26 avril 2024
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Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (III)

Grand Angle

Algérie : de l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion (III)

La première marche du MCB réprimée à Alger le 26 mars 1980.

III – De l’identité d’exclusion à l’identité de cohésion

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » Martin Luther King

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Le temps n’est-il pas venu de remettre le pays dans ses dimensions originelles tout en l’arrimant à la modernité ? Mais avant de nous lancer dans ce qui nous paraît être les impératifs du vivre ensemble, essayons de comprendre ce que signifie le concept d’identité.

Deux axes structurent l’identité de l’humain : l’inné et le construit. Le premier est acquis à la naissance (le sexe, la couleur de la peau)- je suis un humain : c’est le principe de l’identité substantive selon l’expression de Edgar Morin. Le second principe se construit et se transforme tout au long de la vie : c’est le principe de l’identité adjectivée toujours selon Edgar Morin. Bien que l’identité substantive ne soit pas déterminée par l’environnement social, elle ne la met pas à l’abri de ses pesanteurs : naître fille en Afghanistan est différent en termes de trajectoire de vie de sa semblable née en Europe par exemple. En ce qui concerne notre exposé, nous nous intéresserons uniquement à l’identité adjectivée.

Si l’identité adjectivée est influencée par les facteurs socio-historiques cela pourrait alors signifier qu’elle n’est pas figée mais bien au contraire toujours en mouvement. Aussi c’est partant du principe que l’identité n’est pas un donné mais un construit que nous allons tenter d’émettre quelques pistes de réflexion pour une identité de cohésion articulée autour des héritages du passé, des impératifs du présent et des contingences du futur.

Comment concevoir cette identité de cohésion? Elle parait s’articuler autour de 3 axes :

Une culture commune : langue, littérature, patrimoine

Des valeurs communes : la république, l’égalité homme-femme, la laïcité, la démocratie

Un destin commun : solidarité et communauté de destin.

D’emblée, nous constatons que cette approche est aux antipodes de la définition officielle de l’identité véhiculée par les différentes constitutions algériennes. La difficulté est d’autant plus accentuée à l’exposé des éléments constitutifs des trois points énoncés ci-dessus tant ils sont en opposition parfaite à la doctrine officielle et au sentiment majoritaire de la population. Nous y reviendrons plus loin car pour le moment, examinons en détail les éléments constitutifs de ce que nous appelons les impératifs de la problématique du « vivre ensemble » :

Une culture commune : elle repose essentiellement sur le souci de se référer et d’assumer une histoire commune ; de communiquer dans une langue en adéquation avec les réalités sociologiques et à même d’épouser les impératifs de la modernité.

Assumer une histoire commune, c’est reconnaître et se réclamer d’une histoire tumultueuse qui a vu passer sur la terre nord-africaine : romains, byzantins, arabes, turcs, français…la rencontre avec les populations locales ne s’est pas faite sans résistance bien évidemment mais aussi sans influence réciproque. Croire qu’on ne marque pas de son empreinte un pays que l’on a occupé pendant près de 6 siècles est une absurdité! Il en est résulté des processus d’acculturation sans pour autant faire disparaître les pratiques linguistiques et culturelles. Ceux qui définissent la terre Nord-Africaine comme arabe ou bien que l’islam a arabisée oublient que ce n’est qu’au VIIIème siècle que l’Afrique du Nord devient « Maghreb arabe » et que, aujourd’hui encore, le patrimoine culturel et archéologique, les idiomes régionaux témoignent de la profondeur de l’histoire de cette terre qui a su intégrer, sans pour autant s’aliéner, les apports extérieurs.

Notre histoire n’est ni linéaire, ni figée ; elle est à l’effigie de l’histoire des autres pays : contrastée, accidentée, nourrie et enrichie des apports extérieurs…Comme elle a enrichi les civilisations auxquelles elle était confrontée parfois violemment. Nous avons hérité du potentiel technologique et culturel des envahisseurs (les techniques de production, les langues, les techniques d’architecture et d’urbanisme) mais aussi nous avons donné des papes et des évêques (Victor 1er, Melchiade, Gélase 1er) à la chrétienté, des magistrats à la justice romaine, des pharaons à l’Egypte (Chechnak 1er). C’est aussi un berbère (Tarik Ibn Ziad) qui a permis à l’islam de rayonner dans le royaume de l’actuelle Espagne…

C’est cette histoire plurielle (méditerranéenne et africaine particulièrement) sans cesse en mouvement qu’il convient d’assumer aujourd’hui.

Quelle langue ?

Le deuxième élément de l’identité d’un pays est lié à la langue. La thématique linguistique en Algérie soulève des difficultés liées à des enjeux éminemment politico-idéologiques.

Aujourd’hui l’aire linguistique comprend principalement: l’Arabe classique, l’Arabe algérien/Darja, le Berbère/tamazight et le Français avec un statut largement dominant idéologiquement et politiquement du premier idiome cité. Et nous avons la faiblesse de penser que c’est la suprématie décrétée et entretenue de cet idiome qui est à l’origine des tensions, conflits qui minent le « vivre ensemble ». Soyons plus explicites et tentons de faire succinctement l’état des lieux :

La langue arabe classique

C’est l’outil de codification et de divulgation du Coran à travers les pays et les contrées conquis par les Arabes. Au contact des idiomes des territoires annexés se produit alors une situation de diglossie largement en faveur de l’Arabe classique parce que langue écrite, sacrée et surtout soutenue par un bras armé : l’Etat. Outil de mobilisation contre l’occupant colonial, elle se veut, à l’indépendance, moyen de réappropriation de la personnalité algérienne et elle fut alors décrétée langue nationale et officielle de l’Etat algérien.

Quelques repères dans le processus d’arabisation :

– arabisation dès la rentrée de 1963 du tiers des enseignements de la première année du cycle primaire et arabisation totale de ce cycle un an après. L’Algérie, pour la mise en place de cette politique, fait appel à un contingent de 1000 enseignants égyptiens sans expérience pédagogique, ni d’enseignement.

– le 26 avril 1968, le Conseil de la Révolution, organe légiférant mis en place au lendemain du coup d’Etat du 19 juin 1965, ordonne l’usage de la langue arabe dans les administrations à partir du 1er janvier 1971 et les recrutements dans la fonction publique uniquement en langue arabe.

– en 1976, il est décrété l’arabisation de l’état civil, des noms des rues, et le vendredi est fixé jour de repos.

– septembre 1980, un oukase du ministère de l’enseignement supérieur, somme la communauté universitaire de dispenser les enseignements de la première année des sciences sociales et humaines en langue arabe. Pour la conduite de cette opération, l’Algérie fait appel à la coopération irakienne et renouvèle ainsi l’expérience malheureuse connue avec les enseignants égyptiens.

– la loi du 7 décembre 1996 fixe l’usage généralisé et obligatoire de la langue arabe à partir du 5 juillet 1998.

En dépit du rapport de force politique qui lui est favorable et des moyens financiers alloués, cette langue peine à prendre racine dans les mentalités algériennes en raison principalement :

°du peu d’enthousiasme qu’elle requiert auprès de la population (60% des foyers algériens pratiquent la langue française selon l’institut Abassa cité par le quotidien El Watan du 2 novembre 2000)

°de la charge idéologique qu’elle véhicule. Nous y reviendrons dans la suite de cet article.

°du rejet dont elle est l’objet de certaines franges de la population qui la vivent comme violence et entreprise de remise en cause de leur identité car, pour reprendre l’expression de Jacques Berque, « une langue ne sert pas à communiquer, elle sert à être ».

– Le berbère ou tamaziYt et l’algérien/darja (ou arabe algérien)

Ces deux langues nationales authentiques et dynamiques sont largement répandues et usitées dans la vie de tous les jours mais guère encouragées par les pouvoirs publics quand elles ne sont pas tout simplement niées. Si pour la langue Tamazight les choses ont évolué positivement ces dernières années (reconnaissance constitutionnelle, enseignement), cela ne semble pas être de la langue algérienne dite Darja.

Pourtant, elle est la langue la plus répandue et elle couvre l’ensemble du territoire et plus (il n’existe pas de statistiques officielles en la matière) de 70% en maitrisent l’usage selon diverses sources. C’est un véritable idiome vivant avec un fond lexical et grammatical riche et diversifié : berbère, arabe, français, espagnol, hébreu… qui autorise la communication et facilite l’échange entre les algériens. Cependant marginalisée au niveau institutionnel et reléguée à un statut de sous-langue aux yeux des bien-pensants, cet idiome souffre de l’absence d’acteurs en capacité de lui donner une dimension politique.

La langue berbère, idiome d’environ 30% de la population selon l’estimation du linguistique Salem Chaker, ne doit sa survie qu’à l’abnégation de ses locuteurs et à la détermination de ses militants.

L’ostracisme, dont fut victime la langue berbère (suppression à la rentrée universitaire de 1973 des cours de berbère dispensés par Mouloud Mammeri à l’université d’Alger, l’interdiction de sa conférence sur la poésie kabyle ancienne à Tizi-Ouzou …) va servir de tremplin à l’émergence d’une revendication politique et vient ainsi consacrer un long travail de conscientisation entrepris dès l’indépendance voire bien avant.

Le printemps berbère de 1980, expression d’une mobilisation populaire sans précédent, marque définitivement l’inscription de la question linguistique dans le champ politique algérien. C’est là, la principale différence avec la langue darja dont les acteurs tardent à émerger sur la scène politique.

– Le troisième idiome dans l’aire linguistique algérienne est celui hérité de la colonisation

Un véritable paradoxe caractérise le statut de cette langue. Décriée et jugée suspecte de véhiculer l’idéologie néocoloniale par les partisans de l’arabisation généralisée, la langue française est perçue, particulièrement par les élites, comme outil d’émancipation et de promotion : 70% des parents d’élèves souhaitent que leurs enfants apprennent cette langue.

Il faut dire que l’échec patent de l’arabisation, menée au pas de charge par un personnel davantage militant que pédagogue, a favorisé, en raison de l’utilité particulièrement dans le domaine de l’emploi, l’option pour la langue française : plus de 11 millions d’algériens déclarent savoir lire et écrire en Français (source office national des statistique d’Algérie) et plus de la moitié des quotidiens de la presse écrite s’éditent dans cette langue.

Voilà succinctement pour l’état des lieux.

Et la question qui vient à l’esprit est de se dire pourquoi ne pas partir de cette réalité sociologique et historique pour définir une politique linguistique en conformité avec les spécificités de chacune de ces langues :

  • aux 1ères (tamazight et arabe algérien) : la vocation nationale et identitaire;
  • à la 2e (l’arabe classique) : la fonction liturgique ;
  • enfin à la 3eme (le français) : la charge d’outil de communication et de travail.

Cette dernière proposition risque de nous attirer les foudres des gardiens du temple qui n’hésiteront pas lancer des cris d’orfraie et à nous traiter de nostalgiques – de – l’impérialisme- et de « hizb frança » (parti de la France). Nous aurions pris au sérieux cette attaque :

– D’abord si l’état des lieux ci-dessus ne reflétait pas la réalité sociolinguistique du pays;

– Ensuite, si la scolarisation massive et forcée en langue arabe classique avait produit des résultats encourageants ici comme dans le reste des pays arabes. Or faut-il rappeler que 50% des populations de ces pays sont analphabètes et que seul un écolier sur quatre maîtrise l’idiome classique à la fin de sa scolarité. En Algérie, certaines sources évaluent le taux d’échec à 60%.

– Puis, si les différentes études linguistiques n’avaient pas conclu à l’invariance de la morphologie et de la syntaxe de l’arabe classique. Mostefa Lacheraf (ancien bref ministre de l’Education nationale en 1977) alertait déjà sur le phénomène de glaciation du vocabulaire et de la syntaxe de cette langue qui n’a pratiquement pas évolué depuis sa codification au VIIème siècle.

Plus expressif est le constat que dresse l’écrivain et journaliste égyptien, Chérif Choubachy, qui va jusqu’à affirmer, dans son ouvrage «Le sabre et la virgule », que la grammaire de la langue du coran est figée depuis 1500 ans et toute tentative de modernisation s’est heurtée à des blocages au prétexte que la langue sacrée ne doit en aucun cas faire l’objet de modification. Il conclut d’ailleurs que le développement des pays arabes est étroitement lié à l’impérative nécessité de rénover cet idiome. Faute de cette révolution des esprits, la langue arabe sacrée consacrera le carcan qu’elle s’est érigée depuis plus de 15 siècles ! (A suivre)

Auteur
Salem Djebara

 




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