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Algérie : « Je suis l’enfant naturel d’un couple diabolique »

REGARD

Algérie : « Je suis l’enfant naturel d’un couple diabolique »

Crédit photo : Zinedine Zebar.

Tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis l’indépendance à nos jours, ont affirmé que le développement est l’unique but de leurs actions, mais ces dirigeants ne définissent nulle part de quel développement il s’agit, ne précisent jamais vers quel type de société, ils entraînent leur population.

Fascinés par  le mode de vie occidental, les dirigeants algériens ont développé le mythe de l’accession prochaine à tous aux bienfaits de la société de consommation sous couvert de socialisme, de libéralisme. Ce mythe justifie leur mode de vie et leur permet de concentrer entre leurs mains les ressources du pays et de décider de leur affectation  en fonction de leurs intérêts stratégiques.

La construction de l’Etat était l’effort le plus important, le plus immédiat. L’Etat est souvent présenté uniquement comme un organe au service d’une force sociale dominante dont il suivrait fidèlement les orientations.

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Derrière le groupe social au pouvoir se constitue une sorte de bourgeoisie d’Etat qui valorise idéologiquement le secteur public et le prestige du grand commis de l’Etat. Le pouvoir a fondé la croissance économique et son dynamisme sur les formes d’un Etat autoritaire. Sous  prétexte de la construction d’un Etat fort, l’Algérie a renforcé le pouvoir central, une concentration excessive, une bureaucratie pléthorique …

Au lendemain de son indépendance, les dirigeants algériens appelaient à l’unité nationale. L’option pour la centralisation était justifiée au nom de cet impératif suprême admis sans discussion. La concentration du pouvoir politique au profit du chef de l’Etat était présentée comme un moyen d’accélérer le processus étatique de développement économique. Le régime militaire issu du Coup d’Etat du 19  juin 1965, loin de rompre avec cette conception, se présentait comme le garant le plus efficace de l’unité nationale, de la consolidation de l’Etat, et du développement économique et social du pays. Sa conception hiérarchique s’accordait parfaitement avec le modèle de l’Etat totalitaire.

En cumulant les techniques d’encadrement du Parti Unique et de la discipline des armées, l’Etat militaire devient l’Etat militant. Cet Etat qui veut tout faire, tout entreprendre, tient à tout diriger, à tout imposer d’en haut ; tout doit passer par l’Etat, tout doit converger vers lui, tous doivent agir avec lui et sous son contrôle.

Que représente le pouvoir sans ses instruments dissuasif, rétributif, ou persuasif ?   Que peut faire la population, quand l’essentiel du pouvoir de décision lui échappe ? L’Etat peut-il mettre en cause la responsabilité des citoyens sans s’accuser aussitôt ?

Peut-il promouvoir un développement interne sans la participation des populations à la production et à la gestion ? La concentration des ressources et le monopole du pouvoir ne sont-ils pas dans une certaine mesure à l’origine de la faillite de l’économie publiques et de la passivité de la population ? Il est un fait établi, tout pouvoir puise sa légitimité dans un principe, et quand ce même principe se trouve contredit par la réalité, ce pouvoir est amené à le modifier, afin de développer un nouveau discours légitimant son action. Selon quels principes, peut-on dire que tel pouvoir est légitime et tel autre ne l’est  pas ? En d’autres termes quels sont les critères de légitimité ?

Ces critères sont-ils à rechercher dans les sources du pouvoir, dans ses finalités, dans ses instruments ou dans les méthodes employées par le pouvoir ? Le premier droit de l’individu reconnu comme sujet central du politique, c’est le droit à la vie. Il échange sa soumission ou sa participation contre cette garantie fondamentale : être protégé dans son intégrité physique contre toutes les menaces de violences intervenues. Par conséquent le premier devoir de l’Etat consiste à produire la paix civile ; Mais cette sûreté de l’individu implique également la reconnaissance d’un autre droit, celui de la propriété.

La propriété est le prolongement du droit à la vie, l’attribut indissociable de l’individu. Elle limite la violence sociale. Le droit de propriété est réducteur d’incertitude et producteur de sécurité. L’Etat providence exprime l’idée de substituer à l’incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. Les travailleurs ne sont pas propriétaires des biens qui font partie de la propriété d’Etat.

Cependant, ils jouissent tout de même d’avantages sociaux (salaires, congés payés, assurance maladie, retraite, sécurité de l’emploi etc..) et ces avantages ne sont pas le résultat de leur labeur ou de leur combat, ils leurs ont été octroyés par le groupe social au pouvoir.

La propriété publique comme fondement du pouvoir a perdu ses lettres de noblesse, il abolit la propriété privée des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques » en socialisant les pertes et en privatisant les profits. La rente énergétique comme instrument de pouvoir s’est épuisée, elle ne remplit plus ses fonctions de paix sociale. Le contrôle de la société comme finalité de pouvoir a atteint ses limites biologiques, l’heure est à la libération des énergies. 

L’orientation économique de l’Etat est soumise au pouvoir politique et de façon plus précise aux rapports de forces qui structurent ce pouvoir politique. Cela signifie en clair, que la prise en charge du procès de travail et/ou de valorisation du capital étatique est seconde par rapport à la maîtrise du pouvoir politique. En d’autres termes, la rationalité économique est déterminée et dominée par la rationalité politique.

De façon plus générale, cette problématique peut se résumer dans les termes de l’alternative suivante : doit-on persister à croire que le développement est seulement un processus d’accumulation économique et de transformation sociale dans lequel l’Etat se substitue à la société civile, en l’écrasant si besoin est ? ou doit-on admettre à la lumière de l’expérience des trois dernières décennies que le développement est précisément l’épanouissement de cette société civile auquel l’Etat   doit certes contribuer mais ne jamais entraver ? Il est vrai que l’essentiel de l’effort de développement est supporté par l’Etat, propriétaire exclusif, entrepreneur dominant et puissance publique omniprésente.

Ce cumul des fonctions n’est-il pas à la source d’abus, de gaspillage, et de détournements ? C’est peut-être une erreur que de concentrer l’ensemble des ressources et des pouvoirs entre les mains de l’Etat ? C’est peut-être également une gageure que de laisser supporter l’essentiel de l’effort de développement par l’Etat, et par l’Etat seul ? D’un autre point de vue, la société n’a-t-elle pas donné implicitement un mandat total et sans limite à ses dirigeants ? Ne leur a-t-elle pas signé un chèque en blanc ? Peut-on parler de société civile au sens moderne du terme ? L’Etat peut-il servir d’instrument de modernisation en dehors des besoins et des valeurs de la société dont il est issu ? L’Etat peut-il faire l’économie d’une mobilisation des populations à des fins productives ?

L’existence précaire d’une rente énergétique peut-elle épargner la population d’une exploitation capitaliste en vue de dégager une plus-value interne susceptible d’être investie localement ? Les fondements de ce système ne résident-ils pas dans l’incontestabilité des hommes au pouvoir et l’impérativité de leurs décisions ?

C’est dire l’importance du choix des alternatives et de la libre alternance ? Parce que à la fois propriétaire et bailleur de fonds, le rôle omniprésent et omnipotent de l’Etat ne se trouve-t-il pas privilégié ? Plus encore, un tel système n’avait-il pas la prétention de tout régir, tout entreprendre, sans encourir le moindre risque, la moindre sanction ? Ce questionnement ne date pas d’aujourd’hui, il remonte à la fin des années 80 et a fait l’objet de travaux universitaires.

Rares sont en effet les élites qui s’appuyant sur leur propre héritage socio-culturel propre y compris colonial sont déterminés à surmonter les difficultés auxquelles sont confrontées leurs sociétés car la solution à la crise multidimensionnelle, c’est d’abord l’effort interne du pays plus on parvient à se mouvoir par ses propres forces moins on est demandeur moins on est vulnérable  Si encore l’influence extérieure avait suscité la science, la technologie, la culture démocratique, cela aurait été un demi mal. Le but de l’occident est d’ordonner et de soumettre la dynamique sociale à un centre d’impulsion unique l’Etat pensé comme un moteur de transformation de la société et pratiqué comme un lieu hégémonique occidental.

Un Etat devant être soumis à un droit dont il est le seul maître puisé de sa culture gréco-romaine d’inspiration judéo chrétienne dont les sociétés dominées sont dépourvues ayant emprunté d’autres trajectoires historiques qui leurs sont propres. Faut-il rappeler que depuis l’indépendance les couches dirigeantes du pays, produits de l’école française pour indigènes, ont pour la plupart adhéré totalement aux valeurs de consommation inspirés de l’occident sans pour autant assimiler les sciences sociales, les techniques de production et de gestion qui les sous-tendent et de surcroît en refusant la liberté de recherche, de critiques et d’opposition prônée par la culture démocratique européenne pour limiter les abus et arbitraires du pouvoir de l’Etat. C’est pour dire que nous avons enfourché un cheval qui n’est pas le nôtre. Nous n’avons pas la maîtrise, nous n’avons que la selle.

Le nôtre est retourné au désert et depuis nous ne l’avons pas revu. Il est peut-être mort de soif dans un désert gorgé de pétrole. Nous nous trouvons sans monture et le chemin à pieds est long. Il nous semble que la solution définitive à nos problèmes réside dans un changement qualitatif dans nos rapports avec l’Europe, dans la construction d’un Maghreb uni des peuples de la région et dans les bouleversements que nous pouvons apporter à nos institutions, pâles copies de nos « illustres maîtres à penser ».

Mais cela suppose une participation de la population à la prise de décision, une vision claire de l’avenir et une réelle maturité des peuples de la région à se prendre en charge sans passer par l’occident triomphant. Ces propos semblent radicaux par leur charge affective mais ne manquent pas de réalisme. Néanmoins, ils ont l’avantage de mettre l’accent sur la responsabilité des hommes devant conduire le destin de la nation. La décadence d’une société commence quand l’homme se demande « que va-t-il arriver ? » au lieu de se dire « que puis-je faire ? ».

L’Algérie a la terre. Elle a les hommes. Ce qui lui manque, c’est une bonne politique, une politique centrée sur les populations et non sur les pouvoirs. Les élites doivent s’efforcer de satisfaire en priorité les besoins essentiels des individus par des stratégies de développement centrées sur les intérêts de la population et non sur des pouvoirs. Débat fécond d’idées novatrices à amorcer ou lutte acharnée d’intérêts d’arrière-garde à entretenir et/ou à sauvegarder ? Des intérêts apparemment contre productifs non créateurs d’emplois. Il nous semble que c’est dans un bouillonnement d’idées et de débats que pourra surgir à notre humble avis une élite sobre et austère, sans treillis ni cravate, ni turban, fidèle à elle-même, ouverte positivement sur l’extérieur qu’il soit d’orient ou d’occident, mettant le souci du bien public avant ses avantages particuliers, créatrice de valeurs et de symboles par son comportement dans ses actes légitimant ainsi un discours réformateur.

La rue a montré la voie, au reste de suivre … Le combat des peuples se fait avec les actes ; le combat des élites se fait avec le verbe. Un peuple debout, une opposition assise. Un peuple qui marche, une élite qui se cherche. Le peuple lui tend la main, elle la refuse … 

Dr A. Boumezrag

PS : En Afrique et dans le monde arabe, ils sont nombreux les dirigeants à s’accrocher au pouvoir malgré leur âge avancé de façon très autoritaires jusqu’à ce que la mort les surprenne ou qu’ils soient chassés par un soulèvement populaire ou un coup d’Etat ou les deux à fois ce qui n’est pas incompatible. Leur départ involontaire ne signifie pas que c’est la fin de leur régime. Pour la simple raison qu’ils sont restés trop longtemps au pouvoir, ils ont eu tout le loisir de tisser des réseaux clientélistes tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Ces cercles d’influence vont leur survivre. Ils vont s’investir dans le maintien du statu quo pour sauvegarder leurs intérêts et leurs privilèges. C’est ainsi qu’un régime autoritaire identique à celui qu’ils ont installé risque de se reproduire mais cette fois çi sans filet de protection sous un chapiteau ouvert aux quatre vents ;  perte de confiance de la population, épuisement de la manne financière providentielle, contexte géopolitique régional bouillonnant, la présence de forces étrangères aux frontières d’où les inquiétudes légitimes de la population. Un chat échaudé craint l’eau froide

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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