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Algérie – France : le regard algérien sur les questions mémorielles 

TRIBUNE

Algérie – France : le regard algérien sur les questions mémorielles 

Benjamin Stora a été choisi par le président français, Emmanuel Macron, pour aborder un sujet commun très sensible qui tient mordicus les deux nations. Son profil d’historien et universitaire, et ses origines juives-algériennes, précisément de Constantine, peuvent paraître comme un choix judicieux, un compromis pour les deux pays. Une initiative décidée conjointement avec le chef d’État algérien Abdelmadjid Tebboune. 

En tout compte fait, il est compliqué de restituer une mémoire sans perdre pied au sujet d’un conflit vieux de presque de deux siècles. La tâche est ardue pour résumer l’Histoire commune des deux pays dans un rapport de 145 pages. C’est dans un esprit de réconciliation que le travail doit se faire, le choix des personnages qui ont marqué le déroulement de la guerre n’est pas fortuit, il faut faire un tri pour avoir des coupables et des innocents. 

Dans le rapport, il écrit : « Je pense en particulier à des hommes politiques algériens, considérés comme des héros de la lutte nationaliste en Algérie, comme Ali Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, compagnon du général De Gaulle, défenestré par l’officier français, Paul Aussaresses, en mars 1957 »; « Le retour des figures de Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel, assassinés par l’armée française pendants la « la Bataille d’Alger » en 1957 ».

De même pour les événements, certaines dates qui sont présentées dans le rapport ont une importance capitale pour panser les souffrances des deux côtés. 

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« Fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, enlèvements d’Européens à Oran le 5 juillet, et massacres de harkis à partir de l’été 1962 »; « massacres de Sétif de 1945 »; « la répression « sanglante » de la manifestation d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961 ».

En fait, Benjamin Stora, pour réussir cette mission très délicate, s’est organisé dans des raccourcis historiques à ne rien oublier pour éviter de laisser des fenêtres ouvertes à d’éventuelles critiques. Pour réfuter cette mémoire hémiplégique développée du côté de la France, et débusquer l’imaginaire de guerre que les autorités algériennes ont mis comme ultime référence est un défi. 

En revanche, c’est le regard du côté du citoyen algérien qui nous intéresse, et moins celui des officiels.

Le rapport n’est pas destiné à tous !

À la lecture moins exégétique de ce document, il faut le préciser qu’il est riche en référence historique. Afin de satisfaire la classe politique dirigeante de France, il est destiné en premier lieu aux pieds-noirs et Harkis d’où on peut lire : « Pour les grands groupes porteurs de cette mémoire, comme les soldats, les pieds-noirs, les harkis ou les immigrés algériens en France ».

C’est un litige vieux de 60 ans qu’il faut régler à cause d’une séparation douloureuse qui a laissé beaucoup de blessures, et qui pose un problème identitaire sérieux à ces nouveaux Français. De plus, de préserver le viatique politique et économique présent en Algérie, une démarche nécessaire qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie avec la nouvelle réorganisation internationale en termes des relations avec les anciennes colonies. 

Dans cette histoire de repentance, le citoyen algérien ou français dans son ensemble, le rapport est à titre d’information. À voir la caricature de Plantu sur les relations qui existent entre les deux peuples, sans vouloir être facétieux, on peut l’interpréter qu’elles ne sont pas aussi mauvaises comme on le pense, sans nier l’existence des différences liées à la culture à l’éducation, etc.

La première question qui nous survient sur cette démarche de reconstitution de la mémoire est de savoir si Stora a bien tenu compte de l’environnement politique régnant en Algérie? Il peut sembler que ce n’est pas avec un gouvernement illégitime qu’on peut réussir le projet de réconciliation entre deux peuples. La situation politique du moment est instable, la révolution citoyenne qui a débuté depuis 22 février 2019 sera inévitablement un processus d’engagement pour la réorganisation politique. Donc le rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie est perçu de l’autre côté de la Méditerranée comme un soutien politique non négligeable au système algérien et en même temps de permettre aux harkis de revenir dans leur pays de naissance.

En parlant de l’Histoire, Stora réhabilite l’image de Messali tout en minimisant l’impact identitaire tout en développant un passé évanescent. 

Il dit : « Sans vouloir entrer dans la complexité d’une histoire ancienne, où la berbérité joue un rôle décisif… »

Parler de l’histoire de l’Algérie sans citer Jugurtha ou Massinissa est une manière de nier l’existence d’un peuple organisé qui fut être à la fois l’ennemi et allié de Rome et Carthage. Parler de la guerre d’Algérie sans citer le colonel Amirouche est une manière de faire abstraction à l’opération jumelle que les autorités coloniales ont menée contre la wilaya III (la Kabylie) dans le plan Challe, qui fut un massacre sur les populations d’une région qui s’est distinguée en termes d’apport politique et historique.

En revanche, tout le long du plaidoyer, Stora n’a pas cessé de rendre hommage à Messali (il a été cité presque 10 fois), sa femme Émilie Busquant, ou bien évoquer les Oulémas pour glorifier le nationalisme algérien. Tout en citant son ami Mohammed Harbi comme référent de l’Histoire algérienne avec qu’il a été complice sur certains faits historiques qui relèvent d’une prise de position politique qu’autre chose. 

Malgré quelques bribes concernant l’Histoire du peuple de l’Afrique du Nord et particulièrement celui de l’Algérie en citant par exemple Kahina comme une juive berbère : 

« Les Berbères, qui ont été islamisés à partir du VIIe siècle se souviennent qu’ils ont jadis appartenu, pour beaucoup à des communautés juives ou à des tribus berbères judaïsées, d’où est issue la Kahéna,… » 

Mais dans son rapport, puisqu’on parle de l’Histoire, Stora n’a jamais dit que Messali est d’origine ottomane pour indiquer sa véritable identité. Et de relever la falsification de l’Histoire algérienne dans son mémorandum qu’il avait présenté à l’ONU, en 1948, pour plaider la cause algérienne d’où il précise que l’existence de la nation algérienne a débuté à partir du 7 eme siècle, c’est-à-dire depuis l’arrivée des Arabes en Afrique du Nord. Pour l’Histoire et pour l’opinion politique des deux côtés de la Méditerranée, nous ne pouvons rétablir la question mémorielle en faisant fi sur des faits qui exigent une révision. 

Aujourd’hui, du côté de l’Algérie, nous parlons moins de la colonisation française, puisque les Français ont quitté l’Algérie, sauf au niveau des officiels pour des raisons de propagande politique. Mais nous parlons plus de la vieille colonisation arabe qui a détruit la nation berbère (amazigh) au nom de la religion musulmane, pour en dire que l’opinion politique et historique de l’algérien est dans une autre étape. 

L’identité arabo-musulmane sur laquelle Benjamin Stora s’est appuyé pour corriger les abus de l’Histoire sont beaucoup plus utiles pour convaincre la classe politique française afin de reconnaître la responsabilité de la France envers son ancienne colonie, et satisfaire la partie algérienne qui tient encore un mythe d’une Algérie arabe et musulmane, une identité que l’algérien d’aujourd’hui réfute entièrement. 

Des recommandations et interrogations

Les recommandations énoncées dans le rapport peuvent être vues comme des gestes d’apaisement, mais celle qui attire plus d’attention est l’inauguration en 2022 d’une statue de l’Émir Abdelkader en France. Alors que le parcours de cet homme divise l’opinion historique, car il a rendu un service à la France en négociant sa première reddition dans le traité de Tafna, en 1837, signé avec le sinistre général Bugeaud dans lequel il reconnaît la souveraineté impériale française en Algérie. 

Du côté des nationalistes algériens, cette entente est vue comme un acte de trahison, mais pour les autres c’est une stratégie afin de pouvoir se reconstituer pour lutter contre l’envahisseur.

Plus tard, en 1947 il a proposé au général Louis De Lamoricière sa reddition en échange d’un l’exil lui et ses fidèles proches au lieu subir le sort de Fadhma N’Soumer et Cheihk Aheddad (Muhand Amezyan Aheddad) morts en prison, qui refusent cette forme d’entente relevant de de la trahison. 

Et il faut souligner que pendant toute la période de paix avec la France coloniale, Émir Abdelkader a eu le privilège d’être décorée comme un général français. 

Donc le choix de Stora est basé sur le principe de vouloir reconnaître à cet homme sa collaboration à la France pour coloniser l’Algérie. Pour les officiels algériens, Émir Abdelkader est une figure de résistance même morte en exil. C’est un symbole partagé entre les deux nations que l’Histoire finira un jour à le mettre dans le registre des paradoxes. 

En conclusion, ce rapport peut être interprété comme une réconciliation plus politique qu’historique, il concerne les officiels et non les peuples des deux pays.  

Auteur
Mahfoudh Messaoudene

 




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