22 novembre 2024
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Algérie-Russie : des hommes du Tsar au Sahara

Carte de l'Algérie

La relation algéro-russe ne passe pas uniquement par les achats des différents systèmes d’armes, elle soulève aussi de nombreuses interrogations historiques. Dont celle d’un officier de l’armée tsariste, « volontaire » dans l’armée coloniale française en Algérie.

Du temps de la tsarine Catherine II et du tsar Alexandre I, la cour de Saint-Pétersbourg se snobait par l’apprentissage de la langue du grand trafiquant d’armes Voltaire, de même qu’elle étalait fièrement le développement des études et ses recherches « scientifiques et historiques » sur la culture de l’Orient musulman. Conquête expansionniste des peuples d’Asie centrale oblige. Il y a un ennemi farouche à affaiblir coûte que coûte : la Sublime Porte sublime ottomane.

La stratégie militaire de Catherine II est celle de dépouiller cet empire féodal en grignotant ses possessions européennes à partir de l’Adriatique. Pour y réussir, il faut être présent en Méditerranée afin de défoncer le Bosphore et le Dardanelles. Chose un peu plus difficile aux vus de la marine impériale de l’époque.

L’histoire retiendra que le comte Alexis Grigorovitch Orlof (1736-1808) est ce fameux « Balafré », suite à une blessure au visage, qui sera, de bataille en bataille, le victorieux des Ottomans. Mais cette même histoire, retiendra aussi le nom du capitaine de la Marine tsariste, M. G. Kokovtsov, qui sera chargé par la tsarine de préparer la contre-piraterie en Méditerranée qui menaçait les navires marchants russes. La Revue Africaine lui consacrera dans son numéro 95 de 1951, quelques 65 pages sur son travail de Description de la côte de Barbarie 1776-1777 et sur ses Nouvelles fiables sur Alger, apparurent durant les mêmes années.

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Il est assez désolant de voir et de lire dans des textes algériens et maghrébins, que Kokovtsov ou un Bognavitch (7/9/1805-6/8/1882) sont tout juste considérés comme des écrivains voyageurs ayant pour seule préoccupation académique d’évoquer les peuples de la région à travers leurs langues, cultures et traditions. Des écrits qui baignent dans l’autosuffisance intellectualiste qui nous éloigne des vérités historiques.

Nos auteurs ont occulté qu’il est question d’officiers d’état-major bien déguisés en «touristes » avec des autorisations officielles de déplacement entre les côtes libyennes, tunisiennes et algériennes.

Ils publiaient des cartes bien précises des villes et des rivages, un peu plus élaborées que celles des Allemands, Hollandais, Espagnols et Portugais. Des travaux qui s’ajoutent à des informations ethno-géographiques et culturelles sur les différentes populations maghrébines. Nos deys et beys étaient encore occupés à régler les questions de la succession « politiques ». en Russie, on les appelle des « Africanistes », mais jamais comme étant des missionnaires d’Etat.

Kouropatkine, observateur « saharien »

Malmenant sa véritable date de naissance et celle notamment de son décès, Alexeï Nikolaïevitch Kouropatkine est ce nom qui s’est introduit de force dans notre histoire coloniale. Sur le site officielle du Ministère de la défense de la Fédération de Russie de l’idéologue Alexandre Douguine, les années « algériennes » sont totalement évacuées et rayées.

Né le 25/3/1848 selon les archives françaises, Kouropatkine est admis à l’école des cadets où il poursuivra une brillante carrière militaire jusqu’en 1866 où il rejoindra la 1er Armée impériale dès 1864. Promu au grade de lieutenant au 1er bataillon d’infanterie du Turkestan, il participe aux combats pour la conquête et l’annexion de la ville de Boukhara, puis celle de Samarkand à l’empire féodal slave.

De 1870 à 1871, il est promu au grade de major et responsable du district militaire du Turkestan, fonction qui lui permettra de regagner l’Ecole impériale de guerre à Saint-Pétersbourg qui lui ouvrira les portes d’accès à la formation tant à Berlin qu’à Paris.

Depuis cette dernière, il regagnera l’armée française d’Afrique en Algérie, sous le titre « d’officier volontaire » sous le commandement du général de Laverdo qui dirigeait le subdivision militaire de Médéa, en pleine insurrection d’El-Mokrani. Ce dernier est rallié par les tribus du sud des Hauts-Plateaux et c’est tout l’intérêt pour l’officier Russe de mettre à jour ses connaissances militaires aux côtés des armées coloniales qu’il expérimentera, plus tard, au Turkestan et en Mandchourie.

L’Algérie de 1876 comptait 2.487.941 habitants et 357.179 étrangers entre Français et naturalisés. La communauté israélite autochtone était de 33.506 et Kouropatkine est en Algérie dès le mois de septembre 1874, arrivant de Marseille par paquebot après « un voyage de 44 heures ». Il entre dans le golfe d’Alger et « son  beau port artificiel », décrit-il la traversée. A la lecture de son principal écrit, Alger 1871-1874, nous remarquons que l’étude statistique et militaire prenait à elle seule 6 parties. C’est le résultat d’observations et d’études minutieuses d’un état de guerre d’occupation parcourant Tlemcen, Laghouat, Aïn-Maadi et l’oasis de Ouargla. Le pays est en total effervescence et tout l’intérêt de la présence du futur Ministre de la guerre du Tsar réside dans la gestion d’un conflit réel sur un territoire dont la géomorphologie est ressemblante au Turkestan asiatique, jusqu’au territoire Kashgar en Chine.

Les premières observations de l’officier d’état-major russe prennent sources au port d’Alger où « remarquant accidentellement une marque russe sur l’une des bûches, j’ai reçu une explication selon laquelle ce bois avait récemment été amené sur deux navires de Riga, en échange d’un bouchon de liège ».

Du bois de Lettonie contre le liège de Jijel et des forêts algériennes spoliées, l’intense activité de troc entra capitaux spoliateurs des colonies confirme que le profit est bien européen concernant les richesses algériennes. Et Kouropatkine d’ajouter : « Près de la gare, plusieurs locomotives roulaient avec un sifflement aigu, on montait des wagons de marchandises, on chargeait du charbon apporté d’Angleterre et en déchargeait du bétail destiné à la France. Juste là se dressaient jusqu’à 10 wagons chargés de minerai de fer, qui, sous sa forme brute, sera transporté à Marseille. »

Une colonisation spoliatrice et spéculatrice qui sévissait dans l’Algérie de l’après Commune de Paris.

La première impression « algérienne » de Kouropatkine passe par la personnalité de l’émir Abdel-Kader, dont il écrivait que « la personnalité talentueux d’Abdel-Kader, qui réunit sous sa bannière aussi bien les habitants des villes que les habitants des montagnes, nomades ou sédentaires, tout cela au nom de l’idée religieuse de lutte contre les infidèles, n’a pas mis de limite temporaire aux succès des conquérants ; jusqu’à l’arrivée de nouvelles troupes, l’habileté des généraux et la bravoure des soldats finirent par triompher du fanatisme religieux de la population algérienne, brave, mais peu disciplinée et mal armée ».

Derrière cette « bannière du fanatisme religieux », les questions politiques et économiques s’occultent pour laisser place à l’apparente aliénation d’un slavocentrisme projetant de mener la même guerre contre les peuples Ouzbeks, Turkmènes, Kashgar et bien d’autres peuples musulmans de l’Asie centrale jusqu’aux confins de l’Afghanistan « britannique ».

A Laghouat, que les Français ont occupé « après un assaut sanglant, en 1872 » est, note l’officier russe, une ville de 3219 habitants « indigènes » et 411 français ou « la partie européenne de la ville se confond avec l’indigène, bien qu’elle se distingue nettement par son architecture ». L’architecture européenne en Algérie est surtout un bâtiment à arcades, chose tout à fait étrangère aux bâtis sahariens. Autour de cette ville-martyr, il y avait une oasis de 23000 palmiers en 1874. « Ces palmiers sont divisé en jardins séparés de différentes tailles. La plupart d’entre eux contiennent jusqu’à 50 palmiers. Un petit nombre de figuiers, pêchers, abricotiers, cactus et aloès sont plantés entre les palmiers ». Au mois de novembre 1874, il ira à Aïn-Maadi, puis Ouargla en passant par Touggourt et tout laisse croire qu’il n’y a eu aucun tire de fusil ni de batailles rangées sauf si l’officier d’état-major russe s’abstenait à ne pas décrire des « secrets militaires » dont il partage le contenu génocidaire. En hôte de l’armée coloniale d’Afrique en Algérie, il se limitera à évoquer son thermomètre qui marquait les 32° C à l’ombre qu’il avait subit à l’approche de la palmerais de Ouargla.

Plus loin dans son écrit sur l’Algérie, Kouropatkine évoque les insurrections du sud de l’Oranie et celle d’El-Mokrani. Le très documenté officier « volontaire » de la colonisation, note sur la base des statistiques militaires que durant le soulèvement de 1869, qui « aurait pu capturer dans son mouvement toute la population nomade d’Algérie », la région de Laghouat contenait 5000 cavaliers Algériens tenant tête à la colonne française du colonel Sonis, composait de 5 compagnies de Turkos, de 2 compagnie de bataillon africain, d’un escadron de Spahis et de 2 canons de montagnes, totalisant un effectif de 700 hommes, suivies par plusieurs sections de convois permanents de chameaux et d’un détachement de mules portant des obus pour canons.

Autour du soulèvement d’El-Mokrani, l’insurrection a prie « les Français par surprise », note l’officier russe et que « sur les 53000 soldats recensés en mars 1871, seuls 16000 ont pu se rendre sur le terrain ; le reste est composé de recrues nouvellement arrivées, d’un grand nombre de blessés et de nombreuses troupes d’administratifs ».

C’est là où nous apprenons, que les Français ont eu recours à la formation d’unités de civils parmi les colons et les « collabos » mercenaires, qui, avec des bataillons de mobiles et des régiments de marche, « on participé à la pacification du soulèvement avec les troupes régulières », écrit Kouropatkine. Le nombre de troupes françaises impliquées dans la répression de ce soulèvement qui atteindra l’oasis de Ouargla est estimé à 74000 soldats avec l’arrivée des régiments de soldats réguliers, revenu de la captivité prussienne. Après quoi, débutent les campagnes « d’indemnité » et ce de « la séquestration des biens ». il y aura 574.589 ha séquestrés des tribus ayant fait partie du soulèvement dont le coût s’élève à 9.428.0000 francs de l’époque.

A combien s’élevait le coût de toute cette armée d’Afrique ? Entre 1830 à 1873, Kouropatkine l’estime à 2.443.83.288 francs. Chiffre qui ne comporte pas le coût de  l’entrainement, des uniformes et de l’armement, des uniformes et de l’armement. A plus de 2,6 milliards de francs, la caisse française allait se tourner sur la balance commerciale qui a enrichi l’Etat français de 6 milliards de francs en terme d’exploitation des richesses de la colonie-Algérie et uniquement en 42 ans de « conquête civilisationnelle ».

La participation est de visu d’un officier de haut rang russe à une partie de la conquête coloniale de l’Algérie, indique toute l’importance qu’avait l’école des crimes de guerre française pour une Russie tsariste et féodale. Pouvions-nous nous arrêter aux seuls martyrs de 1954-62 ou osera-t-on allonger la liste de nos martyrs de toujours ? La question reste entière et la réponse peut être longuement attendue.

Ceux qui continuent à survivre sur les ossements de ces martyrs continuent à se leurrer sur une relation algéro-russe qui aurait commencé avec la seule reconnaissance du GPRA par l’URSS du révisionniste Khrouchtchev. Mais le slavocentrisme et le néo-tsarisme a tout récemment lancé son message cosmique à l’encontre du peuple des 5000 ans d’histoire, à travers le cosmonaute russe, Sergueï Ryazansky et ce le 3/2/2022, lors du passage de la stations spatiale ISIS au-dessus d’Illizi, il envoya depuis son compte Facebook le texte qui suit :

« L’Algérie est le plus grand pays du continent africain. 80 % de sa superficie sont occupés par le désert du Sahara. En même temps, l’Algérie possède le plus long littoral parmi les pays du Maghreb (une association politique des pays d’Afrique du Nord) 988 km. Les Arabes disent : le Maghreb est un oiseau dont l’aile droite est la Tunisie, l’aile gauche est le Maroc, et le corps de l’oiseau est l’Algérie. (…) les habitants indigènes de l’Algérie sont des peuples qui parlent des dialectes berbères, et pas du tout des Arabes, ce ne sont que des conquérants. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Algérie était un pays de corsaires (pirates) dont le plus célèbre, Barberousse, était le souverain de l’Algérie. Les Algériens modernes parlent un mélange d’arabe et de français, la plupart d’entre eux ne comprennent pas la langue berbère. »

Un si parfait exemple de cette ignorance « cosmique » de ceux qui se considèrent proche des Dieux.

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

 

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