28 mars 2024
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Amira Bouraoui, entre Ben Badis et Ghlamallah

REGARD

Amira Bouraoui, entre Ben Badis et Ghlamallah

« Il faut les éradiquer ! » L’auteur de cet appel [au meurtre ?] vise les Algériens qui se considèrent non-musulmans. Il ne s’agit pas d’un obscur prédicateur d’une mosquée de province.

L’homme qui vient de lancer cette sentence publique est un dignitaire du régime, président du Haut conseil islamique (HCI), chargé, officiellement, de « protéger le référent religieux national contre toute forme de fitna (trouble, révolte) », comme l’écrivent ses propres responsables, de braves esprits qui ont même jugé utile d’ajouter la haute mission de mettre un terme aux « dérives et abus » des fatwas. »

C’est de ce haut lieu de la sagesse et de la tempérance islamique qu’a  jailli l’ordre de « liquider » les hommes et les femmes coupables d’avoir  fait le choix d’une autre religion que l’Islam ou qui ont opté pour n’en avoir aucune, des Algériens honteux, nous dit Bouabdellah Ghlamallah, le président de ce temple de la tolérance, qui les décrit comme les « résidus de la colonisation française », à éliminer.   

Le regard haineux, la bouche agressive, Bouabdellah Ghlamallah, l’homme qui a pourtant le devoir de promouvoir l’humanisme de la religion musulmane, se plaît à sermonner, menacer, condamner, diviser, promettre des châtiments aux et aux autres, s’arrogeant le droit de s’ingérer dans les rapports intimes qu’entretient tout individu avec la religion.

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Quel contraste avec cet autre homme de religion, l’Abbé Davezies, dont, du haut de son mépris pour les impies, M. Ghoulamallh doit en ignorer l’existence, un prêtre-ouvrier, qui, à 29 ans, avait choisi d’aider les Algériens à se débarrasser du colonialisme et qui, que vous le vouliez ou non, M. Ghlamallah, a contribué à vous libérer aussi, parce que, vous ne voulez peut-être pas le savoir, mais il y a aussi du sang chrétien, du sang juif, du sang d’athées dans le sang qui vous a rendu votre dignité.

Ainsi a fonctionné, à votre insu, l’histoire de l’humanité : par l’amour des humains, de la liberté, par la solidarité, le partage, tout ce qui est étranger à M. Ghlamallah, en somme.

Mais il y a un contraste plus saisissant encore : le contraste avec Abdelhamid Ben Badis ! Non seulement Ben Badis était favorable à la laïcité, mais il la revendiquait. C’est ce qu’on lit dans son texte Mon opinion au sujet de Mustafa Kemal Atatürk et de sa révolution kémaliste, dans lequel il soutient la laïcité et la révolution, contre le khalifisme [Archives Wikiwiks 23 février 2011] Le chef des Oulémas avait, très tôt, admis le principe de laisser les Algériens libres de leurs choix religieux et dan[1]s s’inscrire dans la démarche laïque qu’avait adopté la société française après la loi de 1905. 

Selon Amine Zaoui, il aurait même déclaré : « Certes, Mustafa Ataturk a retiré les Turcs des règles islamiques, mais il leur a rendu leur liberté, leur indépendance, leur souveraineté et leur grandeur parmi les nations de la terre. » Dans un autre article publié dans le journal Assirat sous le titre Écoles du gouvernement laïque, [Assirat du 23 octobre 1933] Ben Badis a exprimé clairement les raisons de sa préférence pour la laïcité : « C’est le seul modèle social qui respecte la diversité et la pluralité religieuse et linguistique. »

Colons et Ghlamallah : même combat ? 

Plus d’un siècle après Ben Badis, les tribunaux algériens punissent de lourdes peines de prison les Algériens qui pensent vivre sous la loi de 1905 proclamant la séparation de l’Église et de l’État et qui, ce faisant, se mettent en travers de la stratégie coloniale qui s’appuyait sur leur propre interprétation de la religion pour imposer une politique d’asservissement de la population dite indigène : l’influence française sur les sujets musulmans passait par le contrôle du culte. Le sénateur d’Ille-et-Vilaine Eugène Brager finira par mettre le pied dans le plat : « Vous n’ignorez pas que, dans la plupart de nos colonies, l’influence religieuse et l’influence française sont, pour ainsi dire, deux choses qui se confondent. »

La condamnation à de la prison ferme de l’islamologue Saïd Djabelkhir et de la militante Amira Bouraoui, signifie-t-elle que le discours haineux de Ghlamallah est couvert par le pouvoir ? Sans doute.

« C’est choquant car il n’y a rien de condamnable dans ces écrits, qui sont les avis d’un islamologue », l’avocat Me Moumen Chadi, l’un de ses défenseurs de Djabelkhir. Oui mais des avis qui contredisent la démarche officielle du régime ! La religion est le pré carré des hommes au pouvoir.

Aucune réaction officielle n’est venue rectifier le discours intégriste de Ghlamallah. Il y a, dans ce silence, la part assourdissante de la démission politique et celle, encore plus inacceptable, du piétinement de la loi fondamentale qui est censée régir le pays. Nous démontrons jour un peu plus, que la Constitution est un machin superflu. L’Algérien d’aujourd’hui doit-il forcément subir le destin de l’indigène d’hier ?

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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