24 octobre 2024
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Bouteflika, Mugabe et putschiste à la fois (I)

Chroniques du temps qui passe

Bouteflika, Mugabe et putschiste à la fois (I)

Ses conseillers préparent une nouvelle communication du mensonge : le scénario Mugabe n’a aucune raison de produire en Algérie où le coup d’État est impensable. Bouteflika, « légitimement élu », est le symbole de l’État de droit. La vérité est toute autre. Le président algérien est une créature du pouvoir militaire.

Historiquement, Abdelaziz Bouteflika a toujours été présent dans les épisodes où le pouvoir civil a dû céder du terrain au pou- voir militaire.

« Est-ce que vous pensez que je suis un civil ou un militaire ? Voilà des notions bien relatives… », s’interroge-t-il, faussement dubitatif, devant le journaliste du Die Welt (2) avant de clarifier ses propos par une très significative parabole :

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« Peu importe que le chat soit gris ou noir, l’essentiel, me semble-t-il, c’est qu’il attrape les souris. » Etre militaire ou civil ne serait, en somme, qu’une question de couleur !

Cette nature bicéphale qu’il n’a pas résolue intérieurement et qu’il n’a jamais assumée allait déteindre sur tout le premier mandat présidentiel 1999-2004 et en expliquer en bonne partie la déconfiture : Bouteflika cumulait dans une même performance les tares du militaire et du civil sans disposer de quelque grâce de l’un ou de l’autre. Il a oublié d’avoir du militaire, n’en ayant pas accompli les sujétions, le sens de la subordination aux devoirs majeurs, une certaine grandeur dans l’humilité et l’attachement à la discipline. Il a soigneusement hérité du reste : l’arrogance, le mépris, la tentation totalitaire, le penchant monarchiste et le goût des règlements de comptes. Il en usera et abusera durant cinq ans jusqu’à en faire la griffe principale de son règne.

Le quiproquo autour du faux civil Bouteflika entraînera, chez les observateurs, une lourde erreur d’analyse : on a interprété les divergences qui l’opposaient aux militaires comme des désaccords classiques qui naissent habituellement entre un président civil, attaché à des réformes démocratiques et une hiérarchie militaire agrippée à ses privilèges et qui mettait tout son poids pour le contrarier. Il n’en est rien des brouilles entre Bouteflika et les généraux : elles sont exclusivement dues à la tenace volonté du président algérien de s’octroyer par la force un pouvoir absolu. Bouteflika ne désirait pas de réformes démocratiques, il cherchait, en bon putschiste de carrière, à asseoir un pouvoir personnel, à changer la Constitution afin d’y consacrer le pouvoir présidentiel, à éliminer les contre-pouvoirs qu’elle prévoyait.

« Il me faut récupérer d’abord mes attributions constitutionnelles qui ont été dispersées à partir de 1989, il faut que je reprenne mon rôle présidentiel, avouait-il déjà en 1999. Ce régime algérien, il n’est ni présidentiel ni parlementaire. Le président est élu sur la base d’un programme, il nomme un Chef de gouvernement qui, lui, présente un programme au Parlement. Donc, cela peut être un deuxième programme. Il y a une contradiction immense, immense. » (Europe 1, le 7 novembre 1999)

Ahmed Benbitour, qui fut, en tant que Chef de gouvernement, victime de ces velléités autocratiques du président, est sans nuance dans son jugement : « Nous vivons sous un totalitarisme d’une autre ère, s’appuyant sur le culte de la personnalité, le mépris du peuple et la profanation permanente de la Constitution et de ses institutions. »

Quant à l’avocat Ali-Yahia Abdenour, ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme, il révélera, en octobre 2003, un décompte déroutant : le président Bouteflika a violé soixante-deux fois la Constitution en quatre ans !

Militaire dans sa tête, Abdelaziz Bouteflika ne croyait rien devoir à la société civile qu’il méprisait précisément parce qu’elle ne disposait d’aucun pouvoir comparable à celui des généraux et dont il eut pu tirer dividende. Il le confirme lui-même en évoquant l’épisode de janvier 1994 celui de la première cooptation ratée :

« Je voulais être en effet le candidat de l’Armée. Uniquement de l’Armée. Je ne voulais avoir de fil à la patte ni avec la société civile ni avec la mouvance islamiste. En tant que candidat de l’Armée, je me présentais en réconciliateur. »(2)

Elisabeth Shemla, qui rapporte ces aveux présidentiels, poursuit :

« Bouteflika confirme qu’au dernier moment, à l’époque, “ils avaient même fixé l’heure et le cérémonial de la prestation de ser- ment”, mais qu’il s’était retiré, refusant de s’incliner devant les civils de la Conférence de l’entente qui, d’une main agile, voulaient faire du chef de l’Etat le fondé de pouvoir d’un conseil d’administration puis- sant qui lui donnerait des instructions! » (3)

Bouteflika, avec son souverain dédain pour ses compatriotes civils, ambitionnait de ne partager le pouvoir qu’avec les militaires.

Historiquement, Abdelaziz Bouteflika a toujours été présent dans les épisodes où le pouvoir civil a dû céder du terrain au pou- voir militaire. Il est l’homme lige auquel les chefs militaires ont fréquemment dû avoir recours pour concevoir, puis mener et, enfin, expliquer et légitimer des pronunciamientos qu’ils soient directs ou maquillés. Il eut souvent une conception plus militaire des événements que les militaires eux-mêmes.

Sa première grande mission réussie au bénéfice des militaires date de décembre 1961. L’indépendance de l’Algérie devenait imminente et le débat sur le futur Etat algérien s’installait alors avec la passion et les calculs qu’on devine. Pouvoir civil ou militaire ? L’interrogation divisait l’état-major général de l’ALN, dirigé par le colonel Houari Boumediène et le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda. Pouvoir civil ou militaire ? (A suivre)

M.B.

Notes

1. Die Welt du 27 août 1999.

2. Elisabeth Shemla, Mon journal d’Algérie, novembre 1999 – janvier 2000, Flammarion, 2000.

3. Elisabeth Shemla op. cité, pages 238 et 239.

 

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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