils se sont chargés de lui transmettre l’idée et c’est avec une joie immense que j’ai reçu son accord.
Cette rencontre entre nous est une rencontre textuelle, forte et profonde, d’auteur à auteur.
C’est une préface magnifique qui honore mon livre et mon travail en poésie.
Le Matin d’Algérie : La poésie a toujours été en vous, pourtant la publication est tardive, pouvez-vous nous expliquer ?
Alexandra Cretté : J’ai effectivement toujours écrit de la poésie, depuis presque l’enfance. Je publiais des poèmes dans le journal de mon lycée. Entre vingt et trente ans j’ai publié des textes et des poèmes à travers la Revue Commune, aux éditions du Temps des Cerises. En 2008, je publie deux longs poèmes dans L’Anthologie de la poésie engagée contemporaine, toujours aux éditions du Temps des Cerises. Cependant aucun recueil personnel. J’en ai écrit plusieurs par la suite, entre 2007 et 2020 : Last Baadaassss song, un recueil sur la jeunesse et la Guyane; Sur la face nord du dôme de Tharsis, qui est un long poème sur l’anthropocène; À l’ombre des flamboyants jaunes, un recueil sur l’enfance. Une pièce de théâtre, aussi, Médée-Oiapoque, sur l’exil et la trace du mythe. Mais je n’ai jamais vraiment été active durant une grande dizaine d’années pour passer à la publication. Le militantisme, le syndicalisme étaient mes activités intellectuelles principales et mobilisaient la majeure partie de mon énergie. C’est en 2020, lorsque je créé La Revue Littéraire Oyapock, que je me lance dans un nouveau projet et que l’écriture et la publication deviennent centrales. Mais ce sera dans un cadre collectif, dans une dynamique de groupe qui vise à faire accéder à la publication des auteurs et des autrices, et pas seulement ma seule production. Mon écriture et mon activité culturelle se nourrissent de ce contact permanent avec l’autre, avec l’idée d’une dynamique qui ne peut être solitaire.
Le Matin d’Algérie : Vous vous impliquez dans le syndicalisme, mais la poésie est aussi une forme de lutte, cela peut paraitre paradoxal mais il n’en est rien en vérité, qu’en dites-vous ?
Alexandra Cretté : Il est vrai que mon militantisme syndical a occupé longtemps une place centrale dans mes activités. J’ai été co-secrétaire de SUD éducation Guyane, un syndicat d’orientation libertaire, pendant quinze ans. J’y ai défendu une conception internationaliste et émancipatrice de l’éducation, très horizontale et égalitaire. Pendant toutes ces années, je n’ai jamais cessé d’écrire de la poésie. Mais cette poésie n’est pas un discours doctrinaire ou idéologique. J’ai passé assez de temps à rédiger des articles, des tracts ou des discours pour savoir que cet espace artistique, ce rapport au monde par les mots, n’a pas besoin d’une structure argumentative pour faire exister mes idées, ma vision du monde.
Le combat du poème dépasse celui de ma main. Aujourd’hui, je créé des projets de traduction et des groupes de recherches dans un collectif international d’auteurs, le Mouvement Mondial de la Poésie. Je travaille d’ailleurs avec la Maison de la Poésie algérienne, via son ancien co-fondateur, Achour Fenni.
En Guyane notre Revue, la Revue Littéraire Oyapock, est une maison de l’écriture et de l’amitié. Mon premier livre, notre premier livre, a été un livre collectif, une grande aventure avec JJJJ Rolph, Émile Boutelier, James-Son Derisier, Rossiny Dorvil, Sandie Colas, Widjmy StVil, Jonas Charlecin et Nitza Cavalier. Et nous vivons tous ensemble l’idée d’une littérature en acte, ouverte sur le monde et engagée dans un cri.
Le Matin d’Algérie : La poésie peut changer le monde d’après vous, pourtant c’est un genre littéraire qui peine à s’imposer partout dans le monde, qu’en pensez-vous ?
Alexandra Cretté : J’aimerais nuancer votre formulation qui présente la poésie comme un genre qui « peine à s’imposer partout dans le monde ». Il est vrai que les systèmes économiques de distribution du livre favorisent largement le romanesque ou le livre d’idées. Cependant, ces genres sont spécifiques à des espaces culturels précis, l’occident, les grandes et très grandes villes. Alors que la poésie, elle, est une production de toute culture humaine, par l’oralité ou l’écrit, elle universalise le lien au langage qui relie les hommes à la signification, à la grâce du sens.
Je dirai que la poésie ne s’impose pas. Elle créé son propre espace. S’il est vrai que dans l’histoire littéraire elle a déjà eu en France une place de genre majeur et que ce temps est révolu, ce n’est pas le cas dans d’autres pays. En ayant eu la chance de participer à deux festivals internationaux et de discuter avec des poètes du monde entier, j’ai compris que les dynamiques poétiques sont variées et que la culture de la poésie est internationale.
En Haïti, qui n’est pas poète n’est pas un grand écrivain. Même au milieu de la guerre des gangs, des drones et des armes de guerre, les livres de poésies s’écrivent, se publient. En Colombie, au festival de Medellín, les poètes sont accueillis par le public comme de véritables stars.
Je dirai donc que la poésie change le monde parce qu’elle est une façon différente d’utiliser le langage. Elle dépasse l’utilité, la narration. Je ne pense pas qu’elle soit intrinsèquement révolutionnaire. Ou porteuse d’une mission de libération. Si vous lisez Le Parti pris des choses de Francis Ponge, vous ne trouverez pas une idée ou un chant de liberté. Mais si vous lisez ce live et le comprenez esthétiquement, votre sensibilité ne peut plus accepter les moules prédéfinis de la production culturelle de masse, ou du moins, elle en verra les failles, les simplifications et les tricheries. C’est ce que font tous les grands livres de poésie. Ils nous rendent le monde.
Le Matin d’Algérie : Votre livre est formé d’un seul poème et pourtant vous réussissez à retenir le lecteur pour ne plus le lâcher, et celui-ci voudrait que le poème continue, à quoi est due cette magie ?
Alexandra Cretté : Je vous remercie de voir une certaine magie dans mon écriture, c’est un grand compliment. Ce livre a effectivement été conçu comme un chant unique, mêlant deux voix, une voix extime et une voix intime. C’est un travail sur la polyphonie, la possibilité de mêler différentes voix poétiques pour créer un miroir, ou une profondeur, selon le moment du poème.
La structure du recueil est plutôt cyclique, comme la mémoire, comme mon rapport à l’espace, puisque ma vie s’organise dans des cercles qui sont pour certains des cercles sud-américains, et d’autres, plus réguliers, des cercles qui me ramènent vers la France, où vit ma famille, où sont mes souvenir d’enfance…
Cet espace transatlantique personnel est aussi doublé d’une conscience historique des lieux, de leur symbolisme, de leur incompatibilité, également.
Les critiques mettent souvent en avant dans mon livre la poésie amoureuse et le chant de l’Amazonie, deux thèmes centraux, mais qui me permettent, par leur dimension universelle de porter d’autres thèmes : la misère, la folie, la révolte, le carcéral, la colonisation, la migration. L’intime est là pour asseoir dans la chair émotionnelle les désastres du monde et l’envie de les transformer, d’où une fin tournée vers l’enfance, vers l’amour filial et l’infinie contemplation.
Cela doit être ce mouvement perpétuel entre passé et présent, présence et absence, qui a guidé votre lecture comme un fil d’Ariane incassable.
Le Matin d’Algérie : Quels sont les poètes qui vous influencent ?
Alexandra Cretté : Toute mon adolescence a été influencée par l’écriture de Rimbaud. Une saison en Enfer et Les Illuminations ont transformé mon rapport au langage. Mais à vrai dire, même si Aragon et Éluard ont largement aussi nourri mon univers poétique, ce sont surtout des poètes francophones ou étrangers qui ont traversé ou motivé les transformations de mon écriture. Anna Akhmatova avec Requiem et Paul Celan, avec Pavot et mémoire, sont deux auteurs pivots de ma jeunesse, car avec eux j’ai trouvé une poétique différente pour dire l’histoire, une densité nue de l’écriture que je ne connaissais pas.
Vivant depuis longtemps dans l’espace sud-américain amazonien, certains recueils m’habitent, comme Poème sale, du Brésilien Ferreira Gullar, une œuvre de toute beauté, long poème écrit sur le chemin de son exil fuyant la dictature. Ou encore les immenses œuvres du poète haïtien spiraliste Frankétienne, dont L’Oiseau schizophone m’apparaît comme une des possibilités ultimes de la voix du poète.
Aujourd’hui, je suis principalement influencée par les auteurs avec lesquels j’écris, ou avec qui je travaille au quotidien. Mes amis dans l’écriture et aventuriers littéraires, JJJJ Rolph, Daniel Pujol, Loran Kristian, Émile Boutelier, Luis Bernard Henry. Toute cette activité autour de la production poétique nourrit réciproquement nos écritures, nos discussions et nos perspectives.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Alexandra Cretté : De nombreux projets sont en cours dans différents domaines.
Concernant mon travail poétique personnel, je suis en train de finaliser un recueil important, Panoptica Americana, qui devrait être publié en co- édition par mes éditeurs, Atlantiques déchaînés et Le Merle moqueur, dans le courant du premier semestre 2025. C’est un projet ambitieux basé sur une complexification de mon modèle poétique polyphonique.
Il s’agit d’un ouvrage à trois voix poétiques sur le continent américain. Une voix lyrique sur les métaphysiques spirituelles du candomblé brésilien, une voix ironique sur ma vision autobiographique de l’espace, une voix didactique sur les projets impérialistes et esclavagistes qui modelèrent ou tentèrent de modeler le continent du nord au sud.
Par ailleurs, je travaille sur la traduction d’un recueil du poète népalais Keshab Sigdel, Embargo. Avec la poétesse franco-tunisienne Arwa Ben Dhia, je projette une traduction en français d’un ouvrage de la poétesse palestinienne Hanan Awwad. Enfin, j’écris avec le poète Amar Benhamouche un recueil à quatre mains en français et en kabyle, Pierres sorties du torrent.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Alexandra Cretté : Je remercie chaleureusement le Matin d’Algérie pour cette interview riche et pertinente. C’est une belle opportunité pour moi de faire découvrir mon travail littéraire dans d’autres pays, d’autres espaces. Merci.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livre publié :
« Par le regard de ces autres, mal nés »
Editions atlantiques déchaînés – Le Merle Moqueur