20 avril 2024
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Aznavour : hier encore, j’avais vingt ans…

HOMMAGE

Aznavour : hier encore, j’avais vingt ans…

Un géant s’en est encore allé et un bout de notre vie s’en va avec lui. Hier encore, dans cette Algérie de ma jeunesse, nous l’écoutions car il était le maître des mots et des mélodies, parfaitement en phase avec nos sensations, malgré nos âges d’adolescents. Il est parti et, avec lui, mon Algérie s’éloigne encore plus par le souvenir.

Hier encore, j’avais vingt ans, exactement à l’heure où un avion m’emmenait vers la France. Je ne savais pas à cet instant que cela fut définitif. J’ai quitté mon pays, comme le chantait mon compatriote Enrico, à vingt ans, ce jour-là.

Hier encore, j’avais vingt ans, chantait Charles Aznavour. Hier encore, je caressais le temps car nous étions les jeunes les plus heureux au monde d’être nés et d’avoir grandi dans ce pays gorgé de soleil. Notre enfance puis notre adolescence furent bercés, entre autres chansons, par celles de ce petit Arménien, terriblement enragé de sortir de sa condition de fils d’immigrés.

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Nous, nous n’étions pas fils d’immigrés mais très rapidement on allait nous faire comprendre qu’on avait une tare, une anomalie qu’il fallait très vite corriger. Cette tare, nous étions francophones et nous écoutions Charles Aznavour plutôt que les chants de nos racines puisqu’ils se sont acharnés à nous les indiquer, à les construire pour nous, comme si nous les ignorions.

On écoutait Charles Aznavour et rien au monde ne pouvait nous détourner de l’idée que nous appartenions à cette terre algérienne. Il nous rendait heureux, comme beaucoup d’autres, seulement avec un talent un peu plus prononcé que d’autres. Mais être heureux par la chanson, s’évader et prendre plaisir, n’est-ce pas la marque d’un citoyen épanoui parce qu’il était, un Algérien ?

Charles Aznavour était d’une famille arménienne, il en fut fier. Mais à aucun moment de sa vie il n’a renié le pays qui l’avait vu naître, la France. Beaucoup ignorent que dans le début des années soixante, lors d’une visite en Arménie, non indépendante à ce moment, il avait prononcé des mots qui avaient choqué l’auditoire.

On lui avait posé la sempiternelle question «Vous sentez-vous Arménien ou Français ?», il avait répondu le plus naturellement qu’il se sentait Français car il était né en France et avait grandi dans ce pays lointain de ses racines familiales. Cela ne l’a pas empêché d’être un citoyen d’honneur de l’Arménie moderne, au plus haut rang possible de l’estime et de la reconnaissance nationale.

J’écoutais la rétrospective de ses grands titres, le soir de l’annonce de sa mort. Et c’est à ce moment que vous comprenez que l’artiste a accompagné toute votre vie et, pour ses chansons les plus connues, toute votre jeunesse algérienne.

Il est donc un bout de mes souvenir, de mon Algérie à moi. Il n’y a aucun sens à classer ses favoris, en matière de musique, mais c’est certainement Jacques Brel qui fut un immense professeur des mots et a participé à ma culture. Charles Aznavour le fut à un tout petit degré moindre mais à ce niveau d’excellence, tout se mélange.

Effectivement, les textes des chansons contribuent parfois à la formation citoyenne. En 1972, une chanson m’a définitivement fait comprendre que les gens qui n’avaient pas la même orientation sexuelle que les autres étaient des êtres humains avec la même sensibilité et les mêmes droits. Son interprétation magistrale dans cette chanson inoubliable, « Comme ils disent… », reste pour moi une leçon magistrale de la prise de conscience de notre bêtise de gamins lorsque nous avions à faire à des camarades visiblement différents à cet égard.

Il a récidivé avec «Mourir d’aimer», cette professeur qui s’est suicidée car elle a aimé un de ses élèves et n’a pu supporter son emprisonnement et les insultes. Une histoire vraie et bouleversante qui vous marque et vous fait jurer que plus jamais vous n’aborderez ce qui n’est pas dans la norme statistique comme une perversité mais comme un droit à l’amour, en toutes circonstances. L’actualité suffisait à m’en convaincre mais le film, comme la chanson, rajoutent au sentiment et permettent une sensation encore plus forte qui vous éduque et construit votre objectif d’humanisme.

Au-revoir, Monsieur Aznavourian, vous représentez pour moi une époque algérienne d’espoir qui s’en va en fumée, comme notre jeunesse. Il n’y a qu’une seule phrase magnifique de votre répertoire que je contredirai. Elle fut, je crois, inspirée d’une parole de « Camus » et reproduite dans la célèbre chanson «Emmène-moi». Et cette parole disait : «Il me semble que la misère est moins dure au soleil».

Moi je n’ai connu aucune misère au soleil, que du bobineur, mais il est vrai que c’est une phrase qui ne s’applique vraiment plus pour ceux qui connaissent, aujourd’hui, la souffrance dans ce beau qui fut celui de mon passé. Je ne crois pas qu’ils puissent ressentir la même chose.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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