16 avril 2024
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Algérie : le rapport sans concession d’Amnesty International

Prison

Nous publions ci-dessous une partie du Rapport 2022/2023 d’Amnesty International sur l’Algérie.

Cette année encore, les autorités ont arrêté et poursuivi en justice des personnes qui avaient exprimé en ligne des opinions dissidentes ou avaient participé à des manifestations. Elles ont aussi continué d’engager des poursuites contre des journalistes et des militant·e·s pacifiques au titre de la législation antiterroriste, et de dissoudre, ou menacer de dissolution, des associations.

Des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont torturé et maltraité des détenus, en toute impunité. Les autorités ont ordonné la fermeture de trois églises et refusé de délivrer un agrément à un certain nombre d’autres ; elles ont restreint le droit à la liberté de circulation de plusieurs militant·e·s et journalistes. Trois avocats ont été traduits en justice, l’un pour avoir défendu des militants politiques, les deux autres parce qu’ils avaient dénoncé une mort suspecte en détention. Trente-sept féminicides ont été signalés ; aucune disposition législative n’a été adoptée en vue de protéger les femmes. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

Contexte

À l’occasion du 60e  anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a gracié 1 076 détenus le 4 juillet et octroyé une mesure de clémence à 70 autres personnes qui étaient sous le coup de poursuites pénales pour avoir participé, entre 2019 et 2022, au mouvement de protestation pacifique de grande ampleur « Hirak ». En juillet, le roi du Maroc a appelé de ses vœux le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Algérie.

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Mettant en avant une série d’« actions hostiles » liées au différend qui oppose de longue date les deux pays sur la question du Sahara occidental, l’Algérie avait rompu ses relations en août 2021. Pour la huitième fois depuis 2011, le gouvernement a repoussé la visite prévue du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Liberté d’expression et de réunion  

Les autorités ont muselé toute forme de dissidence, accentuant la répression généralisée de la liberté d’expression et de réunion pacifique. À la fin de l’année, au moins 280 militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et contestataires étaient toujours incarcérés pour des infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.

En mars, un tribunal d’Alger, la capitale, a condamné à deux années d’emprisonnement cinq jeunes militants du Hirak, parmi lesquels Mohamed Tadjadit et Malik Riahi, qui avaient publié une vidéo dans laquelle un adolescent âgé de 15 ans déclarait avoir été agressé sexuellement par des policiers(1). Libéré en août, Mohamed Tadjadit a de nouveau été placé sous mandat de dépôt en octobre sur décision du tribunal de Sidi M’hamed à Alger, puis remis en liberté une semaine plus tard. C’était la quatrième fois en trois ans qu’il faisait ainsi l’objet d’une mesure de détention provisoire.

En avril, le tribunal criminel d’Adrar (sud-ouest de l’Algérie) a condamné à trois ans d’emprisonnement le militant écologiste Mohad Gasmi, déclaré coupable d’avoir divulgué des informations confidentielles sans intention de trahir dans le cadre d’échanges de courriels concernant l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Cet homme purgeait déjà une peine d’emprisonnement pour « apologie du terrorisme », en lien avec une publication sur Facebook dans laquelle il indiquait que la radicalisation d’un activiste algérien connu était due à l’incapacité des autorités à rendre justice à la population et à la traiter avec dignité.

Liberté d’association

Les autorités ont suspendu les activités d’au moins un parti politique et menacé de dissolution au moins deux associations. Elles ont également porté contre des membres de formations politiques d’opposition et de mouvements considérés comme hostiles des accusations fallacieuses liées à la lutte antiterroriste. Un nouveau projet de loi sur les associations était en cours d’élaboration.

À la demande du ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État a ordonné, le 20 janvier, la suspension du Parti socialiste des travailleurs (PST), qui a donc dû cesser toutes ses activités et fermer ses locaux. Le PST a présenté un recours, mais celui-ci restait sans suite et le parti demeurait suspendu. Toujours en janvier, le ministère de l’Intérieur a demandé au Conseil d’État de suspendre deux autres partis politiques, l’Union pour le changement et le progrès et le Rassemblement pour la culture et la démocratie. En avril, Abdelrahman Zitout, le jeune frère d’un membre de Rachad, un mouvement d’opposition qualifié de « terroriste » par les autorités, a été placé en détention sur la base de multiples charges. Aucun élément susceptible d’étayer des accusations de terrorisme n’a été produit devant la justice. Abdelrahman Zitout a mené plusieurs grèves de la faim en signe de protestation contre son incarcération.

Tortures et autres mauvais traitements

La torture et les autres mauvais traitements continuaient d’être pratiqués, en toute impunité. Le lanceur d’alerte et militant anticorruption Mohamed Benhalima, ancien membre de l’armée, a été transféré en avril à la prison militaire de Blida, au sud-ouest d’Alger. Placé à l’isolement, il a été torturé et maltraité et s’est vu privé des colis de nourriture, de vêtements et de livres qui provenaient de l’extérieur.

Liberté de religion et de conviction  

Les autorités ont invoqué cette année encore l’ordonnance no 06-03 de 2006, qui établissait des restrictions visant les religions autres que l’islam sunnite, pour poursuivre en justice des adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière et ordonner la fermeture d’au moins trois églises protestantes. Depuis 2018, 29 églises ont ainsi été fermées. Aucune autorisation n’a été délivrée depuis 2006 pour l’exercice d’un culte autre que musulman. Les autorités ont refusé de délivrer des permis de construire à l’Église protestante d’Algérie, qui comptait 47 églises dans tout le pays. Le gouvernement a rejeté en janvier l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] selon lequel la condamnation à cinq ans d’emprisonnement d’Hamid Soudad, de confession chrétienne, pour « offense à l’islam », au titre de l’article 144 bis 2 du Code pénal, était incompatible avec le PIDCP.

Le gouvernement a indiqué que les dispositions prévues dans cet article avaient pour objectif de protéger l’ordre public. En juin, le tribunal de première instance de Béjaïa, à l’est d’Alger, a inculpé18 adeptes de la religion ahmadie de la paix  et de la lumière de « participation à un groupe non autorisé » et de « dénigrement de l’islam », au titre de l’article 46 de la Loi relative aux associations et de l’article 144 bis 2 du Code pénal, respectivement. Le juge a ordonné le placement en détention de trois de ces personnes et a remis les autres en liberté dans l’attente des résultats d’un complément d’enquête.

Toutes les charges retenues contre ces personnes ont été abandonnée sen novembre. Le 16 novembre, le ministre des Affaires religieuses a prononcé une fatwa(décret religieux) contre ce groupe, qualifiant ses membres d’« hérétiques » qui doivent être « condamnés et punis conformément à la loi ».

Droit de circuler librement

En violation de leur droit de circuler librement et en l’absence de toute décision de justice, au moins cinq militants et journalistes ont été empêchés de quitter le pays. Lazhar Zouaimia, membre d’Amnesty International Canada possédant la double nationalité canadienne et algérienne, a été inculpé en février de « terrorisme » pour ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et le mouvement Rachad.

Les autorités l’ont empêché à deux reprises de quitter l’Algérie, puis l’ont finalement autorisé à partir pour le Canada, en mai (2) . En septembre, un tribunal de la ville de Constantine a condamné par contumace Lazhar Zouaimia à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende. En août, des membres du personnel de l’aéroport d’Oran et des forces de l’ordre ont interrogé le militant Kaddour Chouicha et la journaliste Jamila Loukil, et les ont empêchés de se rendre en Suisse, où ils devaient participer à des travaux de l’ONU.

Droit à un procès équitable

Les autorités ont arrêté arbitrairement des avocats, portant atteinte au droit à un procès équitable. En juin, le tribunal de première instance de Tébessa, une ville du nord-est du pays, a condamné l’avocat Abderraouf Arslane à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Arrêté en mai 2021 parce qu’il défendait trois militants du Hirak, et inculpé de diffusion de fausses nouvelles et d’infractions liées au terrorisme, cet homme avait passé plus d’un an en détention provisoire. Les avocats Abdelkader Chohra et Yassine Khlifi ont été arrêtés en mai pour avoir protesté contre la mort d’un militant en détention, dans des conditions suspectes. Ils ont été inculpés de diffusion de fausses informations et d’incitation à un attroupement non armé. Tous deux condamnés le 15 août à six mois d’emprisonnement avec sursis, ils ont été remis en liberté le jour même.(…)

Droits des travailleuses et des travailleurs  

Le droit de fonder un syndicat était toujours restreint en vertu des dispositions du Code du travail. Comme elles le faisaient depuis 2013, les autorités ont refusé cette année encore de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération indépendante. Le 30 avril, Nacer Kassa, coordonnateur régional du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, a été convoqué par la police de Béjaïa, qui voulait qu’il annule une manifestation organisée pour réclamer un meilleur respect des droits des travailleuses et travailleurs. Le syndicat n’a pas tenu le rassemblement prévu, mais a protesté contre l’interdiction. En octobre, les autorités de Béjaïa ont refusé, sans fournir d’explication, de délivrer au syndicat l’autorisation de tenir son assemblée générale.

Peine de mort

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort, y compris pour des raisons politiques. La dernière exécution dans le pays remontait à 1993. Le rédacteur en chef du média d’investigation Algérie Part, Mohammed Abderrahmane Semmar, a été condamné en octobre à la peine capitale pour « haute trahison », parce qu’il avait révélé des informations à propos de contrats pétroliers algériens.

En novembre, le tribunal criminel de première instance de Dar el Beïda, à Alger, a condamné à mort des dizaines de personnes, parmi lesquelles une femme, pour le meurtre du militant Djamel Bensmail, lynché en Kabylie (nord-est de l’Algérie) en août 2021 par une foule en colère. Cinq des accusé·e·s ont été condamnés par contumace sur la base de plusieurs chefs, notamment pour leur appartenance supposée au MAK, une organisation considérée comme « terroriste » par les autorités.

 Lutte contre la crise climatique

L’Algérie n’a pas mis à jour ses objectifs d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pour s’assurer qu’ils soient en conformité avec l’impératif de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C. La législation nationale demeurait insuffisante pour protéger et promouvoir le droit à un environnement propre et sain. Environ 10 000 hectares de forêt ont été détruits en août par des incendies qui ont fait 43 morts.

  1. « Algérie. Il faut abandonner les poursuites contre des militants ayant dénoncé la torture infligée à un mineur en garde à vue », 22 mars
  2. « Algérie. Il faut lever les interdictions de voyager visant des militant·e·s de la diaspora », 6 mai

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