Les dictatures ont très souvent un allié très solide, la population dans sa majorité. Les quatre causes de cette alliance paradoxale sont connues et sont concomitantes, soit la terreur, l’illettrisme et l’inculture, la compromission financière et le mythe de l’ennemi extérieur.
Dès lors se crée entre les deux un ciment très difficile à décoller. Rien n’y fait, cette majorité de la population soutient la propagande du régime autoritaire et en épouse toutes ses causes et objectifs quelles que soient les évidences contraires qui lui font face.
Dès 1956, le Maroc devenu indépendant réclame le territoire sud de ses frontières, colonisé par l’Espagne. Pour le Maroc ce territoire du Sahara occidental a toujours été de sa souveraineté historique suite à l’implantation des populations berbères au seizième siècle. Un territoire également revendiqué par la Mauritanie.
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En 1975, à la mort de Franco, la démocratie espagnole se retire d’un passé colonial. Ce qui aurait dû se passer naturellement est la prise de contrôle souverain par le Polisario, un mouvement indépendantiste des populations du territoire, crée en 1973. Il n’en fut rien.
En 1975 l’Algérie dénonce ce qu’elle estime être une colonisation illégitime par le Maroc après que celui-ci ait organisé une marche verte de la population pour annexer le territoire Sahraoui. Elle s’en offusque et nous voilà partis une seconde fois dans un conflit avec le voisin que personne n’avait souhaité ni même pensé qu’il existât un quelconque litige à ce sujet.
Elle se désigne protectrice d’un peuple opprimé auquel on venait de lui retirer sa souveraineté. Et voilà le Polisario soutenu et financé et dont les dirigeants algériens.
En 2014, les nostalgiques de l’ancienne URSS et de la Grande Russie impériale souhaitent reconquérir les territoires qui ont eu leur indépendance alors qu’ils étaient partie intégrante du vaste empire. Pour les Russes la propriété historique sur ces terres ne fait aucun doute.
En 1975 l’Algérie estimait que le Maroc n’avait aucun lien avec des populations autochtones ayant construit un lien historique avec le territoire de l’ancien Sahara espagnol. Mais en 2014 puis en 2022 pour l’Ukraine, elle estime que la Russie impériale en a sur les territoires occupés.
C’est assez étonnant que cette vision contradictoire et orientée des Algériens qui accordent la légitimité historique d’envahir un pays indépendant à l’un et qualifient l’autre de colonial alors qu’il en fait de même.
Lorsque l’ONU accéda à la demande d’un référendum par le Polisario au nom du droit aux peuples à l’autodétermination, le soutien et la communication de l’Algérie s’entendirent sur toute la planète.
Ce fut un échec car une question inextricable s’était posée comme toujours dans ce cas. Qui avait la légitimité de voter dans un territoire où une très forte population marocaine s’était installée ?
L’Algérie avait soutenu, avec légitimité, c’est la seule chose de légitime dans sa position, que seuls les Sahraouis avaient ce droit de vote. Se posa alors la même question de savoir qui était Sahraoui alors que l’origine des populations anciennes s’était perdue dans le temps. Sans oublier les risques de manipulation des autorités marocaines malgré la surveillance de l’ONU.
Mais lorsque la Russie, en septembre 2022, organisa un référendum sur les territoires occupés en Ukraine, l’Algérie ne s’était nullement offusquée, ni de la légitimité ni des conditions burlesques.
La Russie avait considéré que les populations russophones, majoritaires selon elle, demandaient librement le rattachement à la « mère patrie historique ». Cela n’a absolument pas choqué que des hordes de population ukrainienne aient été chassés y compris par des déportations qui constituent des crimes contre l’humanité (surtout pour les déportations d’enfants), qu’une population massive de Russes avait été encouragée à s’installer et que les conditions de scrutin auraient reléguées les élections sous Staline de vertu morale et d’exemplarité juridique.
Un référendum sous occupation marocaine, c’était pour les Algériens un manquement fondamental du droit international. Celui organisé par la Russie serait un modèle de légitimité.
Puis les Algériens rejettent d’un revers de main l’idée que la Russie ait une visée de colonisation économique. La réappropriation de l’immense grenier à blé mondial n’est absolument pas dans son esprit. La souveraineté du passage maritime vers les océans à partir des grandes voies terrestres navigables ne lui a pas effleuré l’esprit. La maîtrise de la Mer noire ne l’intéresse pas plus.
Mais pour le Maroc c’est une avalanche de critiques envers ses objectifs économiques sur un territoire qui n’aurait de valeur pour lui que le très grand littoral océanique et les mines de phosphate.
Une grande partie des Algériens s’est mobilisée dans les rues le vendredi après-midi, pendant deux ans, pour manifester contre un régime oppresseur, des libertés bafouées et une corruption endémique.
Mais lorsque Vladimir Poutine muselle la presse, incarcère pour le moindre mot ou geste, assassine et fait disparaître des opposants, c’est au nom de la défense d’une patrie menacée par les agents intérieurs de l’ennemi et les espions.
Puis, pour les Algériens, l’Ukraine est un poste avancé de l’Occident européen et américain, celui de l’OTAN, l’ennemi qui menacerait la grande Russie. C’est-à-dire exactement l’argument de Poutine et des nationalistes russes.
C’est également mot pour mot ce que nous entendions du matin jusqu’au soir dans les actualités de notre jeunesse à propos du Maroc. Pour le régime « socialiste » (un gag) du brave Boumédiene, le roi Hassan II était le vassal de l’Occident, notamment de la France et des Etats-Unis.
Pour cette dernière raison, nous sommes enfin dans une logique de rapprochement des prises de position. Nous voilà donc arrivés à l’élément central qui justifie l’aveuglement des Algériens.
Ils ont été conditionnés à rugir de colère dès que le pouvoir militaro-civil brandit la sempiternelle haine envers la France et l’Occident. Une extraordinaire assurance de la pérennité de son pouvoir.
C’est comme cela, que pouvons-nous y faire ? On ne peut faire une révolution pour libérer un peuple qui se met les menottes volontairement et qui est en adoration envers tous les dictateurs sanguinaires et corrompus du monde.
Non, on n’y peut rien. Ils se sont même mis les menottes pour se soumettre à une autorité invisible dans le ciel. Une autorité qui ne connaît que l’intimidation, la menace et la sanction.
Plus ils ont mal, plus ils en redemandent.
Sid Lakhdar Boumediene
PS : Je parle du peuple algérien comme d’une entité monolithique, sans diversité d’opinion, car j’ai du mal à en percevoir un autre. Ce n’est bien évidement que l’aveuglement de la désespérance.