18 avril 2024
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Benflis entre un fauteuil roulant et le DRS

Chroniques du temps qui passe

Benflis entre un fauteuil roulant et le DRS

Faut-il toujours parler de l’après-Bouteflika ? Autrement dit, un homme qui rentre dans son pays sur une chaise roulante après 80 jours de soins en France, peut-il raisonnablement postuler à la présidentielle de 2014 ? Au risque de décourager les impénitents rêveurs qu’on voit se presser autour des « futurs candidats » Benflis et Benbitour, la réponse est oui. Dans un système estropié comme le nôtre, un chef d’État partiellement hémiplégique peut très bien s’imposer à un pays totalement paralysé. Du reste, à la différence de Benflis ou de Benbitour, Bouteflika n’a pas besoin de se mettre sur ses deux jambes pour monter, une quatrième fois, une nation dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est déjà à terre. Il n’a peut-être même pas besoin des deux béquilles, le peuple ou le DRS, pour cela. Tant pis si nous brisons un peu de la bonhomie des partisans de Benflis. C’est certes toujours réjouissant de savoir qu’il existe parmi nos compatriotes des esprits incurablement optimistes, cela nous change un peu de la morosité contemporaine. Seulement voilà : une humeur jubilatoire, même partagée par des milliers d’âmes, ne fait pas forcément un temps radieux.

Nous aurions volontiers canonisé Benflis ou Benbitour enfants du miracle, s’il y avait dans le ciel politique algérien la moindre empreinte d’un prodige qui eût constaté leur sainteté. Mais rien ! Il n’y a rien ! Le seul thaumaturge connu s’appelle Toufik et il était absent, neutralisé ou complice en 2004 et lors du viol constitutionnel de 2009. Le miracle n’a pas eu lieu ; Bouteflika est rentré pour l’échéance 2014 parce que son cercle compromis dans les affaires en a besoin et parce que notre système politique est toujours fermé à l’alternance et au fonctionnement démocratique. Faute d’avoir remis l’Algérie dans la position debout, c’est-à-dire d’avoir redonné la parole au peuple et d’en avoir fait le centre de la décision politique, faute d’être retourné aux fondements originels de la « république » dont on rappelle qu’elle provient du latin res publicae qui signifie au sens propre « chose publique » et désigne l’intérêt général comme essence de l’État, les présidentielles de 2014 ne serviront qu’à « légitimer » le président sortant. Oui, faute d’avoir remis l’Algérie dans la position debout, il est illusoire de prétendre la faire marcher vers de nouvelles destinées démocratiques. Seule une Algérie debout, nous semble-t-il, peut élire des Benflis ou des Benbitour ! Une société qui place ses espoirs de changement entre les seules mains des généraux ou du DRS, se dirige vers de pénibles désillusions. Notre ami Benbitour formule le souhait que les présidentielles de 2014 soient « justes ». Par quel enchantement ? La volonté du peuple ? Il est réduit au silence et, conscient que sa voix ne sert nullement à désigner les dirigeants dans ce pays, il ne vote plus, préférant se tenir loin de ces mascarades électorales mises en scène par le pouvoir.

L’influence du DRS ? Les services de renseignements et les chefs militaires algériens n’ont rien de leurs homologues turcs qui défendent un socle de principes laissé par Attaturk. Ils n’ont sans doute rien de leurs homologues égyptiens, non plus. Ils réfléchissent en tant qu’institution sécuritaire composée d’individus concrets, voire de groupes, imbriquée dans l’architecture politique algérienne édifiée par le MALG à la fin des années cinquante et doivent craindre de troquer ce système dont ils comptent parmi les principaux fragments contre un autre « démocratique » qui leur serait étranger et dans lequel ils pourraient ne pas avoir d’existence possible. Il nous faut sortir de l’ingénuité qui consiste à croire que le DRS s’oppose à Bouteflika pour les mêmes raisons que nous. Ce que reprochent les services algériens à Bouteflika, c’est leur affaiblissement consécutif au démantèlement de l’État mené depuis 1999. Les intérêts du DRS et de la caste militaire ont cessé de coïncider avec les intérêts de l’administration Bouteflika pour la raison essentielle que ce dernier dirige un État incohérent faiblement relié à une société marginalisée.

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Ce qui, aujourd’hui, alarme et irrite les chefs de l’armée et le DRS, c’est moins l’irresponsabilité du pouvoir de Bouteflika que le fait que cette irresponsabilité ne soit pas assise sur des bases consolidées, c’est-à-dire sur un régime réellement fort. Le DRS s’est trouvé fragilisé sous Bouteflika à partir du moment où ce dernier a démoli l’État hérité de Zéroual sans pouvoir lui substituer un État « bouteflikiste » fort et cohérent. Ajoutons à cela la stratégie conspiratrice du président qui a mis en place son DRS-bis, et vous aurez un peu des raisons réelles de l’animosité des chefs militaires à l’endroit du chef de l’État. Si une partie de la caste militaire et du DRS cherche à en finir avec l’autocratie bouteflikienne, c’est parce que cette dernière a cessé d’être une solution à la décadence et au déclin d’un système. Bouteflika n’a plus de solution de rechange mais refuse d’abandonner le pouvoir absolu. D’où les divergences autour du projet de révision constitutionnelle.

Du coup, on ne sait plus si le DRS enquête sur la corruption de l’administration Bouteflika dans le but de fermer la parenthèse Bouteflika qui a compromis l’avenir ou dans celui de « ramener Bouteflika à la raison ». L’idée qu’on pourrait « récupérer » Bouteflika en le découplant des mauvais génies qui l’entourent, devrait être encore d’actualité au sein des services. C’est la raison pour laquelle l’ex-capitaine Aboud Hicham et néanmoins directeur de deux quotidiens a publié un brûlot contre Said Bouteflika tout en épargnant le grand frère président.

Pour tout cela, il convient de se demander si les « faiseurs de roi » sont toujours opérationnels. En tant que fragment de l’ancien système, le DRS doit sans doute regretter le temps où le FLN, parti unique, imposait sa discipline et son encadrement à la société, assurant une certaine coordination à tous les rouages du système bureaucratique et des appareils économiques, sociaux et culturels. Aujourd’hui, « les déterminants de la décision politique » comme disent les politologues, ne sont peut-être plus entre les mains du DRS comme on serait enclin à le croire. Sous Bouteflika, ils se sont déplacés au profit de puissants lobbies pétroliers et financiers algériens et étrangers ainsi que d’une voyoucratie qui est au pouvoir, celle-là qui a dépouillé Sonatrach et le trésor algérien et qui nous vaut l’avant-dernière place dans le classement mondial sur la corruption. En 2004, nous n’avions pas vu que les élections se jouaient aussi …au Texas, et que l’enjeu était la loi sur les hydrocarbures écrite sous la dictée des grands groupes de la pègre pétrolière internationale et dont le rédacteur ne serait autre que Bob Pleasant, «le juriste» américain que Chakib Khelil a recruté au ministère de l’Energie dès son installation, en 1999. En 2009, nous n’avions pas remarqué la fulgurante emprise des nouveaux milliardaires algériens sur Bouteflika. Ils s’étaient « occupés » de tout, même de la campagne du candidat Bouteflika dont ils avaient pris en charge le soutien logistique, le siège, le transport, le traiteur, le téléphone, les supports de communication, les affiches, les posters, les tee-shirts, les fascicules… Ainsi, la « villa blanche », la compagnie de sécurité privée, les supports médias, les lignes téléphoniques mobiles, le transport et même le site internet officiel (bouteflika2009.com), appartenaient à l’homme d’affaires Rédha K., 36 ans,réputé proche du frère du Président, Saïd.

Aujourd’hui, pour les présidentielles de 2014, nous ne voyons pas, non plus, que les milliardaires de l’informel, sont en train d’imposer leur loi : Ils ont « acheté » le FLN, cette vieille coquille à l’intérieur de laquelle tout se joue, le FLN, parti au pouvoir, parti du président Bouteflika, celui qui coopte les futurs chefs d’État. Ce FLN-là n’est pas loin d’échapper au contrôle du DRS. Il est aujourd’hui la « propriété » de quelques milliardaires : Tliba Bahaeddine, surnommé « L’émir de Qatar d’Annaba », qui en est devenu vice-président du groupe parlementaire et qui s’est distingué en fin novembre 2012 en s’offrant une page publicitaire en couleur dans El-Khabar et dans laquelle il exhortait le président Abdelaziz Bouteflika à se présenter pour un quatrième mandat ; Cherif Ould El Hocine, président de la Chambre nationale de l’agriculture, propulsé membre du Comité central avant de se faire élire à l’Assemblée comme député sur la liste du FLN et finir ensuite président de la commission de l’agriculture au Parlement ; Mohamed Djemaï, Crésus de Tébessa, qui a acheté sa place au Comité central du FLN puis son mandat de député à l’Assemblée nationale où il sera non seulement élu mais propulsé chef de groupe parlementaire du FLN avant que de véhémentes protestations des militants fassent reculer la direction du parti ; Ahmed Djellat, le milliardaire de Blida, Ali Hamel, le milliardaire d’Adrar, Dilmi Abdelatif, le milliardaire de M’sila , sont les autres « propriétaires » du FLN, pour ne citer qu’eux…

Ce sont eux qui empêchent la désignation d’un nouveau chef du FLN « neutre » et qui persistent à vouloir imposer un homme acquis à Bouteflika : Amar Saïdani, ancien joueur de gasba devenu président du Comité national de soutien au candidat Bouteflika lors de l’élection présidentielle de 1999 et de 2004 puis président de l’Assemblée nationale, entendu par un juge de Djelfa pour avoir détourné des fonds publics à l’aide de sociétés écrans. Ils travaillent pour que rien ne change. Surtout pas ce régime qui les préfère aux patrons investisseurs, qui leur aménage des portes cochères pour grignoter leur part des recettes pétrolières.

Durant le séjour de Bouteflika, ils se sont réunis tous les soirs dans une villa de Sidi Yahia, faisant savoir qu’ils s’opposaient au projet de destitution du chef de l’État après son admission à l’hôpital de Val-de-Grâce. Ce sont eux, conjurés aux manitous du pétrole mondial, aux émirs du Golfe, à quelques capitales occidentales, qui semblent détenir les clés pour 2014. Depuis trois jours, ils reprennent du poil de la bête. C’est pourquoi on lit dans les colonnes de Tsa que le « le retour de Bouteflika déclenche une guerre de positions au FLN », et que l’homme des milliardaires, Tahar Khaoua accuse le coordinateur du FLN, Abderrahmane Belayat, de mener une chasse contre les proches de Bouteflika. L’enjeu est immense : mettre le FLN à la disposition de Bouteflika pour 2014.

Alors, tout est-il joué ? Sans doute pas. Face au système Bouteflika qui s’est structuré autour de la prédation, devenant un bloc uni par la forfaiture, il faut un autre bloc uni par ce qui peut s’appeler « l’intérêt national ». Face à la diaspora du cynisme qui va des salafistes à Amar Ghoul, en passant par Amara Benyounès et Abdelaziz Belkhadem, et qui appelle à un quatrième mandat pour Bouteflika, il faut une conjuration de patriotes qui impose une « pause démocratique », une période de transition pour remettre l’Algérie debout. S’engager dans les élections de 2014 dans un tel état de délabrement politique, ce serait faire le jeu de l’arc des suceurs de sang et de leur logique charognarde qui est de profiter de ce que le pays soit à genoux pour l’achever et obtenir, pour les uns l’impunité, pour les autres plus de reconnaissance de l’islamisme…

Une union démocratique, c’est maintenant ou jamais.

M. B.

Cette chronique a été publiée jeudi 18 juillet 2013

Auteur
M. B.

 




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